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    1. MÉRITE##


MÉRITE, SAINT AUGUSTIN : CONDITIONS DU MÉRITE

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ipsius hominis et ejus humanæ voluntariœque virtutis.

Ce nestorianisme radical prouve combien Pelage voulait que du mérite créé tous les dons divins fussent dépendants.

4. Valeur du mérite.- — Parce quîils accordaient à la liberté une sorte de toute-puissance, les pélagiens pouvaient se montrer exigeants à son endroit.

.C’est ainsi qu’ils estimaient que l’homme peut et doit atteindre par lui-même à l’exemption de toute faute. En disant : Fitios Dei non posse vocari nisi omni modo absque peccato fuerint effecti, Célestius laissait entendre clairement que cet idéal n’a rien d’impossible. Si pourtant il nous arrive de tomber dans le péché, nous pouvons, continuait-il, en mériter le pardon par la’pénitence : Quoniam peenitentibus venia non datur secundum graliam et misericordiam Dei, sed secundum mérita et laborem eorum qui per pœnilentiam digni fuerint misericordia. Rapporté dans S. Augustin, De geslis Pelagii, xviii, 42, t. xliv, col. 345. Il est vrai que Pelage, ibid., 43, ne suivait pas son disciple sur ce point.

Tout au moins rien ne s’opposait à ce que tous les pélagiens pussent admettre sans la moindre restriction la pleine valeur du mérite des fidèles : Dicunt pelagiani hanc esse solam non secundum mérita gratiam qua homini peccala dimiltuntur, illam vero quæ datur in fine, id est seternam vitam, meritis præcedentibus reddi. S. Augustin, De gratia et libero arbitrio, vi, 15, ibid., col. 890.

Aussi étaient-ils d’accord avec les catholiques pour parler de retributio et de præmium à propos de la vie éternelle. Epist. ad Demetr., 11-12, P. L., t. xxxiii, col. 1107. Naturellement la pratique de la virginité et les autres ceuvresde simpleconseil sont la source d’un majus præmium, ibid., 9, col. 1105, et la gloire comporte des degrés suivant les mérites de chacun. Ibid., 17, col. 1110. Cependant il est curieux d’observer que le même texte de saint Paul, Rom., vi, 23, qui avait déjà frappé Origène, voir plus haut col. 627, et qui allait frapper encore saint Augustin, voir plus bas, col. 650, amenait Pelage à dire que la vie éternelle n’est pas proprement un salaire, mais une grâce : Non enim nostro labore quæsita est, sed Dei munere condonata. In Rom., i, P. L., t. xxx, col. 700.

La considération intéressée de cette récompense tenait même une grande place dans la direction de Pelage, si l’on en juge par cette conclusion de son épître : Omne opus levé fleri solet cum ejus pretium cogilatur et spes præmii solalium est laboris… Considéra, quæso, magnitudinem præmii tui… Epist. ad Demetr., 28, col. 1119. Sauf les excès de Célestius, cette importance attribuée aux œuvres humaines n’aurait, d’ailleurs, rien que de normal, si elle n’offrait à sa base une grave lacune. On parle beaucoup de » moralisme », chez les historiens protestants, pour caractériser et flétrir tout à la fois la doctrine pélagienne. Voir Loofs, art. Pelagius, p. 758, et Harnack, Dogmengeschichte, t. iii, p. 168. En réalité, l’Église avait toujours eu le sentiment très vif des exigences morales que comporte la profession du christianisme : ce qui est propre à l’hérésie, c’est de méconnaître la nécessité préalable de la grâce et de ne compter que sur l’homme seul pour en obtenir la réalisation.

Doctrine de saint Augustin.

Malgré sa tendance

à présenter le pélagianisme comme « le développement logique du rationalisme chrétien », Dogmengeschichle, t. iii, p. 170, A. Harnack, est bien obligé de reconnaître que le système constituait « une nouveauté », en ce sens qu’ « il laissait tomber, en fait, l’élément mystique de la rédemption que l’Église avait toujours maintenu en même temps que la doctrine de la liberté ». Ibid., p. 201. Contre cette incontestable et si grave « nouveauté » il n’est pas étonnant que l’Église ait réagi. Il fut donné à saint Augustin d’être, à cet égard, son principal porte-parole,

Sans être aux premières lignes de la controverse, la doctrine du mérite y tenait par trop de liens pour ne pas gagner d’importantes précisions à l’effort déployé par l’évêque d’Hippone pour mettre in tulo les vérités capitales du surnaturel chrétien et en ébaucher la systématisation.

1. Conditions du mérite.

En présence d’un système où le libre arbitre tenait la première place, à tel point que l’homme y devenait indépendant de Dieu, saint Augustin s’attache avant tout à montrer le rôle primordial et nécessaire de la grâce. Ce n’est pas ici le lieu d’exposer sa doctrine générale sur ce dogme. Voir J. Tixeront, Hisl. des dogmes, t. ii, p. 482-491, et, dans ce dictionnaire, l’art. Augustin, t. i, col. 23832392. Il suffit de noter les points par où elle se relie à la question spéciale du mérite, comme condition préalable et absolument requise à la valeur éventuelle de tout acte humain.

a) Nécessité de la grâce. — Même avant la chute, la grâce eût été nécessaire à l’homme pour mériter. Tout en reconnaissant que la gloire lui fût alors revenue per meritum, alors qu’il ne l’obtient plus aujourd’hui que per gratiam, Augustin précise aussitôt : Quamvis sine gratia nec tune ullum meritum esse potuisset. Enchir., 106, P. L., t. xl, col. 282. Entre les deux états de l’humanité, il y a donc une différence ; mais, même dans l’état de justice originelle, la créature eût été soumise à cette loi fondamentale qui fait dépendre tous ses mérites de Dieu.

A plus forte raison cette dépendance s’accuse-t-elle aujourd’hui, alors que notre libre arbitre est devenu l’esclave du péché. Voir Tixeront, t. ii, p. 478-480. On ne peut donc jamais parler de mérite humain sans sous-entendre la grâce de Dieu qui le précède et le produit. Ne forte dicas : Promerui et ideo accepi. Non putes te promerendo accepisse qui non promerereris nisi accepisses. Gratia præcessil meritum tuum ; non gratia ex merito, sed meritum ex gratia… Omnia mérita prœcedis, (Deus], ut dona tua consequantur mérita mea. Serm., clxix, 3, t. xxxviii, col. 916-917.

Cette nécessité de la grâce n’est d’ailleurs pas seulement accidentelle, mais essentielle et donc permanente : Plane cum data fuerit gratia, incipiunt esse etiam mérita noslra bona, per illam tamen. Nam si se illa subtraxerit, cadit homo, non erectus sed præcipitatus libero arbitrio. D’où il suit que c’est à Dieu qu’il faut rapporter tout ce qui fait la valeur de nos œuvres : Quapropter, nec quando cœperit homo habere mérita, débet sibi tribuere illa sed Deo. De gratia et lib. arb., vi, 13, t. xliv, col. 889. Cf. De præd. sanct., v, 10, ibid., col. 968 : Nihil huic sensui tam contrarium est quam de suis meritis sic quemquam gloriari lanquam ipse sibi ea fecerit, non gratia Dei.

b) Gratuité de la grâce. — Il ne suffisait pas de cette affirmation générale. Car les pélagiens accordaient, dans un certain sens, la nécessité de la grâce divine, mais en ajoutant que nous pouvons et devons l’obtenir par nos libres efforts.

Rien ne heurte davantage le sens religieux d’Augustin que cette prétention. Il estime que, si Pelage ne l’eût désavouée devant le synode de Diospolis, il n’aurait pas évité l’anathème : De gratia et lib. arb., v, 10, t. xliv, col. 887-888. Pour lui, en effet, c’est un axiome que la grâce cesse d’être la grâce si elle n’est absolument gratuite : Débita gratia… jam nec gratia, quia nisi gratuita non est gratia. De gratia Christi, I, xxxi, 34, t. xliv, col. 377. Per veram gratiam, dit-il, ailleurs, Epist., clxxxvi, 12, t. xxxiii, col 820, hoc est gratuitam. Cf. Enarr. in Ps. ciii, serm. iii, 9, t. xxxvii, col. 1364 : S ; gratia dicitur, gratis datur. Voir là-dessus