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MÉRITE, DOCTRINE DE SAINT PAUL


Augustin. » Il l’était même déjà par Origène. Voir plus bas, col. 627 et 650. « Les protestants en concluent que Paul exclut le mérite. Mais les mérites dont parlent les catholiques sont des mérites acquis sous l’influence de la grâce. » C’est dire que, si ce passage invite à ne pas oublier ce qu’il y a de gratuit dans le don de la vie éternelle, il n’empêche pas de reconnaître, à condition qu’il soit constant par ailleurs, le caractère méritoire de nos œuvres à son endroit.

Or il n’est pas douteux qu’il n’y ait corrélation, aux yeux de l’Apôtre, entre notre vie d’ici-bas et nos destinées futures. Il en est ainsi déjà pour le Christ, qui fut couronné de gloire à cause de son sacrifice. Pliil., ii, 8-9. De même en sera-t-il pour nous : Ce que l’homme aura semé, il le moissonnera. » Et cette règle vaut pour la « vie éternelle », tout autant que pour la « corruption ». Gal., vi, 7-8 ; cf. Rom., viii, 13. Aussi bien ailleurs, et cela dans un contexte nettement eschatologique, saint Paul parle-t-il expressément de « récompense », ii, ic66ç, I Cor., iii, 8, 1-1, le même mot qu’il écartait, Rom., iv, 4, à propos des œuvres qui précèdent la justification. Mais est-il besoin de noter que, si l’idée de récompense n’exclut pas du tout la bonté chez celui qui l’accorde, elle implique nécessairement un certain titre chez celui qui la reçoit ?

Cette valeur objective de nos actes est, du reste, formellement rattachée par saint Paul à l’attribut divin de justice. Il faut se souvenir, en effet, qu’un jour doit se manifester « le juste juger de Dieu », Sixaioxp’.aîa toù ©eoû, qui « rendra à chacun selon ses œuvres », ànoSûosi. éy.àaTtp xaxà Ta ëpya « ùtoû. Et ceci comporte la double alternative de « la vie éternelle à ceux qui se livrent avec persévérance aux bonnes œuvres » et de la colère à ceux « qui, indociles à la vérité, sont dociles à l’injustice ». Rom., ri, 5-8 ; cf. II Cor., v, 10 ; xi, 15 ; II Tim., iv, 14. « C’est, note Je P. Lagrange, op cit., p. 45, le principe fondamental de la sanction morale, dans le Nouveau Testament comme dans l’Ancien. » Et c’est aussi, par le fait même, la consécration du mérite qui en fait la base. Cf. I Cor., iv, 5, où il est dit à propos du dernier jour : T6ts ô zizolivoç… éxâaTCp ùtzo toû 0eoû.

A propos de ce « juste jugement de Dieu », l’Apôtre énonce encore la même loi dans IIThess., i, 5-7 : « …Dieu veut vous rendre dignes de ce royaume pour lequel vous souffrez, sic tô xa-a^ioj67)va’. ûfiàç -rrjç paaiXeîxç. Car il est juste aux yeux de Dieu de renvoyer l’affliction, àvTaTToSo’jvai., à ceux qui vous affligent et de vous accorder à vous, les affligés, le repos avec nous. » « Dieu, expose fort bien F. Prat, La théologie de saint Paul, Paris, 10° édition, 1925, p. 456, nous ménage l’épreuve pour nous rendre dignes de la couronne ; en l’accordant, il fait acte de justice ; il exerce un jugement aussi juste qu’en la refusant aux impies ; des deux côtés, il y a rétribution. On ne saurait dire plus clairement que le royaume de Dieu se conquiert, se gagne, se mérite. Certes, on travestirait la pensée de Paul en supposant que le mérite, tout réel, tout personnel qu’il est, puisse être le fait de nos seuls efforts. C’est Dieu qui, après nous avoir mis en main le pouvoir de mériter, nous excite et nous aide à en faire usage… Il n’en est pas moins vrai que le mérite est nôtre et nous crée un droit véritable auprès de Dieu. »

C’est pourquoi le céleste « héritage » reçoit ailleurs, Col., iii, 21, le nom même de « rétribution » : EîSôteç -’. y.-b toû xuptou à— o>.r ( ys<j6s tt)v àvTa7r680ai.v t ? ;  ; JcX7]povo|iiaç. « Visiblement, conclut avec raison II. Schultz, loc. cit., p. 13, Paul n’a ressenti aucune difficulté dans ces conceptions qui pour les réformateurs, dans leur systématisation de la pensée paulinienne. sont devenues difficilement assimilables. »

On peut même entrevoir qu’il y a une certaine proportion entre nos œuvres et les degrés de la récompense. Car la gloire qui attend les hommes à la résurrection est inégale, I Cor., xv, 41-42, et cette inégalité ne saurait avoir d’autre cause que le travail ou la générosité de chacun. Ibid., iii, 8 ; II Cor., ix, 6 ; Eph., vi, 8. Il reste, au demeurant, qu’on ne saurait établir de commune mesure entre nos humbles efforts et la gloire qui en est le terme, soit à cause de la transcendance propre à celle-ci, I Cor., ii, 9, soit parce que nos épreuves momentanées d’ici-bas ne sont rien en comparaison d’une béatitude sans fin. Rom., viii, 18 ; II Cor., iv, 17-18. Et par là s’accuse encore ce qu’il y a de grâce jusque dans la récompense que nous sommes admis à mériter.

De ces principes découle une pédagogie spirituelle, dont saint Paul esquisse çà et là les grandes lignes. Parce que le salut est entre nos mains, nous devons « abonder en toute œuvre bonne », II Cor., ix, 8, cf. Gal., vi, 9, avec la ferme assurance que « notre effort n’est pas vain dans le Seigneur ». I Cor., xv, 58. Mais aussi, parce qu’il est entièrement subordonné à la grâce, ce n’est pas en nous-mêmes, mais en Dieu qu’il convient de nous glorifier. I Cor., i, 31 ; II Cor., x, 17-18 ; cf. Rom., xi, 17-24. Et parce que nous sommes des êtres fragiles, il y a toujours lieu pour nous de travailler « avec crainte et tremblement ». Phil., ii, 12. C’est entre ces deux pôles également certains de sa foi que l’âme chrétienne doit se tenir, sans que la confiance en Dieu doive lui faire méconnaître sa propre responsabilité et, réciproquement, sans que celle-ci puisse lui faire perdre de vue celle-là.

3. Exemple personnel de l’Apôtre.

Ces divers

aspects théoriques du mérite des œuvres se reflètent dans l’âme de saint Paul. L’Apôtre s’est assez souvent et’assez vivement dépeint au cours de ses épîtres pour offrir, si l’on peut ainsi dire, le type du chrétien dans la variété de ses sentiments à l’égard de Dieu.

Nul n’a reconnu avec plus de force et d’émotion reconnaissante la part de Dieu à l’origine de sa vocation, Gal., i, 15, et de sa persévérance. II Cor., xii, 9. Mais, s’il doit tout à la grâce, il sait également qu’elle n’est pas demeurée stérile en lui et qu’il a « travaillé plus abondamment que personne ». I Cor., xv, 10. C’est pourquoi il ne craint pas, lui aussi, de « se glorifier un petit peu » et d’énumérer avec une noble fierté les labeurs, les traverses, les joies et les fruits de son apostolat. II Cor., xi, 16-xii, 10 ; cf. vi, 4-10. Longue apologie dont il s’excuse sans pour cela y renoncer, et dont l’accent spirituel rappelle celui du psalmiste qui célèbre ses œuvres pour plaider son innocence. Voir plus haut, col. 588. Ici encore le sentiment de la grâce et l’humilité qu’elle inspire n’empêche pas le légitime témoignage que la bonne conscience se rend à elle-même.

De ses œuvres l’Apôtre recueille tout d’abord, avec la satisfaction de remplir dignement son ministère et d’en constater les résultats, I Cor., ix, 18 ; Rom., xv, 16-19 ; II Cor., vii, 4 ; xii, 12, le bonheur de se sentir uni au Christ d’un incomparable et indissoluble amour, Rom., viii, 35-39, d’être à lui à la vie et à la mort. Ibid., xiv, 8 ; cf. I Thess., v, 10. Mais, comme l’athlète dans le stade, I Cor., ix, 2427, il est aussi soutenu par l’espoir de la « couronne incorruptible » qu’il attend pour prix de ses efforts et il écarte, ibid., xv, 32, la pensée que ceux-ci aient pu être inutiles en vue de l’éternité. « Personne, en effet, n’est couronné sans avoir régulièrement combattu », II Tim., ii, 5 ; mais, « si nous sommes morts (avec le Christ), nous vivrons avec lui et, si nous participons à ses souffrances, nous aurons aussi part à son règne ». Ibid., 11-12.

C’est pourquoi, en voyant approcher l’heure de sa