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629 MÉRITE, TRADITION OCCIDENTALE : SAINT IIILAIRE, SAINT AMBROISE 630

écrit-il, on voit reculer dans une certaine mesure cet esprit du christianisme occidental qui avait trouvé sa plus puissante expression dans le De opère et eleemosynis de saint Cyprien..Mais, bien qu’il recule, il reste encore dominant. » Dogmeiigeschichte, t. iii, p. 51-52. Nous sommes suffisamment fixés sur la valeur de ces synthèses en ce qui concerne le iiie siècle pour en retenir seulement l’impression que l’équilibre de la pensée catholique au iv doit être bien constant, puisque nos adversaires eux-mêmes peuvent à peine le méconnaître. Aussi bien peu de faits seraient-ils plus difficiles à contester.

1. Saint Hîlaire.

« Par rapport à Hilaire, Fôrster a montré, Theol. Sludien und Kritiken, 1888, p. G45 sq., que, malgré sa dépendance des Grecs, il ne répudie pas les préoccupations pratiques et morales des Occidentaux. » Harnack, ibid., p. 51, n. 2. Il faut donc s’attendre à rencontrer chez lui la notion de mérite ; mais on ne nie pas qu’elle reste subordonnée à celle de grâce. Schultz, toc. cit., p. 41-42.

a) Réalité du mérite. — Mereri ejus est qui sibi ipsi meriti acquirendi auctor exsistat. De Trin., xi, 19, P.L., t.X, col. 413. C’est en prenant le mérite dans ce sens strict que l’évêque de Poitiers en fait pour chacun de nous une obligation : De nostro igitur est beata illa œternitas promerenda prseslandumque est aliquid ex proprio. In Mallh., vi, 5, t. ix, col. 953. Cf. De Trin., ix. 47, t. x, col. 319.

Aussi bien en avons-nous les moyens ; car c’est pour cela que Dieu nous a donné le libre arbitre : …Ut prsemium sibi volunlas bonitatis acquireret et esset nobis hujus beatitudinis profectus atque usus ex merito. In Ps. ii, 16, t. ix, col. 270. D’où la nécessité des bonnes œuvres, parmi lesquelles, contrairement aux rectrictions de H. Schultz, toc. cit., p. 42, on voit qu’il fait leur place aux pratiques de l’ascétisme. In Ps. xci, 10, t ix, col. 500 ; cf. In Ps. lxiv, 6, col. 416-417 ; In Matth., v, 2, ibid., col. 943.

Ces œuvres sont d’une importance telle que, pour Hilaire, notre élection se fait ex meriti dcleclu. In Ps. lxiv, 5, t. ix, col. 415. Déclaration qui appartient à cette catégorie de < propositions que nous qualifierions actuellement de semipélagiennes >, J. Tixeront, Hist. des dogmes, t. ii, p. 282, voir là-dessus l’art. Hilaire, t. vi, col. 2449-2451, mais qui ne laisse pas de doute sur la valeur réelle que l’évêque de Poitiers reconnaît à nos mérites devant Dieu. La gloire céleste a pour les saints le caractère d’une rétribution : Vitam retribui stipendiis sanctilatis, In Ps. CXLII, 13, t. ix, col. 842, et, contrairement à Origène, voir plus haut, col. 627, il compare sans scrupule leur situation à celle du bon ouvrier qui, la journée finie, peut réclamer à bon droit « comme une dette » le denier convenu : Beatus qui a mane usque ad noctem laborans pactum denurium tamquam debitum postulat. In Ps. CXXIV, 11, col. 725.

b) Valeur pratique du mérite humain. — A cette légitime confiance en nos bonnes œuvres Hilaire cependant oppose un double correctif. C’est, d’une part, le sentiment de nos péchés, qui laissent toujours une large place à l’exercice de la miséricorde : Non enim ipsa illa justiliæ opéra su/Jicient ad per/eclæ beatitudinis meritum nisi misericordia Dci eliam in hue justitiæ voluntate humanarum demutationum et moluum vitia non reputet. In Ps. li, 23, t. ix, col. 522. Cf. In Ps. cx.xxv, 4, col. 770. Et c’est aussi le fait que tous nos mérites dépendent de la grâce : Neque enim beatæ illius vilæ relernitatem consequi merito suo poteril [homo] nisi miserationibus ejus qui paler miserationum est provehatur. In Ps. CXVlIl, litt., x, 15, col. 569, 570. Voir J. Tixeront, Hist. des dogmes, t. ii, p. 281. De toutes façons, à l’arrogance insensée des chrétiens qui réclament le salut comme une chose due » :

nos vero salulem lanquam debitum postulamus. In Ps. CXYiu, litt. xix, 3, col. 626, il oppose la conduite des véritables saints, représentés par le Psalmiste, qui, au lieu d’étaler ses mérites, commence par reconnaître son indignité et ne veut compter que sur la divine miséricorde. Ibid., 3-6, col. 626-628. Cf. In Ps. ex viii, litt. vt, 3-1, col. 544 ; litt. xv, 5, col. 601 ; litt. iii, 1-2, col. 517.

Mais le besoin de la miséricorde n’exclut pas le mérite, pas plus que celui-ci n’empêche celui-là : Habuil quidem… hoc justitia verecundiæ ut quidquid illud sibi beatitudinis sperat id pro magni/icentia Dei polius… quam pro merito suo postulet. Sed tamen prseferens honorem et misericordiam Dei : merendi quoque id per se non exclusit ofjicium. Nam cum vivificandus sit, vivificandus tamen est in œquitate. In Ps. cxlii, 13, col. 842. Sur le terrain pratique et religieux où se meut toujours la pensée d’Hilaire, les titres respectifs de Dieu et de l’homme se conditionnent sans se léser.

2. Saint Ambroise.

De même en est-il, avec une note théologique peut-être plus étudiée, chez l’évêque de Milan. — Il y a déjà dans saint Ambroise, « de l’augustinisme avant Augustin et plus encore », d’après A. Harnack, Dogmeiigeschichte, t. ii, p. 51. « Avec lui, la doctrine de ses prédécesseurs commence à s’incorporer dans une conception évangélique fort accentuée de la grâce de Dieu, qui est en dernière analyse inconciliable avec la notion de mérite. » Incompatibilité dont il n’eut pas la moindre conscience. Car « ces principes n’empêchent pas Ambroise de retenir la conception traditionnelle. Et il en fut toujours ainsi dans le catholicisme précisé par lui et par Augustin. D’une part, on y trouve la complète négation de tout mérite au sens absolu, la reconnaissance de la libre grâce de Dieu comme source unique de notre salut, mais aussi, d’autre part, la ferme conviction que, précisément par cette libre grâce, un mérite nous est rendu possible, au moyen duquel nous pouvons et devons obtenir notre salùt par voie de juste rétribution. » H. Schultz, p. 34-35. Ou plus brièvement, avec F. Loofs, Dogmeiigeschichte, p. 338 : « Malgré son accentuation de la grâce, il accepte encore, comme Tertullien, entre Dieu et l’homme l’idée d’un rapport fondé sur le salaire. » Les textes justifient largement cette impression de témoins peu suspects.

a) Réalité du mérité. - - En effet, saint Ambroise répète à l’envi, suivant la foi commune, que les destinées éternelles de chacun sont commandées par ses mérites : Nonne evidens est meritorum aut præmia aut supplicia post mortem manere ? De ojjiciis, I, xv, 57, P. L. (édition de 1866), t. xvi, col. 44.

Dieu est essentiellement pour lui le remunerator meritorum. Exp. in Ps. cxviii, serm. ii, 7, t.. xv, col. 1276. Et c’est pourquoi il n’y a pas d’injustice dans ses jugements : Pro actibus hominis remunerationis est qualitas. Exp. in Luc., viii, 47, t. xv, col. 1869. Ce qui ne s’applique pas seulement aux pécheurs, mais également aux justes. Ibid., vii, 118, col. 1817. Cf. Expos, in Ps. OXVIII, serm. vii, 17, t. xv, col. 1354 ; De Caïn et Abel, II, ix, 31, t. xiv, col. 375 ; De Noe et arca, vii, 16, ibid., col. 389 ; Epist., xliii, 9, t. xvi, col. 1180.

Pour ce motif l’évêque de Milan place la prévision de nos mérites à la base de notre prédestination : … Palrem… non pelilionibus déferre solere, sed merilis, quia Deus personarum acceptor non est… Non enim anle priedestinavil quam præsciret, sed quorum mérita prsescivil corum præmia prxdestinavit. De fide, V, vi, 83, t. xvi, col. 692-693. Cf. In Luc, iii, 30, t. xv, col. 1685. D’où aussi l’inégalité des dons divins : Ubi diversa mérita, præmia diversa. Lib. de Joseph putr.,