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MÉRITE, DOCTRINE DE SAINT PAUL


I’fime individuelle est l’unité. Il faut rappeler la parole de saint Jean Baptiste aux pharisiens et aux sadducéens : « N’essayez pas de dire en vous-mêmes : Nous avons Abraham pour père » Matth., iii, 9. Ni le sang d’Abraham, ni la justice selon la loi, ne sauraient plus rassurer l’homme sur ce qu’il doit à Dieu. » P. Batiflol, op. cit., p. 113. C’est pourquoi Jésus proclame l’indifférence de la famille, Matth., xii, 48-50, du voisinage, Luc, xrn, 26-27, voire même des charismes, Matth., vii, 22-23. « Si vous êtes les fils d’Abraham, faites donc les œuvres d’Abraham. » Joa., mii, 39. Une seule chose compte, qui est d’accomplir la volonté de Dieu : c’est uniquement d’après ses œuvres que chacun sera traité au dernier jour. Voir Jugement, t. viii, col. 1752-1753. Ce qui n’exclut d’ailleurs pas la média ion rédemptrice de Jésus, Matth., xx, 28 et xxiii, 28, ni son intervention devant Dieu au profit de ceux qui l’auront dûment confessé ici-bas. Matth., x, 32. Cf. ibid., xmii, 20 ; Joa., xiv, 14 ; xv, 16 ; xvi, 23-24.

Dans ces perspectives d’une stricte responsabilité personnelle on s’étonnerait de ne pas voir apparaître le sentiment de notre indignité. Quelle que soit son insistance à présenter Dieu sous un aspect paternel et à nous suggérer, en conséquence, des dispositions de fils à son endroit, dans la prière même où il nous invite à le saluer comme « notre père qui est aux cieux », Jésus nous interdit d’oublier les « dettes » dont nous avons toujours à solliciter la rémission. Matth., vi, 12. La parabole du maître et des serviteurs, ibid., xvrn, 23-35, suggère que nous devons nous tenir à son égard pour des débiteurs insolvables et préparer par la miséricorde à l’égard de nos frères celle dont nous aurons nous-mêmes besoin.

En dehors même de la considération de nos fautes, il iie faut pas perdre de vue ce que nous devons à Dieu par le fait de notre dépendance. « Qui de vous, s’il a un serviteur qui laboure ou garde les troupeaux, lui dira quand il rentre des champs : Va vite te mettre à table ? Mais ne dira-t-il pas plutôt : Prépare-moi à souper et ceins-toi pour me servir jusqu’à ce que j’aie mangé et bu ; après quoi tu mangeras et boiras toi-même ? Doit-il de la reconnaissance à ce serviteur de ce qu’il a exécuté ses ordres ? De même vous, quand vous avez fait tout ce qui vous est ordonné, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire. » Luc, xvii, 7-10.

On aurait ici, d’après la théologie protestante, le texte régulateur des relations entre l’homme et Dieu. « Sentence classique » pour s’opposer « aux éternelles prétentions du mercenaire », écrit A. Grétillat, op. cit., t. iv, p. 385, après Calvin, Inst. chr., x, 51, col. 770. H. Schultz s’en prévaut également, loc. cit., p. 15 : « Du moment que Jésus se plaît à présenter le rapport de Dieu aux siens sous l’image du maître et de ses serviteurs, la notion d’un salaire et d’un mérite au sens strict est exclue par là même. Un serviteur au sens de l’antiquité ne peut acquérir aucun mérite… Le maître peut le récompenser ; mais ceci reste, au fond, un acte de son bon plaisir. »

A cette exégèse tendancieuse il suffit d’opposer le sens littéral de la parabole. Elle s’appuie, observe le P. Lagrange, sur les usages du temps en matière de service, « que Jésus ne blâme ni n’approuve, et qui servaient seulement de terme de comparaison ». Tel étant le cadre, voici le sens de la partie narrative. « Le maître sait bon gré à son serviteur de remplir son office ; mais il ne lui doit pas une reconnaissance spéciale pour avoir accompli ses ordres. Il n’est pas question du rapport des œuvres avec le salaire, encore moins du mérite des œuvres. Le serviteur qui continue son service la journée terminée n’est pas un salarié, mais un esclave. Entre le maître et lui nul contrat. »

La partie morale doit s’entendre suivant la même ligne. « Quoique les serviteurs ne représentent pas les hommes, ni le maître Dieu à la façon d’une allégorie, i ependant il est fait application des rapports entre maître et serviteurs à ceux des hommes envers Dieu… Le Sauveur ne refuse pas d’admettre qu’on ait observé tous les commandements… Il ne dit pas non plus que ce soit peu de chose, encore moins qu’on demeure pécheur malgré cela. Il invite simplement les Apôtres à s’établir dans des sentiments d’humilité, exprimés par la formule : nous sommes des serviteurs, à/peïoi, inutiles… Le mot ne doit pas être analysé en toute rigueur, ni surtout comme un verdict de la part de Dieu. Les serviteurs de la parabole n’avaient point été inutiles dans la rigueur du terme ; mais ils devaient s’estimer inutiles, et, comme l’humilité doit avoir un fondement réel, ce fondement est indiqué : « nous avons fait ce que nous devons faire ». On n’a point coutume de s’enfler pour cela… Voir ici « le non-mélite des œuvres » (Godet) ou « l’infériorité de la simple pratique des commandements » (Maldonat), c’est introduire dans l’exégèse des précisions théologiques étrangères au sujet. » Évangile selon saint Luc, p. 455-457. Cf. Knabenbauer, Ev. sec. Lucam, Paris, 1905, p. 487-489.

Ainsi la parabole et sa conclusion ne veulent être qu’un correctif à l’orgueil humain. Loin de contredire la doctrine du mérite affirmée par ailleurs, elles apportent au principe dogmatique ce qu’on pourrait appeler le complément d’un directoire moral. Il n’est pas question de demander à l’Évangile une systématisation de tous points arrêtée : il suffit que la valeur des œuvres humaines y soit reconnue et que, sous le bénéfice de la grâce qui les environne de toutes parts, elles soient néanmoins partout prises en considération dans l’économie du salut individuel pour que la foi de l’Église apparaisse en légitime continuité, non seulement avec la lettre de l’enseignement de Jésus, mais avec l’esprit qui en ressort.

III. Doctrine des Apôtres.

En présentant l’Évangile au monde, les Apôtres étaient amenés à le mettre en rapport avec l’activité humaine dont il venait tendre toutes les énergies en vue du royaume des cieux. Il s’agissait pour eux de justifier au regard des juifs et des païens les droits de l’économie nouvelle à laquelle ils entendaient soumettre leurs intelligences, de consoler ou stimuler les chrétiens au nom des espérances qu’autorisait leur foi. C’est ainsi que, sans être nulle part traitée in extenso, la question du mérite des œuvres revient souvent dans leurs écrits et finit par y être touchée sous la plupart de ses aspects.

Saint Paul.

Dans sa vie comme dans sa doctrine,

le pharisien converti qui est devenu l’apôtre saint Paul est, à n’en pas douter, le témoin par excellence de la grâce divine. C’est à tel point que la Réforme a toujours émis la prétention de mettre sous son patronage ses thèses les plus paradoxales sur la vanité des œuvres et la justification par la seule foi. Pour écarter ces interprétations tendancieuses, il suffit de rétablir l’équilibre de sa pensée en distinguant les divers plans où elle se meut.

1. Avant la justification.

Une des originalités les plus marquantes de saint Paul, et qui fait de lui le docteur éminent du surnaturel, est la systématisation qu’il esquisse pour la première fois de l’état de l’humanité en regard de l’économie chrétienne. Deux afiirmatioi s complémentaires définissent sa position à cet égard : impuissance de l’homme à se justifier, souveraine gratuité de notre justification dans le Christ, l’une et l’autre ayant pour commun résultat d’exclure toute idée d’un mérite préparatoire à la justice et à la foi qui en est le principe.