Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/314

Cette page n’a pas encore été corrigée

6J3

    1. MÉRITE##


MÉRITE, PÈRES APOSTOLIQUES

614

c’est-à-dire par la direction même que l’Église donnait à la piété de ses enfants. Mais le besoin ne devait pas se faire sentir avant longtemps de classer et équilibrer les éléments respectifs du cas.

Aussi chercherait-on en vain à l’époque patristique, même sous forme d’ébauche, une systématisation que rien n’appelait. C’est seulement en groupant les déclarations occasionnelles et relevant les indices epars que l’on peut retrouver la doctrine des Pères sur le mérite. Dès lors, l’obligation s’impose d’une particulière prudence avant de prêter à ces témoins de l’ancienne Église des synthèses qu’ils n’ont pas eux-mêmes conçues. Sous le bénéfice de cette réserve, il n’est pas difficile d’apercevoir de quelle manière ferme et constante s’affirme l’orientation catholique de leur pensée.

Quand vinrent les controverses du xvie siècle, les protestants ont souvent chicané sur le sens et la fréquence du terme mérite chez les Pères. Au rapport de Bellarmin, De justifîcatione, 1. V : De meritis operum, c. i, Opéra omnia, t. vi, p. 344, Bucer aurait même avancé qu’il leur était totalement inconnu. On verra sans peine que rien n’est moins exact et qu’il ne fut pas de mot plus familier tout au moins à la théologie latine. Au demeurant, c’est surtout la chose qui importe. Or il n’y a pas de doute possible sur leur conviction relativement à la valeur des œuvres du chrétien justifié.

La controverse pélagienne elle-même n’a rien introduit d’essentiellement nouveau sur ce point. Tout au plus peut-on dire qu’elle a fourni l’occasion d’affirmer plus nettement la part nécessaire de la grâce à la source du mérite humain. Mais, au fond, à peine marque-t-elle une étape dans la marche continue de la tradition catholique dont il nous faut suivre la formation et le développement. — I. Le christianisme primitif : i"-ne siècles. II. L’Église du m » siècle, (col. 619). III. L’Église du ive siècle (col. 628). IV. La controverse pélagienne (col. 639). V. Après saint Augustin (col. 651).

I. Le christianisme primitif : i"-ne siècles. — Esclaves de leur dogmatisme et insensibles au mouvement historique, les anciens polémistes protestants croyaient pouvoir opposer à la tradition catholique le témoignage des Pères, surtout des plus anciens. Il leur suffisait pour cela de réunir quelques textes disparates qui semblent supprimer ou réduire le mérite de l’homme, sans prendre garde à tous ceux qui en impliquent par ailleurs la réalité. C’est contre une argumentation de ce genre qu’est dirigée la discussion de Bellarmin, De justifîcatione, t. V, c. vi, Opéra omnia, t. vi, p. 355-357, à laquelle s’opposent, du côté de l’orthodoxie luthérienne, les longues réfutations de .1. Gerhard, Con/essio catholica, t. II, p. ni, art. xxiii, c 8, édition de Francfort, 1679, p. 1533-1544, et Loci theotogici, loc. XVIII, c. viii, n. 124, édition Cotta, Tubingue, 1768, t. viii, p. 147-150.

Aujourd’hui, au contraire, les protestants reconnaissent assez volontiers que la tendance catholique s’affirme de « bonne heure » chez les Pères. F. Lichtenberger, art. Mérite, dans Encyclopédie des sciences religieuses, t. ix, p. 89. Mais ils rachètent cet aveu en la présentant comme une déviation par rapport aux principes chrétiens. « S’ils n’est pas douteux que cet esprit pharisaïque qu’avait dû combattre saint Paul méconnaissait et altérait l’idée fondamentale de l’Évangile, la plus ancienne littérature issue du paganochristianisme, celle des Pères apostoliques et des Apologistes, nous montre cependant que l’Évangile fut tout aussitôt et comme involontairement introduit dans les cadres rigides de la notion de mérite. » J. Kunze, art. Verdienst, dans Prolest. Realencyclopddie, t. xx, p. 501. Nous avons assez vu par l’étude

directe des textes la complexité de l’Évangile pour pouvoir recueillir sans arrière-pensée cet hommage rendu à la continuité de la tradition catholique.

Tout au plus voudrait-on maintenir une diversité de tendances et d’esprit entre l’Orient et l’Occident. Fortement charpentée par Tertullien, la théologie du mérite serait restée depuis une des caractéristiques du catholicisme latin, tandis qu’une tournure plus mystique et donc plus détachée des œuvres humaines aurait toujours présidé à la pensée et à la vie religieuse des Grecs. En attendant de voir à quoi se ramènent ces nuances et de se rendre compte qu’elles ne constituent pas une opposition, il faut rappeler comment s’affirment, dès les premiers siècles, les principes catholiques reconnus communs à tous.

Différents à bien des points de vue par leurs préoccupations doctrinales et le caractère de leurs œuvres, les Pères des deux premiers siècles se ressemblent en ceci qu’ils reflètent en toute paix et simplicité la foi de l’Église sur une matière pratiquement liée à toute la vie chrétienne sans que rien amenât encore à en préciser le concept. A cet égard, « l’ancienne Église n’a ni éprouvé de difficulté ni tenté de systématisation. A côté de la grâce de Dieu, l’acquisition d’une récompense pour l’action de l’homme apparaît comme chose naturelle et qui va de soi. » H. Schultz, Der siltliche BegrifJ des Verdienstes, p. 17-18.

Pères Apostoliques.

On peut d’autant plus

s’attendre à voir se vérifier cette observation générale chez les Pères Apostoliques que les petits écrits qui nous restent d’eux ont un but tout parénétique et moral. Il n’est pas de témoins plus qualifiés pour nous faire connaître ce que fut sur ce point le christianisme primitif.

1. Témoins anonymes.

Un groupe distinct est fait de deux écrits anonymes qui remontent à la fin du i er siècle ou au début du second. — Premier en date de tous les catéchismes, la Didachè débute par le thème classique des deux voies, où sont classées les œuvres qui conduisent à la vie et celles qui mènent à la mort. Didach i-vi. Résultat qui suppose, sans que l’idée soit formellehient exprimée nulle part, que ces œuvres constituent la base du jugement divin que l’auteur évoque en terminant devant ses lecteurs. Ibid., xvi. — Ce même développement reparaît dans l’Épître dite de Barnabe, xviii-xx, pour aboutir à cette conclusion d’un incontestable moralisme : « Il est donc bien pour l’homme qui connaît les commandements du Seigneur d’y marcher selon qu’ils sont écrits. Car celui qui les accomplit sera glorifié dans le royaume de Dieu ; celui, au contraire, qui choisit les autres périra en même temps que ses œuvres. Voilà pourquoi il y a une résurection. voilà pourquoi une rétribution », Stà toùto àvT<XTu680jJ.a xxi, 1. Plus haut, l’auteur avait dit expressément qu’au jour du jugement chacun recevra selon ses œuvres. « S’il est bon, sa justice le préc’dera ; s’il est mauvais, le salaire de son iniquité est devant lui. » iv, 12. La corrélation des deux actes oblige, de toute évidence, à concevoir également comme un « salaire » la récompense des actes bons.

2. Saint Clément.

D’inspiration toute pratique sont aussi les écrits qui portent le nom de saint Clément, mais avec des vues plus complètes sur la psychologie de l’âme chrétienne devant Dieu.

a) Lettre aux Corinthiens. — Seule est aujourd’hui retenue comme authentique la lettre célèbre à l’Église de Corinthe. Elle tend tout entière à détourner les chrétiens des « œuvres vaines », ix, 1, et à leur recommander les autres. Il n’est pas inutile d’observer qu’aux yeux de l’auteur les bénédictions qu’Abraham et les patriarches reçurent de Dieu ont, à bien des égards, le caractère d’une récompense, a A cause de sa