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    1. MÉRITE##


MÉRITE, DOCTRINE DE SAINT PAUL

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Le début de l’Épître aux Romains développe ex professo cette vue synthétique de l’histoire religieuse. Aux païens, qui avaient à leur disposition la loi naturelle, il reproche de n’en pas avoir tenu compte et de s’être laissé choir dans la plus grossière immoralité. i, 18-ir, 16. Favorisés des oracles divins, iii, 3, les juifs n’en ont pas mieux profité ; car ils n’ont pas mis en pratique la Loi qu’ils se glorifient de posséder, ii, 17-ni, 8. Ainsi, non seulement les hommes n’arrivent pas à se justifier par eux-mêmes, mais ils sont tous gravement coupables, ii, 9-23. « L’Écriture, comme le dit ailleurs l’Apôtre, Gal., iii, 22, a renfermé toutes choses sous le péché, pour que la promesse qui vient de la foi au Christ Jésus fût donnée à ceux qui croient. » De cette égale indignité des deux groupes humains il suit que leur justification est absolument gratuite. Rom., .m, 24. « Nous sommes sauvés par grâce au moyen de la foi, et non par nous-mêmes ; car c’est un don de Dieu et qui ne vient pas de nos œuvres, afin que personne ne se puisse glorifier. » Eph., ii, 8-9 ; cf. Tit., iii, 5. A quoi il faut joindre, pour voir jusqu’où s’étend cette gratuité, ce que saint Paul ajoute ailleurs sur le redoutable mystère de la prédestination. Rom., viii, 29-30 ; ix, 11-17.

Ces principes étant posés pour tous les hommes en général, saint Paul se plaît à insister sur le cas des juifs, pour affirmer à leur adresse l’insuffisance des œuvres purement légales. Rom., iii, 20, 28 ; Gal., n, 16. Affirmations derrière lesquelles on devine une polémique contre la conception qui réduirait le salut à une sorte de marché. Rom., iv, 2-4. Plus que cela, c’est la Loi elle-même qui devient pour ses adeptes une occasion de mal faire, soit à cause de la multitude de ses exigences, Gal., iii, 10-12, soit parce qu’elle donne la connaissance du précepte sans accorder la force de l’accomplir. Rom., vii, 7-25. Voir Justification, t. viii, col. 2049-2067.

On se méprendrait d’ailleurs à étendre immédiatement à tous les juifs ou à tous les païens la doctrine de saint Paul sur le paganisme et le judaïsme comme systèmes. L’Apôtre ne se place pas ici au point de vue psychologique pour apprécier l’état réel des individus, mais au point de vue dogmatique pour juger la valeur des deux économies. « Dans le Christ Jésus, la circoncision ne sert de rien et pas davantage le prépuce, mais bien la foi qui opère par la charité. Gal., v, 6 ; cf. vi, 15.

Au contraire, quand il condamne les païens qui, ayant connu Dieu, « ne l’ont pas honoré comme tel », Rom., i, 21, quand il les blâme de n’avoir pas suivi les indications de leur conscience au sujet des crimes dont ils se rendent coupables, ibid., 32, ce qu’il leur reproche, au fond, n’est-ce pas l’absence d’œuvres ? Dans la suite, ibid., ii, 7, 13-14, 26, il envisage sans y contredire l’hypothèse d’un gentil qui observe les préceptes de la loi naturelle.

Il semble tout d’abord plus sévère pour les juifs, qui mettent leur confiance dans les « œuvres de la Loi » et, par là, s’obstinent à poursuivre une justice propre qui leur fait tourner le dos à la justice de Dieu. Rom., x, 3 ; cf. ix, 30. Mais ceci encore ne vise que l’abus de quelques-uns, voir Lagrange, Épître aux Romains, Paris, 1916, p. 253, celui que l’Apôtre avait caractérisé plus haut, iv, 4, comme la prétention d’acquérir devant Dieu un titre secundum debilum, et n’interdit pas de supposer que certains puissent pratiquer avec profit une Loi bien comprise. Alors la circoncision sert à quelque chose, ii, 25 : c’est la circoncision du cœur qui fait le véritable juif, celui « qui ne se montre pas » au dehors et « qui tient sa louange non des hommes mais de Dieu ». L’Apôtre eût-il pu tenir ce langage si cet idéal représentait une impossibilité ?


Dans ces systèmes impuissants il peut donc y avoir place pour des vertus individuelles. En les supposant réalisées, quelle en serait la valeur au regard de l’accession à la foi chrétienne qui est le seul principe efficace du salut ? Saint Paul ne semble pas s’être posé la question. Attentif à souligner de préférence la grâce de Dieu, il se plaît à rappeler aux convertis la déchéance morale dont la profession de l’Évangile les a retirés. I Cor., vi, 11 ; Eph, ii, 3-4, 8 ; Col., i, 13. Mais ceci ne dépasse pas la simple constatation d’un fait. Du moment que les bonnes œuvres sont possibles pour les non-chrétiens, elles ne peuvent pas ne pas avoir leur prix. L’Apôtre reconnaît que le vrai juif est agréable à Dieu, oî ô £7ta’.voç… éx toû ©eoù, Rom., ii, 30, qu’il peut, et tout autant le païen, obtenir « gloire et honneur et paix » au jugement divin, ibid., 10, c’est-à-dire, en sommei atteindre le salut. Il n’est donc pas contraire à sa pensée d’admettre que la gratuité de la justification n’est pas incompatible avec une certaine préparation de leur côté.

Aussi bien voit-on ailleurs, Act., xvii, 23-24, que le même saint Paul ne craint pas de s’appuyer sur la religiosité des Athéniens pour leur annoncer le Dieu qu’ils honorent sans le connaître. N’est-ce pas laisser entendre que cette bonne volonté, quelque confuse qu’elle soit, les met néanmoins sur le chemin de la vérité ? Plus nettement, les prières et aumônes du centurion Corneille sont mises en rapport direct avec sa conversion. Act., x, 1-4, 31, 35. Autant il serait excessif de chercher là un mérite proprement dit, autant ne faut-il pas négliger l’indication qui s’en dégage. Ces touches concrètes achèvent de préciser ce que saint Paul laissait tout au moins entrevoir du rôle et de l’efficacité relative des œuvres pour acheminer les âmes à la grâce de la foi.

2. Après la justification.

En regard du triste tableau de ce qu’est l’humanité sans le Christ, saint Paul dessine en traits éclatants celui des effets qu’y développe l’action puissante de son esprit. Ce n’est pas ici le lieu de montrer que l’Apôtre conçoit la grâce comme une régénération intérieure de l’âme, voir Justification, t. viii, col. 2067-2075 ; il suffit de marquer les conséquences qui en découlent sur l’importance et le mérite des œuvres.

Rien n’est plus notoire que l’insistance de saint Paul à réclamer du chrétien une conduite conforme à sa foi. La vie morale est pour lui profondément enracinée dans le dogme. C’est parce que l’âme justifiée possède en elle l’esprit de Dieu qu’elle doit montrer au dehors les œuvres qui en sont le « fruit ». Gal., v, 22. Ensevelis avec le Christ par le baptême, nous devons ressusciter avec lui et « marcher dans une vie nouvelle ». Rom., vi, 4 ; cf. vii, 12-14. Le grand malheur pour nous serait de « recevoir la grâce de Dieu en vain ». II Cor., vi, 1.

En faisant de nous les « fils de Dieu », Rom., viii, 14, ces œuvres saintes nous font également ses « héritiers » et les « cohéritiers du Christ ». Ibid., 17. Saint Paul glisse sans transition de cette réalité présente à cette espérance future. « Affranchis du péché, devenus les esclaves de Dieu, vous possédez le fruit que vous en retirez pour la sainteté, et la fin est la vie éternel e. Car la solde du péché est la mort, tandis que le don de Dieu est la vie éternelle. » Rom., vi, 22-23. Il y a donc continuité de nos œuvres à leur sanction dans l’au-delà. Ce dernier texte indique pourtant une nuance, depuis longtemps remarquée, entre la sanction du bien et celle du mal. En effet, l’Apôtre y parle de « solde », —rà ô^covia, uniquement à propos de la mort, tandis que la vie éternelle y est qualifiée de « don gracieux », tô’/âpia^a toû ôeoû. « Le changement de tournure est voulu, observe à ce sujet le P. Lagrange, op. cit., p. 158, et a été noté par saint