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MARONITE (ÉGLISE), PÉRIODE OTTOMANE : HISTOIRE CIVILE


miers et devaient en répondre devant Je fermier musulman, nommé par la Porte. Cette combinaison offrait certains avantages, notamment celui d’éviter les heurts, les froissements d’amour propre ; mais elle ne pouvait guère éloigner les exactions. Le pire fut que cette organisation maronite subit bientôt une forte crise. Il s’ensuivit que la charge de mouqaddam cessa d’être héréditaire. Kl alors, on vit surgir une troupe de compétiteurs se disputant auprès des Turcs les fonctions de cet emploi, attribuées au plus offrant. On en vint à confier, vers 1655, le gouvernement du principal district maronite, celui de Bécharrî, à la famille métoualie ou chiite des Hamâda, qui avait envahi à la tête de ses coreligionnaires le Liban septentrional, et contraint nombre de maronites à fuir au sud de Nahr Ibrahim, l’antique fleuve Adonis, et vers les villes de la côte. Les premiers gouverneurs Hamâda se montrèrent justes et bons administrateurs, mais leurs successeurs adoptèrent une conduite entièrement opposée, et, par leurs multiples oppressions, obligèrent les maronites à reprendre l’émigration ; la plupart se réfugièrent dans le district du Kasrawân. Douaïhi, Annales, an. 1675, fol. 116 r° ; Chebli, Biographie de Douaïhi, p. 99-104 ; Lammens, loc. cit., p. 67-69.

La suite de ces événements et les conditions faites par les Turcs aux émirats particuliers permirent à une famille libanaise, celle des Ma’n, d’agrandir le cercle de sa puissance. « D’où venait cette famille libanaise ? Etait-elle d’origine arabe ou kurde ? Quand, au xviie siècle, le biographe Mohibbî recueillit les souvenirs des Ma’nides, il les trouva en désaccord sur la généalogie de leurs ancêtres… Il est certain qu’ils n’étaient ni des Tanoûkhites, ni des nouveaux-venus dans le Choûf (Liban sud), domaine de leur famille… Us semblent avoir de bonne heure adhéré aux doctrines druses. Cette démarche leur assurera les sympathies des Druses du Liban et du Wâdittaim. Dans ce dernier district, ils concluront une alliance avec les émirs Chihâb, ceux-ci musulmans et d’origine arabe. » Lammens, loc. cit., p. 66-67.

A l’époque de la conquête ottomane, les Ma’nides étaient les premiers des émirs libanais. « Le rôle des maronites, malheureusement assez désunis à cette époque, fut, par la suite, …fortement éclipsé par l’ascendant grandissant des chefs de la famille Ma’n qui allaient accaparer tout le Liban à leur profit. Ce résultat fut le fait de la valeur — on peut même dire du génie — d’un des leurs, Fakhr-ed-din II (1598-1635), le grand Émir de la Montagne, dont le règne marque l’apogée de la puissance libanaise. Échappé par miracle à la vengeance des troupes ottomanes et caché par sa mère dans le district chrétien du Kesrouan (Kasrawân), en plein cœur du Liban, il fut élevé par les soins de la famille maronite des Khazen… Sous son règne, le Liban trouva une prospérité et une tranquillité jusqu’alors inconnues, qui permirent aux lettres et aux arts d’y briller d’un certain éclat. Mais grisé par ses succès, Fakhr-ed-din aspira à l’indépendance. Attaqué de toutes parts, abandonné par ses alliés, traqué dans la haute montagne, il se livra à ses vainqueurs : ceux-ci le firent décapiter à Constantinople. Sa puissance s’effondra, mais il avait créé l’unité politique du Liban et scellé l’union des Maronites et des Druses. » Ristelhueber, op. cit., p. 2526. Sur Fakhraddîn II, voir Lammens, loc. cit., p. 71-90 ; F. Wustenfeld, Fachr-ed-dîn derDrusenfùrst und seine Zeitgenossen, dans Abhandlungen der k. Ges. der Wiss. zu Gôttingen, t. xxxiii, 1886.

Sous Fakhraddin II, les chrétiens bénéficièrent d’une large protection. Son principal conseiller, on peut même dire son premier ministre, fut un maronite, Abou-Nader El-Khazen. Durant son exil en Italie

(1613-1618), il entra en relations avec les savants maronites qui y résidaient ; et, plus tard, l’un d’eux, Abraham Echellensis, lui servit d’intermédiaire auprès de la cour des Médicis. Wustenfeld, op. cit., p. 139, en note ; Lammens, loc. cit., p. 81, 85-86 qui donne diverses preuves de la tolérance religieuse du « prince des Sidoniens », comme on appelait l’émir. Cette tolérance et cette paix n’existaient pourtant, nous le verrons plus loin, que dans les régions où l’autorité de l’émir pouvait être pleinement exercée. Et lorsque sa puissance se fut effondrée, les représailles de ses ennemis et les détestables rivalités des partis détruisirent son œuvre et déchaînèrent au Liban de nouvelles luttes sanglantes. Voir Douaïhi, Annales, ann. 1633, sq., fol. 104 sq. ; Jouplain, La question du Liban, Paris, 1908, p. 121. Les métoualis, notamment, soutenus par les pachas de Tripoli, reprirent leurs attaques contre les cantons chrétiens du Haut-Liban septentrional. Cette situation activa encore l’exode des maronites vers le sud ; beaucoup d’entre eux s’établirent au milieu des druses et même des métoualis dont les cheikhs étaient mieux inspirés que leurs coreligionnaires du Liban nord. Lammens, p. 93 ; Jouplain, ibid., p. 121.

Cependant, le règne de Fakhraddîn ne fut pas sans tares, dont il faut rendre responsable le milieu dans lequel il vivait. Lammens, loc. cit., p. 86.

La succession du grand Émir de la Montagne fut officiellement confiée aux’Alamaddîn. Mais ces derniers se rendirent tellement impopulaires qu’il fallut les expulser et rétablir les Ma’nides. L’émir Molham, (1635-1657), puis son fils Ahmad († 1697) gouvernèrent le Liban, mais avec une autorité précaire, sous la surveillance étroite de la Porte. Aussi, malgré leur désir de reprendre les traditions libérales de l’illustre ancêtre, étaient-ils souvent contraints de suivre les mœurs des pachas voisins. « Dès l’année précédente (1658), dit l’auteur de la vie de saint Vincent, un père capucin était venu du Mont— Liban à Paris pour chercher quelque remède aux vexations que souffraient, de la part des Turcs, les chrétiens maronites. Comme il connaissait le terrain mieux que personne, il jugea que, pour arrêter la persécution, il fallait et faire déposer le gouverneur du Liban, homme également avare et brutal, et procurer sa place à un homme considéré dans le pays, et qui favorisait la religion chrétienne. Le projet paraissait assez beau ; mais il avait ses inconvénients, et d’ailleurs, pour l’exécuter, il fallait douze mille écus, somme énorme dans un temps où les meilleures familles étaient épuisées. » H. Guys, Beyrouth et le Liban. Relation d’un séjour de plusieurs années dans ce pays, t. ii, Paris, 1850, p. 45 ; Lammens, loc. cit., p. 89, 93.

L’émir Ahmad, petit-neveu de Fakhraddin, mourut le 15 septembre 1697. Avec lui s’éteignit la famille ma’nide. La Turquie traversait alors une crise politique ardue. Occupée à défendre ses possessions en Europe, la Porte n’était pas en état d’intervenir au Liban pour briser entièrement l’autonomie que les Ma’nides y avaient laissée et, à cet effet, imposer un émir de son choix. Au contraire, dans ses embarras multiples, elle avait tout intérêt à ménager les Libanais et à gagner leur sympathie afin d’éviter les risques d’une expédition militaire en Syrie. Elle dut donc se contenter de la promesse d’un tribut annuel, et autoriser, en échange, les notables de la Montagne à se choisir un gouverneur. La levée des impôts était pour elle d’une importance d’autant plus grande qu’elle jugeait son prestige assuré par le seul fait de la rentrée des contributions. Les seigneurs du Liban— se réunirent à Somqânyya (entre Deir-el-Qamar et Mokhtàra) pour désigner le successeur des Ma’n. Le choix se porta naturellement sur les émirs Chihâb, amis et