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MÉRITE, DOCTRINE PÉLAGIENNE


tion au divin bonum esse, en réalité Pelage ne la connaît pas. » Aussi, même après avoir affirmé ce qu’il appelle la grâce, Qnit-il, en dernière analyse, par proclamer sans restrictions que tout le bien que nous pouvons faire a sa source en nous : In voluntate et opère bono laus hominis est… Quod possumus omne bonum facere, dicere, cogiture, illius est qui hoc posse donavit, qui hoc posse adjurai ; quod vero bene vel agimus vcl loquimur, vel cogitamus, nostrum est. Dans S. Augustin, De gratia Christi, I, iv, 5, t. xliv, col. 352. Cf. Ibid., II, xiii, 14, col. 391 : Bonum et malum quo laudabiles vel viluperabiles sumus non nobiscum oritur sed agitur a nobis. Voir encore Epist. ad Demetr., 10, P. L., t. xxxiii, col. 1107 : Haie in tua potestate sunt et vere propria.

Car, suivant le mot célèbre de Julien, la liberté nous émancipe à l’égard de Dieu : Libertas arbitra qua a Deo emancipalus homo est. Dans S. Augustin, Contra Julian. opus imperL, i, 78, t. xlv, col. 1102. Formule, reconnaît A. Harnack, Dogmengeschichte, t. iii, p. 198, qui est, « au fond, une protestation contre toute grâce ». Or, « elle est proprement la clé de tout son système. L’homme créé libre est indépendant de Dieu sur toute la ligne. Il n’a plus à compter avec Dieu, mais seulement avec lui-même. » Voir également Tixeront, op. cit., p. 438, et ici même l’art. Augustin, t. i, col. 2381-2382. Non esse liberum arbilrium, disait crûment Célestius, si Dei indigeal auxilio. Dans S. Augustin, De gestis Pelagii, xviii, 42, t. xliv, col. 345.

3. Rôle du mérite.

Tels étant les moyens de l’homme, cette conception retentit sur l’économie entière de la vie et de la Providence surnaturelles. a) Acquisition de la grâce. - — Et d’abord il dépend de nous de mériter les secours divins dont nous pouvons avoir besoin. La grâce n’est plus un don gratuit, mais la réponse de Dieu au mérite de nos œuvres. Gratiam qua justificamur non gratis sed secundum mérita nostra dari dicant, témoigne saint Augustin, Contra duas epist. pelag., III, viii, 24, t. xliv, col. 606. Cf. De dono persev., ii, 4, t. xlv, col. 996 ; Epist., ccxiv, 3, t. xxxiii, col. 969 ; Epist., exav, 6, col. 876.

Il n’y a pas de doute sur l’application de ce principe à l’acquisition de la grâce dans le déroulement de la vie chrétienne. Ostendit [beatus Jacobus], écrivait Pelage à propos de Jac, iv, 7, quomodo resistere debeamus diabolo… ejus (Dei] faciendo voluntatem ut divinam etiam mereamur gratiam. Epist. ad Demetr., 25, t. xxxjii, col. 1117. Saint Augustin n’a pas eu tort de relever ce passage et d’y lire : Apertissime dicit gratiam secundum mérita nostra dari. De gratia Christi, I, xxii, 23, t. xliv, col. 371. Et encore Cont. duas epist. pelag., II, viii, 17, ibid., col. 583 : Volunt præcedere in homine ut adjutorio gratise dignus habeatur et merito ejus non tanquam indebila tribuatur sed débita gratia retribuatur. Cf. Contra Jul., IV, iii, 15, ibid., col. 744. Supposer le contraire serait, au dire de Célestius, prêter à Dieu une injustice : Dei gratiam secundum mérita nostra dari, quia, si peccaloribus illam det, videtur esse iniquus. Dans S. Augustin, De gestis pelag., xiv, 30, t. xliv, col. 337.

La logique du système obligeait à placer également l’initiative de l’homme au début même de la vie chrétienne, c’est-à-dire à la base de la foi, que chacun peut et doit mériter par le bon usage de son libre arbitre. Aux infidèles Pelage reconnaît liberum arbilrium per quod ad fidem venire possent et Dei gratiam promereri. Ceux qui n’usent pas de cette faculté en sont responsables devant Dieu ; ceux-là, au contraire, qui en usent bien auront leur récompense : Hi vero remunerandi sunt qui bene libero utenles arbitrio merentur Domini gratiam. Paroles rapportées par saint Augustin,

DICT. DE THÉOL. CATH.

De gratia Christi. I, xxxi, 34, t. xi.iv, col. 376-377, et d’où celui-ci déduit à juste titre : Manijestum est eum dicere gratiam secundum mérita dari, quamlibet eam vel qualemlibct significel. quam lumen aperte non exprimit. Nom, cum eos remunerandos dicit qui bene uluntur libero urbitrio et ideo rnereri Domini gratiam, debitum eis reddi jatetur. Cf. De graliu et libero arbitrio, v, 10-11, t. xliv, col. 887-888.

A ces allégations de saint Augustin on a voulu opposer, F. Loofs, art. Pelagius, p. 753-755, et Dogmengeschichte, p. 421, le commentaire de Pelage sur les épîtres de saint Paul, qui s’est conservé sous le nom de saint Jérôme. L’auteur, en effet, y affirme maintes fois, avec l’apôtre, la gratuité de notre justification : Sine ullu operum aclione per baptismum [justifleati], quod omnibus non merenlibus grutis peccutu donavit. In Rom., iii, 24, P. L., t. xxx (édition de 1865), col. 686. Les « œuvres » s’entendent ici au sens précis de ces gruliæ opéra dont il est question aussitôt après, col. 687, et pour lesquelles la foi est tout d’abord nécessaire : Ad hoc fides primu ud justiliam reputatur ut de preeterito absolvatuf, et de præsenti justificetur, et ad futura fidei operu præpuretur. In Rom., iv, 6, ibid., col. 688. Cf. In Eph., ii, 8, col. 865 : Non meritis prioris vilse sed sola fide [salvati], sed tamen non sine fide. Il ne s’agit donc pas, pour Pelage, de sainteté ni de « mérites » proprement dits avant le baptême. En ce sens, et en ce sens seulement, la grâce initiale de la vie chrétienne est gratuite. Mais il reste qu’elle est du moins subordonnée à la « foi ». Or on a vu que celle-ci dépend du bon usage de la liberté, donc aussi indirectement la grâce qui en découle. Possunt quidem dicere, argumentait à bon droit saint Augustin, remissionem peccalorum esse gratiam quæ nullis præcedentibus meritis datur… Sed nec ipsa remissio peccalorum sine aliquo merito est si fides hanc impetrat. Epist., cxciv, c. iii, 9, t. xxxiii, col. 877. L’évêque d’Hippone n’a, par conséquent, pas fait tort à son adversaire en lui reprochant de suspendre toute la vie spirituelle à la valeur de l’effort humain.

b) Prédestination. — En conséquence, il ne pouvait être question d’une véritable prédestination chez les pélagiens, mais seulement d’une prescience. Præsciebal ergo Deus, ait Pelagianus, qui fuluri essent sancti et immaculali per libérée voluntatis arbilrium, et ideo eos anle mundi constitutionem in ipsa sua præscientin qua laies futuros esse præscivit elegit. Elegit ergo, inquit, antequum essenf, prædestinans fîlios quos futuros sanctos immaculatosque præscivit. S. Augustin, De prœdest. sanctorum, xviii, 36, t. xliv, col. 987.

Cette même prescience des mérites humains commande, tout autant que la gloire, la distribution des charismes les plus exceptionnels. Unumquemque hominem omnes virtutes posse habere et gratias, enseignait Célestius, S. Augustin, De gestis Pelagii, xiv, 32, t. xliv, col. 339. Et Pelage en tout cas, ibid., déclarait devant le synode de Diospolis : Dicimus donare Deum ci qui fuerit dignus accipere omnes gratias sicut Paulo apostolo donuvit. A son dire, l’Apôtre aurait mérité la grâce même de l’apostolat : Per fidèle primum servitium meruit apostolalum. In Rom., i, 1, t. xxx, col. 669.

Il n’est pas jusqu’au Christ à qui les pélagiens n’aient accordé l’honneur de mériter le privilège de l’union hypostatique. Secundum vos enim, témoigne saint Augustin, Cont. Julian. opus imper)., iv, 84, t. xlv, col. 1386, non a Verbo Dei homo susceptus est ut ex virgine nasceretur ; sed, nalus ex virgine, suæ postea voluntatis virtute profecit et fecit ut a Verbo Dei susciperetur, non talem ac tardant voluntatem Ma susceplione habens, sed ad illam susceptionem lali et tanta voluntate perveniens. Nec Verbum 1 caro factum est in utero virginis, sed postea merito

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