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MÉRITE, TRADITION OCCIDENTALE : SAINT CYPRIEN


Dogmengeschichle, t. iii, p. 23. Cf. t. ii, p. 179-180. Ici encore cette appréciation fait loi pour H. Schultz, loc. cit., p. 32-33, et inspire la nouvelle monographie de K. H. Wirth, Der Verdienst-Begri/J bei Cyprian, Leipzig, 1901. C’est dire qu’il nous suffira de quelques indications sur une doctrine dont ces jugements mêmes attestent suffisamment l’inspiration catholique.

a) Réalité du mén’e. — Pour l’évêque de Carthage comme pour Tertullien, le jugement divin, qui est l’œuvre éminemment de sa justice, doit consister dans le discernement des mérites : Singulorum mérita recognoscere. Epist., lviii, 10, édition Hartel, p. 66 >. Aussi, pour les justes, l’éternité promise a-t-elle le caractère d’une récompense : Meritis atque operibus nostris preemia promissa conlribuens. De opère, et eleem., 26, édit. Hartel, p. 394. Cî.Dedominica oralione, 32, p. 290 : Prsemium pro operibus. Récompense qui n’est pas uniforme, mais comporte des degrés en proportion de nos œuvres : il y a place pour des ampliora præmia, De mortalitate, 26, p. 314, et donc aussi pour des meritorum titulos ampliores. Epist., lxxvi, 1, p. 828. Autres textes dans Wirth, p. 85-89.

Voilà pourquoi la grande affaire de la vie est de s’acquérir des « mérites » en vue du dernier jour. Chef d’une grande Église, et à une époque où le relâchement se faisait déjà sentir, moraliste et homme d’action par tempérament, Cyprien insiste sur ces exigences pratiques de la vie chrétienne. S’il est vrai que toute son œuvre est « un grand et pressant appel » à l’acquisition de mérites pour la vie future, Wirth, p. 93, c’est la preuve de l’application que mit toujours l’Église à faire fructifier en réalités morales les principes de la foi.

Dieu, en effet, étant le maître que nous devons servir, notre devoir envers lui prend une double forme : Deo bonis jadis placere et pro peccatis satisfacere. Epist., xi, 2, p. 496. Tout le monde étant plus ou moins pécheur à quelque titre, l’expérience oblige le docteur chrétien à insister plutôt sur la satisfaction. Ce terme, qui s’applique parfois au service normal de Dieu, Ad Demetr., 25, p. 369, cf. Wirth, p. 34 et 38, désigne en effet, d’ordinaire, l’œuvre nécessaire de réparai ion. Elle se fait tout d’abord par l’ensemble de la vie chrétienne : Deo… precibus et operibus suis satisfacerr, Epist., xvi, 2, p. 518, et Cyprien de bien pre< iser, ca moraliste averti, que les prières toutes verbales sont peu de chose si elles ne s’accompagnent d’œuvres effectives. De dom. oral., 32, p. 290. Les grands moyens de satisfaction sont donc l’exercice de la pénitence canonique, De lapsis, 15-21, p. 247253, et la pratique de l’aumône. De opère et eleem., 5, p. 376-377. Abondantes citations dans Wirth, p. 30-54.

b) Principe du mérite. — Moins philosophe que Tertullien, Cyprien ne s’explique guère sur ce qui fait, à ses yeux, le mérite de ces œuvres.

On devine pourtant sa pensée dans le fait qu’il insiste à plusieurs reprises sur le libre arbitre, Epist., lix, 7, p. 674, voir Wirth, p. 51, 105-110, et qu’il en appelle perpétuellement à la générosité du chrétien, soit pour endosser les charges salutaires de la pénitence, De lapsis, 29, p. 258, soit pour se livrer à des œuvres de surérogation comme la virginité, De habitu virginum, 23, p. 203-204, ou la charité sans limites, De opère et eleem., 9-11, p. 380-382. Textes dans Wirth, p. 54-74. Dans les unes et les autres, ce qui est fondamental, c’est l’effort personnel qu’elles traduisent. Aussi bien ne lui a-t-on pas reproché, du côté protestant, Wirth, p. 148, « cette surestime de la personnalité morale de l’homme » ?

Il n’y aurait vraiment lieu de crier à la » surestime » de l’œuvre humaine que si cette valeur morale était indépendante de Dieu. Mais l’évêque de Carthage

n’oublie pas de la subordonner à la grâce, et non pas seulement à la grâce lointaine de la rédemption qui nous est libéralement communiquée par la régénération baptismale, nombreux témoignages réunis dans Wirth, p. 111-121, mais à l’action immédiate de Dieu sur notre volonté : Dei est, inquam, Dei omne quod possumus. Ad Donat., 4, p. 6. F. Loofs, Dogmengeschichle, p. 433, cf. p. 389, reconnaît que la grâce signifie déjà pour lui, comme pour saint Augustin, « une communication intérieure de force pour le bien ».

Rien de plus normal que de rencontrer, au terme de telles prémisses, ces formules purement augustiniennes qui surprennent A. Harnack, Dogmengeschichte, t. iii, p. 22, note : (Deus] adjuvat dimicantes, vincenles coronat, relribulione bonitatis ac pietatis paternæ rémunérons in nobis quidquid ipse præstitit et honorons quod ipse perjecil. Epist., lxxvi, 4, p. 831. Entre l’homme et Dieu il y a donc collaboration. « Le don divin de la grâce est un commencement et l’homme est responsable de sa continuation. » Wirth, p. 113. Régénérés parle baptême, incorporés à l’Église, nous sommes en possession d’un « vaste instrument de grâce ». « Mais que cet instrument fonctionne à notre profit, c’est le mérite de notre propre action. » Ibid., p. 117-118.

c) Valeur du mérite. — Pour exprimer ce mérite, Cyprien emploie bien, à l’occasion, des termes juridiques qui sembleraient indiquer un droit absolu de notre part. Wirth, p. 165-167. Non seulement il donne, à tout instant, la gloire céleste comme une sorte de salaire, merces, mais il parle de nos mérites comme de « titres », Epist., lxxvi, 1, p. 828, et il assure que nos aumônes font de Dieu notre créancier : Qui miseretur pauperis Deo fœnerat. De opère et eleem., 15, p. 385. Cf. De dom. orat., 33, p. 292.

Il ne faut pourtant pas être dupe de ces images et s’empresser d’y voir, avec R. Seeberg, Dogmengeschichle, 1. 1, p. 544, l’expression d’un « droit contractuel ». H. Wirth lui-même, après avoir affirmé l’existence de ce rapport juridique, est obligé de convenir qu’il doit s’entendre sous beaucoup de réserves. Op. cit., p. 52 et 74. En réalité, il est objectivement annulé par l’affirmation préalable de la grâce dont il dépend. Aussi l’évêque de Carthage ne manque-t-il pas d’emprunter à l’Écriture la leçon fondamentale quod nemo in opère suo exlolli debeat. Teslim., iii, 51, p. 154. Ce n’est pas sans raison que, plus tard, saint Augustin devait faire état de ce passage. De correplione et gratia, vii, 12, P. L., t. xliv, col. 924.

Même quand ils rendent convenable justice aux divers aspects de sa doctrine du mérite, leurs préjugés confessionnels forcent les historiens protestants à conclure que par là Cyprien quittait le terrain du christianisme. Wirth, p. 146. C’est la preuve que le christianisme a bien chez lui le sens que l’Église lui a toujours donné.

En Orient.

Vérifiée en Orient « depuis le milieu

du second siècle », voir plus haut, col. 617, l’affirmation simultanée de la grâce et du mérite continue à rester « une chose qui va de soi pour les’épigones postérieurs de la piété orientale ». Mais « les deux concepts de grâce et de mérite ne sont nulle part rapprochés et systématisés en une doctrine ferme. Nulle part on n’y trouve employées avec suite des notions de caractère juridique. Les éléments moraux, religieux et juridiques, y apparaissent côte à côte. Un langage précis, comme celui qui s’organise chez les Occidentaux autour du terme meritum, n’est pas encore formé. Et l’on ne se sent aucunement empêché de parler de grâce dans un sens purement religieux. » H. Schultz, loc. cit., p. 21.

Ce qui veut dire que la différence entre l’Orient et l’Occident, sur laquelle A. Harnack appuie encore