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635 MKRITK, TRADITION ORIENTALE : SAINT CYRILLE DE JÉRUSALEM 636

col. 078-679, le saint docteur l’est d’une manière absolue pour affirmer, dans un développement d’allure tout augustinienne, que ce que nous avons de bien est en nous un don de Dieu. « Mettons que tu es digne de louange… : même alors il n’y a pas lieu de t’en fier. Car tu n’as rien en propre, ayant [tout ] reçu de Dieu. Pourquoi donc feindre d’avoir ce que tu n’as pas ? Tu l’as néanmoins, et d’autres comme toi. Mais tu l’as pour l’avoir reçu, et non pas ceci ou cela seulement, mais tout ce que tu as. Car ces bonnes actions ne sont pas de toi : elles viennent de la grâce de Dieu… Qu’as-tu, dis-moi, que tu n’aies reçu ? Quel est le bien que tu as fait de toi-même ? Tu ne saurais le dire. Mais tu l’as reçu et tu en tires vanité? Il fallait, au contraire, t’humilïer pour cela. Car ce qui t’est donné n’est pas à toi, mais au donateur. Si, en -effet, tu l’as reçu, tu l’as reçu de lui. Et si tu l’as reçu de lui, ce bien n'était donc pas à toi. Et si tu l’as reçu sans qu’il fût à toi, pourquoi t 'enorgueillir comme si c'était ta propriété ? » In I Cor., hom. xii, 1-2, t. xli, col. 97-98.

Quand il s’agissait de mettre l'âme chrétienne à l’abri de la vaine complaisance en ses propres mérites, saint Jean Chrysostome n’avait qu'à s’inspirer de saint Paul. Il fait œuvre plus personnelle en dénonçant un moindre défaut, dont son expérience lui avait sans doute appris la réalité : celui de la cupidité spirituelle qui porte à n’envisager les œuvres que sous l’angle du profit. Pour que nos actions soient méritoires, il faut, bien entendu, les accomplir avec la pure intention de plaire à Dieu. In Matth., hom. xix, 2, t. Lvn, col. 275-276. Mais il y a plus : c’est devant Dieu même qu’il les faut oublier.

A plusieurs reprises, l’orateur s'élève contre ces chrétiens médiocres qui ne songent qu'à la récompense, pour leur mettre sous les yeux la grande loi du bien désintéressé. « On te propose de faire quelque chose qui plaît à Dieu, et tu te préoccupes de la récompense ?… Vraiment tu ignores ce que c’est que de plaire à Dieu. Si tu le savais, tu estimerais qu’aucune autre récompense n'égale celle-là. » Mais, ce coup d'œil jeté sur l’idéal, l’auteur de continuer : « Ne sais-tu pas que ta récompense augmente quand tu fais le bien sans obéir à l’espoir de la récompense ? » De compunctione, ii,

6, t. xl vii, col. 420. Voir de même In Matth., hom. iii, 5, t. Lvn, col. 37-38 : « Ne nous vantons pas ; mais disons-nous inutiles pour devenir utiles… Plus nous faisons de bonnes actions, moins nous devons en parler. Ainsi nous acquerrons une très grande gloire devant les hommes comme devant Dieu, et non pas seulement de la gloire devant Dieu, mais une grande récompense et rétribution, u.ia60v xal àv-dSociv u.eyâÀ7)v. Ne réclame donc pas de récompense, si tu veux en obtenir une… Quand nous faisons le bien, Dieu ne nous est débiteur que pour nos bonnes œuvres ; quand nous croyons n’avoir rien fait de bien, il est notre débiteur beaucoup plus encore pour cette intention que pour nos actes. » En un mot, « plus grande est la récompense quand on n’agit pas pour la récompense. Parler de ses bonnes actions et les compter avec soin est le fait d’un mercenaire plutôt que d’un bon serviteur. Il faut donc tout faire pour le Christ et non pas pour la récompense… Aimons-le comme il faut : c’est déjà une grande récompense. » In Rom., hom. v,

7, t. xl, col. 431.

Cet appel au désintéressement spirituel est la note caractéristique de Jean ; mais on voit qu’il aboutit à suggérer aux chrétiens une meilleure conception de leurs intérêts. Non seulement ce mysticisme suppose la foi au mérite ; mais, en l'épurant de tout élément trop égoïste, il ne peut et ne veut que l’affermir.

2. Autres Pères Grecs du IVe siècle. — Il n’y a aucune raison de supposer que, sur un point auss

élémentaire, Jean Chrysostome puisse constituer une exception. De fait, les témoignages ne manquent pas, où l’on peut voir que la réalité du mérite humain s’affirme tout autant chez les autres représentants de la tradition grecque, sinon toujours sous une formedirecte et théorique, au moins sous la forme implicite et pratique des justes sanctions que Dieu réserve à nos actes dans l'éternité.

a) L’Adamantius. - - "n premier témoignage sur cette affirmation indirecte, mais formelle, du mérite nous est fourni, dès les premières années du siècle, par l'écrit anonyme qui a reçu le nom énigmatique d’Adamantius. « Il ressort de la Loi et de l'Évangile que chacun recevra selon ce qu’il a fait envers son frère. De recta in Deum fide, i, 16, édition van de SandeBackhuysen, dans le Corpus de Berlin, 1901, p. 32. Plus loin, ibid., ii, 5, p. 66, on lit en termes encore plus précis : « Employer le terme de jugement signifie le discernement des bons et des mauvais, c’est-à-dire la récompense (des bons) selon leur mérite, -rôv v.y-' à^îav aÙTcôv pLiaOov, la condamnation des méchants et des impies. Il est donc évident que le jugement qui doit avoir lieu selon l'Évangile par Jésus-Christ, dans lequel seront discutées les secrètes pensées des hommes, comportera la rémunération méritée de la justice et de l’injustice », xa-r' à ; tav Sixaioaûv ?^ -.z xal à&txîaç 7ronrçaeTat -ri]v àvTa7rô80aiv.

Ces déclarations occasionnelles, jetées en passant dans un écrit de controverse qui porte sur un tout autre objet, traduisent avec une parfaite clarté la foi générale de l'Église. Elles montrent comment la croyance aux rétributions divines est inséparablement unie à la valeur des œuvres humaines, c’est-à-dire que le dogme du jugement postule celui du mérite comme base.

b) Saint Cyrille de Jérusalem. — A plus forte raison saint Cyrille de Jérusalem peut-il passer pour un écho fidèle de la foi commune, puisque ses catéchèses s’adressaient à des catéchumènes. Or, avec la foi pure, il réclame d’eux les bonnes œuvres ; « car la bonne doctrine sans les bonnes œuvres n’est pas agréable à Dieu. » Cat., iv, 2, P. G., t. xxxiii, col. 456. Elles sont possibles, parce que notre âme a été créée libre, et c’est pourquoi Dieu applique à nos actes des sanctions appropriées. Ibid., 21, col. 481. Il n’en faut pas attendre la réalisation dans cette vie, qui est encore le temps de l'épreuve. Mais la conscience morale en requiert la nécessité. « Tu as différents serviteurs, les uns bons, les autres mauvais. Évidemment tu honores les bons et tu frappes les mauvais. Si tu es juge, tu loues les premiers et tu châties les seconds. Ainsi toi, qui n’es qu’un mortel, tu as souci d’observer la justice, et Dieu, le roi éternel de tous, s’abstiendrait de répartir de justes rétributions ? » Cat., xviii, 4, col. 1021. Les sanctions éternelles, dont Cyrille rappelle ici le fondement, sont donc pour lui, à n’en pas douter, des applications de la justice distributive, tô TÎj^ Sixaioawrçç àvTœ7roSoTtxov, et éeci vaut pour les récompenses aussi bien que pour les châtiments. Mais est-il besoin de dire que cette « rétribution » future, xpîaiç xal àvTar : 680a'.ç u.s~à tôv xôa[i.ov toGtov, ne se conçoit pas sans quelque chose à rétribuer ?

A l’attrait de cette récompense notre catéchète, en moraliste pratique et qui s’adresse au commun des fidèles, ne craint pas de demander un levier d’action. « L’espoir de la résurrection, avait-il dit quelques lignes auparavant, est la racine de toute la bonne conduite. Car l’attente du salaire, r) TrpoaSoxla -ït)ç [AiaOaTcoSoaîaç, fortifie l'âme en vue des bonnes œuvres. » Ibid., 1, col. 1017. Tandis que Jean Chrysostome s’attachait à réfréner, sans d’ailleurs l’interdire, la préoccupât on