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MÉRITE, TRADITION ORIENTALE : ORIGÈNE


dans le système chimérique du grand Alexandrin.

b) Valeur du mérite humain. — — Cependant ailleurs le même Origène paraît annuler le prix de nos œuvres en regard de la vie éternelle.

A première vue, dit-il dans son Commentaire de l’Épître aux Romains, le texte de saint Paul : Ei qui operatur merces non imputatur secundum gratiam sed secundum debilum, Rom., iv, 4, semblerait signifier que la valeur des œuvres relève de la justice : Videtur ostenderc quasi in fide quidem gralia sil justificaniis, in opère vero justilia rétribuerais. Et tel est bien le sens littéral de l’apôtre ; mais Origène de réagir au nom des droits supérieurs de la grâce : Sed ego… vix mihi suadeo quod possit ullum opus ess ? quod ex debito remunerationem Dei deposcat, cum etiam hoc ipsum quod agere aliquid possumus, vel cogitare, vel proloqui, ipsius dono et largitione faciamus. Quod ergo eril debilum illius cujus erga nos fœnus præcessit’l In Rom., iv, 1, P. G., t. xiv, col. 963-964. Le texte grec correspondant, conservé dans les Chaînes, est édité par A. Ramsbotham, Journal of theological studies, t. xiii, 1911-1912, p. 368. Il permet de se rendre compte que « Rufin reproduit ici librement l’original, tout en en respectant la pensée ». Verfaillie, op. cit., p. 116, n. 30.

Origène quitte donc le terrain précis des œuvres préparatoires à la justification sur lequel se tenait saint Paul. Il pense aux œuvres en général, même et surtout à celles qui suivent le don de la grâce, et, précisément pour ce motif, il leur refuse le droit à une rémunération ex debito. Comment parler de justice dès lors que nos actes bons ne sont que l’utilisation d’un capital divin ?

Notre théologien tient tellement à cette idée qu’il ne voit pas d’autre moyen pour sauver cette merces secundum debilum qu’affirme ici l’apôtre que de l’appliquer, en dépit du contexte, au cas des damnés. Car, à leur endroit, se réalise bien la stricte justice : Quibus ulique quasi débita pœna pro mercede iniquitatis exsolvitur. Mais elle ne saurait exister pour les élus. — En confirmation de sa thèse, Origène invoque un autre texte de saint Paul, Rom., vi, 23, dans l’interprétation duquel il apporte la même rigueur d’exégèse que plus tard les dogmaticiens de la Réforme : Stipkndia, inquit, peccati mors et non addidit ut similiter diceret : Stipendia autem justitise vila selerna, sed ait : Gratia autem Dei vita ^eterna, ut stipendium, quod utique debito et mercedi simile est, relributionem pœnse esse doceret et morlis, vitam vero seternam soli gralise consignarct. Ibid., col. 964. Il va de soi que les protestants n’ont pas manqué d’exploiter à leur profit ce texte. Voir Gerhard, Loci Iheologici, loc. XVIII, c. viii, n. 105, édition Cotta, t. viii, p. 108.

A plus forte raison, à la suite de Rom., viii, 18, Origène n’admet-il pas qu’on parle de proportion entre les épreuves d’ici-bas et la gloire future. Tandis que les consolations présentes nous sont données secundum mensuram, la récompense du ciel est au delà de toute mesure, parce que d’ordre transcendant. In Rom., vn, 4, col. 1108-1109. Néanmoins il reste que nos bonnes œuvres ne sont pas perdues. Car, non seulement elles entraînent comme récompense l’augmentation de la grâce : Si autem inanem non feceris gratiam, multiplicabitur tibi gralia et tamquam mercedem boni operis gratiarum multitudinem consequeris, ibid., viii, 7, col. 1179, mais elles nous valent en retour la vie éternelle : Quierenlibus, inquit, gloriam et honorem et incorruptioncm (Rom., ii, 7) pro boni operis patientia vita œterna dabitur. Ibid., ii, 5, col. 880. Cf. col. 881 : lnquisitor hujus glortse… per patienliam boni operis vitam consequitur eeternam, et ibid., 7, col. 887 : Per patienliam boni operis… vita alterna reddctur.

Il reste donc, au total, que les réflexions critiques

d’Origône sur la valeur du mérite n’en ébranlent aucunement la réalité.

c) Problème théologique du mérite. — Ces deux séries d’affirmations en apparence contradictoires nous laissent néanmoins en présence d’une sorte d’antinomie, où nos bonnes œuvres sont tout à la fois et ne sont pas un titre à la gloire céleste.

Pour la résoudre, on peut tout d’abord observer, avec C. Verfaillie, op. cit., p. 116-117, qu’Origène conteste seulement à nos mérites une valeur en stricte justice, ex debito. Ce qui signifierait qu’il cherche uniquement à préciser le degré du titre dont il reconnaît l’existence. La raison en est que tout ce que nous avons est un don de Dieu, et cette dépendance nous interdit toute prétention à un rapport de justice à son endroit : Sciendum sane est quod omne quod habent homines a Deo gratia est. Nihil enim ex debito habent. In Rom., x, 38, t. xiv, col. 1287. Cependant cette explication n’épuise peut-être pas la pensée d’Origône. Son dernier mot étant pour rattacher la vie éternelle à la « seule grâce », n’est-ce pas le fondement intrinsèque du mérite humain qu’il semble mettre en cause, dès là que la grâce en est nécessairement le principe ? Il est remarquable, en tout cas, que sa pensée s’arrête à un point d’interrogation, au lieu de s’achever en réponse.

Ainsi donc il n’est pas douteux qu’Origène a soulevé le problème fondamental que pose la doctrine du surnaturel, et ceci fait honneur à l’acuité de son sens théologique. La solution eût consisté à montrer, comme le fera saint Augustin, voir col. 6c0, que la valeur du mérite réside précisément en ce qu’il est un fruit de la grâce, un produit combiné de l’action divine et de notre libre coopération. On voit d’ailleurs qu’Origène tenait en main les éléments de cette synthèse, quand il rappelle, d’après I Cor., iii, 6-7, l’exemple classique de la plante qui pousse moyennant le travail du jardinier qui l’arrose et de Dieu qui lui donne l’accroissement, exemple auquel il ajoute pour son compte celui du navire qui échappe à la tempête grâce aux efforts des matelots et à la puissance de Dieu qui le ramène au port. De princ. III, i, 18, P. G., t. xi, col. 289-292. Mais il ne semble pas en avoir fait l’application à la question précise de la valeur de nos œuvres qui avait si nettement traversé son esprit.

En même temps qu’il témoigne de la tradition catholique en matière de mérite, Origène inaugure l’analyse théologique sur ce point, et, s’il n’a pas lui-même entièrement résolu le problème, il en a du moins saisi les données plus clairement que personne avant lui, et fait les premiers pas sur le chemin où l’on devait en chercher plus tard la solution. Par la pénétration de son génie spéculatif, Origène avait donné à la théologie grecque une avance notable sur l’Occident, que celui-ci ne devait pasrattrapper avant saint Augustin.

III. L’Église du ive siècle. — Il fallait insister sur le iiie siècle, puisqu’il est unanimement reconnu que les positions essentielles sont prises dès ce moment-là par les Pères qui représentent le mieux les tendances respectives des deux parties de la chrétienté. Ce qui nous donne le droit de nous en tenir à quelques indications sur la manière dont ces positions initiales furent conservées par les Pères du siècle suivant.

En Occident.

Autant la critique protestante

se montre généralement sévère pour les Pères latins du m » siècle, autant elle témoigne à ceux du ive des égards imprévus. Ceux-là n’auraient fondé le catholicisme qu’au détriment de l’esprit chrétien : au contraire, un peu de christianisme reparaîtrait avec ceux-ci. Ici encore, A. Harnack a donné le ton. « Dans l’œuvre dogmatique des théologiens latins du iv siècle