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    1. MÉRITE##


MÉRITE, SAINT AUGUSTIN : NATURE DU MÉRITE

U48 « récompense » : Ecce retribuit mercedem his bonis operibus. Serm., cccxxxiii, 5, t. xxxviii, col. 1466. Augustin n’hésite même pas à parler de » dette » : Reddet ergo jùslus judex. Non enim opère insperto potest negare mercedem. lbid., 2, col. 1464. Voir de même Serm., ccxcvii, 5, col. 1361. Ce qui, bien entendu, ne doit pas s’entendre d’une acte de justice cofnmutative : Quid dedimus Deo quando totum quod sumus et quod habemus boni ab illo habemus ? Nihil ergo ei dedimus. Il s’agit d’une obligation basée sur la promesse de Dieu. Debitor enim factus est, non aliquid a nobis accipiendo, scd quod ei placuit promillendo. Sous le bénéfice de cet engagement divin, nous sommes, ensuite autorisés à en « exiger » la réalisation. Illo ergo modo possumus exigere Dominum nostrum ut dicamus : Redde quod promisisli quia fecimus quod jussisti. Serm., clviii, 2, ibid., col. 863.

A la base de cette dette, il faut donc reconnaître un droit de notre part, que l’évêque d’Hippone désigne couramment sous le nom de « mérite ». Cum hinc exieris, recipieris pro meritis et resurges ad recipienda quæ gessisti. Serm., clxx, 10, ibid., col. 932. Le titre créé par nos œuvres est aussi réel en vue de la récompense qu’en vue —du châtiment ; car les hommes ressusciteront ad recipienda pro bonis meritis prsemia, pro malis luenda supplicia. De præd. sanct., xii, 24, t. xliv, col. 977. Voir de même Enchir., cix, 29, t. xl, col. 283. C’est pourquoi il faut reconnaître pro meritis præmiorum etiam gradus honorum atque gloriarum. De civ. Dei, XXII, xxx, 2, t. xli, col. 802.

Le sens indéniable de ces déclarations doit servir à interpréter celles qui sembleraient indiquer, entre nos actes et leur sanction, un rapport tout extrinsèque, celle-ci par exemple : …Ut post bona mérita consequatur coronam qui post mérita mala consecutus est gratiam. De gratia et lib. arb., vi, 14, t. xliv, col. 890. Non seulement nos mérites précèdent, en fait, la récompense ; mais on a vu qu’ils en sont, en droit, la raison et la mesure.

Aussi saint Augustin avait-il énergiquement réclamé le libre arbitre, contre les manichéens, comme facteur de nos destinées. De actis cum Felice, ii, 37, t. xlii, col. 537-539. Pendant la controverse pélagienne, il est amené à insister d’autant plus sur ce point que sa doctrine de la Providence surnaturelle pouvait donner à quelques esprits superficiels une impression contraire. C’est pourquoi il ne veut pas affirmer la grâce sans ajouter aussitôt que le mérite en est le fruit. Et parvulis subvenit quorum nulla mérita dici possunt, et majores preevenit ut habere aliqua mérita possint. Epist., cxc, 12, t. xxxiii, col. 861. Cf. Epist., cxciv, 6, ibid., col. 876 : Nullane igitur sunt mérita juslorum ? Sunt plane, quia justi sunt. Sed ut justi fièrent mérita non fuerunt.

Cette conclusion n’est pas arbitraire ; elle est le seul moyen de sauvegarder la justice du jugement divin : … Non quia nullum est merilum, vel bonum piorum, vel malum impiorum. Alioquin quomodo judicabit Dominus mundum ? Epist., ccxiv, 4, ibid., col. 970. Le mérite n’est pas moins nécessaire du côté de l’homme, pour assurer sa pleine béatitude : Quid eam [animam] faciet beatam nisi meritum suum et prsemium Domini sui ? Scd et meritum ejus gratia est illius cujus pra’mium erit beatiludo ejus. De Trin., XIV, xv, 21, t. xlii, col. 1051-1052.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’affirmation de la grâce a toujours, chez Augustin, celle du mérite comme complément.

b) Application. — A la lumière de cette eschatologie, toute la vie présente s’éclaire d’un jour moral.

Saint Augustin est d’accord avec ses adversaires

pour dire que c’est ici-bas le temps de mériter, si l’on veut parvenir à la récompense : Hic enim mérita comparari, ibi autem pnemia reddi fatemini. Conl. Julian. opus imperj., ii, 101, t. xlv, col. 1182. Cf. De perf. justitise, viii, 17, t. xliv, col. 299. Inégaux sont, à cet égard, les mérites suivant les intentions. Epist., xciii, 6, t. xxxiii, col. 324.

De toute évidence, il faut d’autant plus avoir soin de multiplier les mérites qu’il s’agit pour nous de réparer le déficit de nos fautes. Le grand objet de nos efforts doit être de rétablir à notre profit la balance de nos comptes spirituels. Venturi sumus in conspecium ejus : loquantur ibi pro nobis opéra noslra et ita loquantur ut superent ofjensiones noslras. Quod enim amplius juerit hoc oblinebit, vel ad pcenam si peccala meruerint, vel ad requiem si opéra bona. Serm., cclix, 4, t. xxxviii, col. 1199.

Parmi ces « bonnes œuvres », une place de choix revient à l’aumône, dont il est précisément traité dans ce sermon : Quotidianis vulneribus… est medicina in bonis operibus misericordise. Ibid., 3, col. 1198. Mais il faut y faire entrer tout autant l’obéissance normale à la loi divine et, en cas de péché, la pénitence : le chrétien est invité à pourvoir à son salut per mérita obedienlise et per salisjaclionem pœnitentise. Serm., cccli, 7, t. xxxix, col. 1543. On sait que la prière suffit pour les minima et quoiidiana peccala, mais que, pour les fautes graves, il faut recourir aux salutaires rigueurs de l’exomologèse ecclésiastique. Voir Augustin, t. i, col. 2426-2430. La foi elle-même constitue déjà un mérite, en tant que libre adhésion au message divin : Neque enim nullum est meritum fidei. Epist., cxciv, 9, t. xxxiii, col. 877. Cf. Retract., I, xxiii, 3-4, t. xxxii, col. 622 ; Expos, quarumdam prop. ex epist. ad Rom., 62, t. xxxv, col. 2080.

Néanmoins l’évêque d’Hipppone ne perd jamais de vue la considération de notre fondamentale misère. De notre chef, nous ne méritons vraiment que les supplices éternels : Si quæris quod merueris, attende peccala tua… Si peccatorum meritum quæris, quid occurrit nisi supplicium ? Obliviscere ergo mérita tua, ne tibi faciant in corde lerrorem. Serm., cclix, 3, t. xxxviii, col. 1198-1199. Cf. Ann. in Job, xxxvii, t. xxxiv, col. 870-871 ; Enarr. II in Ps. XXXI, 7-9, t. xxxvi, col. 262-264. Au contraire, le fait que tous nos mérites dépendent de la grâce nous oblige à en rapporter toute la gloire à Dieu : Meritis suis nihil Iribuent [justi], non tribuent totum nisi misericordise tuse. Enarr. in Ps. cxxxix, 18, t. xxxvii, col. 1814. C’est un des thèmes sur lesquels saint Augustin se plaît à revenir au cours de ses œuvres parénétiques ou autres. Voir Enarr. in Ps. xux, 30, t. xxxvi. col. 584 ; Enarr. in Ps. CXLII, 5-6, 12, t. xxxvii, col. 1848 et 1855 ; Qusest. in Heplateuchum, ii, 153, t. xxxiv, col. 648 ; Cont. duas epist. pelag., IV, vi, 15, t. xliv, col. 619-620.

Ainsi le mérite ne doit pas nous faire oublier la grâce, ni la grâce le mérite. Les deux sentiments s’unissent dans la conscience chrétienne, tout comme les deux actions de Dieu et de l’homme s’unissent dans la réalité.

3. Nature du mérite.

Qu’il suffise aux exigences. de la foi d’affirmer ainsi côte à côte la grâce et la liberté, comme à la direction élémentaire de la vie spirituelle de rabattre en conséquence les prétentions de l’orgueil humain, c’est l’évidence même. Aussi bien la plupart des Pères jusqu’ici n’ont-ils pas éprouvé le besoin d’aller au delà. Mais un esprit aussi curieux que celui d’Augustin ne pouvait manquer d’apercevoir le problème spéculatif que posent ces deux affirmations complémentaires. Aussi bien, non content de les juxtaposer à maintes reprises comme ses prédécesseurs, de les opposer aux erreurs