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MÉRITE, TRADITION OCCIDENDALE : TERTULLIEN


feslissime ostendilur… præparans ulrisque quæ sûnl apiu, quemadmodiim et unus judex ulrosque in aplum miltens locum.

Ces sanctions et destinations « appropriées » ne supposent-elles pas un mérite chez celui qui les reçoit ? Quelques lignes plus bas, on en devine presque le mot sous la gaucherie de la traduction. Qui ergo regnum præparavit justis Paler, in quod assumpsil Filius ejus dignos, hic et caminum ignis præparavit in quem dignos mittent… angeli. IV, xl, 2, col. 1113. Et l’on remarquera le parallélisme qui fait que, pour lui, cette « dignité » existe aussi bien en vue de la récompense qu’en vue du châtiment. La parabole de la semence, allégoriquement interprétée des âmes humaines, lui permet ailleurs d’affirmer que cette récompense elle-même est proportionnée à la « dignité » de chacun. Car la vision béatifique sera mesurée xocô’cbç a^toi saovrat. oi ôpàivTeç ocùtôv, et, d’une manière générale, omnibus divisum esse a Pâtre secundum quod quis est dignus aut erit. V, xxxvi, 1-2, col. 1222-1223. Il ne faut pas oublier cependant que ces rétributions finales sont subordonnées au don gratuit de l’appel divin. La parabole des invités aux noces fournit à saint Irénée l’occasion de le rappeler expressément et de marquer, en conséquence, la nuance qui distingue la conduite de Dieu envers les justes et les pécheurs. Gratuito quidem donat in quos oportet, secundum autem meritum dignissime distribuit adversus ingratos et non sentientes benignitaiem ejus juslissimus retributor. IV, xxxvi, 6, col. 1096.. Il est remarquable que le terme meritum soit ici réservé aux coupables ; mais ce’te particularité de son vocabulaire ne doit pis faire méconnaître que, pour l’évêque de Lyon, le concept de mé ite s’applique (’gaiement aux saints.

Sous des formes différentes, qui tiennent aux tempéraments ou aux circonstances, tous les témoins du christianisme primitif sont d’accord pour demander des œuvres au chrétien justifié par la grâce divine et affirmer que son salut en dépend. Tout l’essentiel du mérite tient en cette double affirmation.

IL L’Église du ine siècle. — Sur cette base commune la théologie naissante du iue siècle ne tranche guère que par l’abondance des témoignages et la précision croissante des concepts

En Occident.

— A l’Église latine le « génie positif » 

de ses représentants, Tixeront, op. cit., t. i, p. 410, ainsi que la rigueur juridique de la langue dont ils disposent, assurent, à cet égard, une incontestable supériorité. Elle s’affirme chez ses deux premiers docteurs : Tertullien et saint Cyprien, qui, sur ce point comme sur bien d’autres, allaient créer dès le premier jour les formules de l’avenir.

1. Tertullien.

« Étrangers à la spéculation philosophique et proprement religieuse, dominés par un moralisme étroit mais puissant, les Latins ont eu, depuis le commencement, la tendance à faire descendre la religion dans le domaine du droit. » A. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichle, 4e édition, Tubingue, 1909, t. ii, p. 179. D’où la grande importance qu’ont chez eux les concepts juridiques de satisfaction et de mérite. Le « juriste Tertullien >< serait de cette tendance le premier témoin, et, pour une bonne part, l’auteur responsable.

Cette vue synthétique de l’historien berlinois est demeurée régulatrice pour les auteurs protestants. H. Schultz s’y réfère en tête des pages qu’il consacre à Tertullien, loc. cit., p. 24-28, et la thèse du D r K.-H. Wirth, Der Begriff des « Meritum » bei Terlullian, Leipzig, 1892, reprise peu de temps après comme première partie de son étude intitulée : Der Verdienstbegriff in der christlichen Kirche, Leipzig, 1892, semble écrite tout entièrejpour l’appuyer. Ces deux monographies, la dernière surtout, ont l’avan tage d’offrir un dépouillement très complet et très méthodique des textes. Elles donnent par là le moyen de voir comment Tertullien a mis sur la tradition générale de l’Église l’empreinte de son génie particulier.

a) Le terme de mérite. — On doit tout d’abord à Tertullien la première attestation, sinon la création, du* terme précis qui manquait encore à la langue chrétienne sur ce point.

L’idée qui paraît fondamentale chez lui, et en cela il fait écho à la plus pure foi traditionnelle, est celle des rétributions futures. En ellet, le principal de la révélation confiée aux prophètes tient pour lui dans la communication de la loi divine et dans l’annonce du jugement qui aura lieu ad utriusque meriti dispunctionem. Apol., 18, P. L., 1. 1, col. 434-435. Dogme capital dont il est heureux de saisir l’intuition dans les mouvements spontanés de 1’ « âme naturellement chrétienne ». Ibid., 17, col. 433 ; De teslimonio anima ;, 2, ibid., col. 685. Voilà pourquoi il s’élève plus tard avec ironie contre l’étrange théodicée de Marcion, qui veut ravir au vrai Dieu l’attribut de justice. Adv. Marc I, xxvii, t. ii, col. 303-305 ; cf. IV, xvii, col. 429-430. — Entre les justes eux-mêmes cette loi de justice établit une inégalité proportionnelle à la valeur de chacun. Quomodo multie mansiones apud Palrem si non pro varietale meritorum ? Quomodo et Stella a Stella distabit in gloria nisi pro diversitate radiorum ? Scorpiace, 6, t. ii, col. 157. Cf. De palientia, 10, t. i, col. 1376 : Par factum par habet meritum, et Lib. ad Scapulam, 4, col. 782 : Majora certamina majora sequuntur prsemia.

II n’y a là de nouveau que l’introduction du terme technique de « mérite ». Tertullien le rencontre tout naturellement sous sa plume pour exprimer le titre subjectif qui motive de notre part la diversité des sanctions divines. Et ceci prouve combien profondément cette notion est liée à celle de récompense. La précision de la langue latine ne fait ici que dégager explicitement le rapport qui restait implicite dans le langage plus simple et plus direct de l’Écriture ainsi que des premiers Pères. Ce progrès de l’analyse et du vocabulaire allait rester acquis pour toujours en Occident ; il n’est pas contestable que Tertullien en soit le plus ancien témoin et sans doute le principal ouvrier.

b) Le cadre du mérite. — Mais, loin de rester une sorte de bloc erratique, cette idée est encadrée dans un système cohérent. Tous les historiens sont d’accord pour relever l’esprit juridique dont s’inspire la théologie de Tertullien et qui se reflète dans son langage. « Les rapports entre Dieu et l’homme, d’après J. Tixeront, op. cit., 1. 1, p. 409, sont présentés par lui comme des rapports de maître à serviteur et en entraînent les conséquences. » « Tout le christianisme, écrit de son côté R. Seeberg, Lehrbuch der Dogmengeschichle, t. i, Leipzig, 1908, p. 353, tombe chez lui sous le point de vue de la loi. » Voir les nombreux textes réunis dans ce sens par A. Harnack, Dogmengeschichle, t. iii, p. 16-19.

C’est ainsi que Dieu est avant tout regardé comme le législateur et l’Évangile comme l’expression de sa volonté sur nous. Le bien consiste essentiellement à se conformer à son vouloir et non pas à chercher ce qui nous est utile : Neque enim quia bonum est auscultare debemus, sed quia Deus præcepit. Ad exhibitionem obsequii prior est majestas divinse potestatis, prior est auctoritas imperantis quam utilitas servientis. De pœnitentia, 4, t. i, col. 1234. Parce que maître souverain, il appartient à Dieu d’être aussi le suprême rémunérateur. Bonum factum Deum habet debitorem, sicuti et malum, quia judex omnis remunerator est causæ. Ibid., 2, col. 1230.