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MÉRITE, SAINT AUGUSTIN : CONDITIONS DU MÉRITÉ


J. Tixeront, Hist. des dogmes, t. ii, p. 489-495, et, ici même, l’art. Justification, t. viii, col. 2096.

Et ce principe vaut évidemment tout d’abord pour la grâce initiale de la rédemption. Neque enim mérita noslra præcesserant pro quibus Filius Dei moreretur ; sed magis, quia nulla erant mérita, magna eral misericordia. Enarr. in Ps. lxxxv, 2, t. xxxvii, col. 1082. Cf. Enarr. in Ps. lxv, 4, t. xxxvi, col. 788. Avec l’Apôtre, saint Augustin oppose ce dogme à la suffisance des Juifs qui attendent le salut de leurs œuvres propres. Enarr. in Ps. xlix, 31, ibid., col. 585. Mais non moins gratuites sont et doivent être toutes les grâces individuelles dont l’œuvre du Christ est la source. A propos de Rom., vii, 22-25, où l’Apôtre en appelle à la « grâce de Dieu » pour résister à la loi des membres qui se révoltent contre la loi de Dieu, saint Augustin de commenter : Quare gratia ? quia gratis datur. Quare gratis datur’l quia mérita tua non præcesserunt, sed bénéficia Dei te preevenerunt. Enarr. Il in Ps. xxx, serm. i, 6, t. xxxvi, col. 234. Cf. Contraduas episl., pelag., II, vii, 15, t. xliv, col. 582.

De cette thèse capitale l’évêque d’Hippone s’est souvent appliqué à fournir la preuve. Il la demande aux textes de l’Ancien et du Nouveau Testament, tels que Ps. lxxix, 8 ; lxxxiv, 5-7 ; Joa., vi, 66, qui rapportent à Dieu la conversion du cœur et le commencement même de la bonne volonté, mais plus encore au témoignage de saint Paul. Voir, dans ce genre, De gratia et libero arbitrio, v, 10-vi, 15, t. xliv, col. 887-891, où se lit cette conclusion générale, vi, 13, col. 889 : His et talibus testimoniis diuinis probatur gratiam Dei non secundum mérita noslra dari, quandoquidem non solum nullis bonis verum etiam multis merilis malis præcedentibus videmus datam et quotidie dari videmus. Cf. Enchir., 30-32, t. xl, col. 246-248.

A cette affirmation les pélagiens objectaient la foi, la prière et autres bonnes œuvres, qui sont demandées au pécheur pour se convertir. Mais Augustin de répliquer en montrant que tout cela est encore en nous un fruit de la grâce. Voir cette démonstration ex professo, dans Epist., cxciv, 6-19, t. xxxiii, col. 876881, où l’on peut lire, au sujet de la foi, 9, col. 877 : Ipsam fidem non humano… Iribuamus arbitrio nec ullis præcedentibus meritis, quoniam inde incipiunt bona quæcumque sunt mérita, sed gratuitum donumDei esse fateamur ; puis, à propos de la prière, 16, col. 879 : Ipsa oratio inter gratise munera reperitur. D’où saint Augustin peut à bon droit conclure, au terme de ces analyses : Quod est ergo meritum hominis ante gratiam, cum omne bonum meritum nostrum non in nobis faciat nisi gratia ? Ibid., 19, col. 880. Cf. Epist., ccxiv, 4, ibid., col. 970. Sur la question spéciale de la foi, voir de même De gratia Christi, I, xxxi, 34, t. xliv, col. 377 : Illud unde incipit omne quod merito accipere dicimur sine merito accipimus, id est ipsam fidem.

De toutes façons, le mérite de l’homme se ramène à un don de Dieu. Cf. Epist., clxxxvi, 10, t. xxxiii, col. 820 : Ipsum hominis meritum donum est gratuitum, nec a Pâtre luminum, a quo descendit omne dalum optimum, boni aliquid accipere quisquam meretur nisi accipiendo quod non meretur.

c) Conséquence : Prédestination « ante prsevisa mérita ».

— Du moment qu’il faut rapporter à Dieu l’initiative de tout ce qu’il y a de bon en nous, notre salut éternel ne relève pas de la simple prescience, mais d’une véritable prédestination.

Étant également compris dans la massa damnala, tous les hommes n’avaient de droit qu’à la mort éternelle : Prelium quod nobis debebatur supplicium est. Enarr. in Ps. lxx, serm. ii, 1, t. xxxvi, col. 891. Cf. Epist., cxav, 5 et 14, t. xxxiii, col. 875, 876, 879. D’où il suit que tout élément de distinction entre eux relève de la pure grâce divine, et non pas de leurs

mérites qui n’existent pas : Vocatio non meritorum noslrorum sed benevolenliie et misericordiæ Dei est. Enarr. in Ps. v, 17, t. xxxvi, col. 89. Cf. Enarr. in Ps. lxv, 5, ibid., col. 788 ; De corr. et gratia, vii, 12, t. xliv, col. 923 : Discernuntur non meritis suis, sed per gratiam mediatoris, hoc est in sanguine secundi Adam justificati gratis. Voir encore De præd. sanct., v, 10, ibid., col. 968 ; Epist., clxxxvi, 12, t. xxxiii, col. 820 ; Epist., cxc, 9-12, ibid., col. 859-861.

Un des arguments favoris de saint Augustin était, à cet égard, le cas des enfants morts en bas âge, dont quelques-uns ont reçu le baptême, tandis que les autres n’ont pas eu cette faveur. Les pélagiens invoquaient ici la prévision des mérites qu’ils auraient acquis s’ils avaient survécu. Contre cette hypothèse déraisonnable l’évêque d’Hippone a beau jeu de conclure à la gratuité absolue de la prédestination. Voir Epist., cxciv, 33, t. xxxiii, col. 886 ; De Genesi ad litteram, X, xvi, 28, t. xxxiv, col. 420 ; De dono persever. , xii, 31, t. xlv, col. 1011 ; Cont. Julian. opus imperf., ii, 101, ibid., col. 1181-1182.

D’autres fois, il invoque aussi l’exemple du Christ, sans insister d’ailleurs sur l’étrange pré-nestorianisme auquel aboutissait la logique des pélagiens. Nullis enim operum meritis præcedentibus in lanlam celsitudinem subvecta est humana natura ut totum simul Verbum et caro, hoc est Deus et homo, unigenitus Filius Dei diceretur. Enarr. in Ps. cviii, 23, ] t. xxxvii, col. 1442. Cf. Enchir., xxxvi, 11, t. xl, col. 250. Une fois au moins, les deux cas sont rapprochés dans l’armature d’un même raisonnement : Ubi venitur ad parvulos et ad ipsum mediatorem Dei et hominum…, omnis déficit pi œcedentium gratiam Dei humanorum assertio meritorum, quia nec Mi ullis bonis priecedentibus meritis discernuntur a cœteris ut perlineant ad liberatorem hominum, nec Me ullis humanis præcedentibus meritis, cum et ipse sit homo, liberator factus est hominum, De præd. sanct., xii, 23, t. xliv, col. 977.

Jamais encore un effort aussi méthodique n’avait été fait pour subordonner à la grâce de Dieu tout ce que les œuvres humaines peuvent avoir de valeur.

2. Réalité du mérite.’— « Cette revendication de la grâce n’empêche pas saint Augustin de regarder la réalisation effective du salut, sauf pour les cas exceptionnels, comme une rétribution, conforme aux lois de la justice, des mérites que la grâce met le croyant à même d’obtenir. Loin d’être d’accord avec les réformateurs, il ne considère pas la vie éternelle comme un don gratuit de la grâce… D’après lui, la grâce rend l’homme juste… et lui donne la force de s’acquérir par ses mérites un droit strict à la récompense éternelle. » H. Schultz, loc. cit., p. 39-40. Un des traits qui accusent l’esprit catholique d’Augustin, d’après A. Harnack, Dogmengeschichte, t. iii, p. 86, est qu’ « il a retenu la doctrine du mérite courante dans l’Église depuis Tertullien et Cyprien ». Plus lourdement, dans la suite, ibid., p. 231, l’auteur et, après lui, F. Loofs, Dogmengeschichte, p. 412, cf. p. 393 et 434, écrivent que l’évêque d’Hippone payait par là son tribut au « catholicisme vulgaire ». C’est assez dire combien nette est sa position.

a) Principe du mérite. — De fait, saint Augustin affirme à maintes reprises la loi élémentaire de justice en vertu de laquelle chacun doit être jugé selon ses œuvres. Voir, par exemple, De spir. et lill., xxxiii, 59, t. xliv, col. 239 ; De gratia et lib. arb., viii, 19 et xxiii, 45, ibid, , col. 892 et 910-912. A quoi il ajoute seulement, contre les pélagiens, que chacun rendra compte de ses œuvres effectives, non de celles qu’il aurait pu faire s’il avait vécu plus longtemps. Epist., ccxvii, 16, t. xxxiii, col. 984. Voir Jugement, t. viii, col. 1798.

II s’ensuit que la vie éternelle a le caractère d’une