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599 MÉRITE, ENSEIGNEMENT DE JÉSUS : MOYENS DU SALUT

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humains est en rapport immédiat et logique avec l’inspiration morale de leurs auteurs. Parce qu’ils obéissent au désir de la vaine gloire, les pharisiens ont déjà « reçu leur récompense ». Matth., vi, 2, 5, 16. Au contraire, c’est Dieu même qui « rendra » aux fidèles le bien qu’ils auront fait pour lui seul. Ibid., 1, 4, 6, 18.

. Une première rétribution a lieu dans la vie présente par l’effet propre du bien accompli. Dès les Synoptiques, on trouve, sous forme concrète, quelques indications du bonheur que l’œuvre sainte entraîne nécessairement à sa suite. N’est-ce pas déjà beaucoup que de se savoir les « fils de Dieu » en imitant sa conduite, sans compter la joie de faire par là glorifier son nom ? Matth., v, 16 et 45. Le quatrième Évangile surtout donne à ce mysticisme un développement considérable en identifiant la vie éternelle au service présent de Dieu et vice versa. Voir Joa., vi, 57 ; x, 10 ; xiv, 15, 19-21 ; xv, 4-6 ; xvii, 3.

Cependant, dans un Évangile tout orienté vers les perspectives de l’au-delà, il faut s’attendre à ce que le bien prolonge ses effets bienfaisants jusque dans l’éternité. Voilà pourquoi le chrétien est invité à se faire « un trésor dans le ciel ». Matth., vi, 20. Cf. xix, 21 ; Marc, x, 21 ; Luc, xii, 33. Tandis que l’homme aux aspirations terrestres cherche à obliger ceux qui peuvent le lui rendre ici-bas, le disciple du Christ fera du bien aux pauvres gens, qui sont incapables d’user de retour, n’escomptant pas d’autre rétribution que celle qui aura lieu « à la résurrection des justes ». Luc, xiv, 14. Les grandes épreuves assurent a une récompense abondante dans le ciel », Matth., v, 12 ; mais les moindres bonnes actions auront aussi la leur, ne fût-ce que le fait d’avoir donné un verre d’eau fraîche à l’un des fidèles au nom de Jésus, ibid., x, 42. Entre toutes, l’aumône a un prix tout particulier : « Donnez et l’on vous donnera. » Luc, vi, 38. Cf. xi, 41 ; xii, 33 ; xvi, 9. A plus forte raison le renoncement total que propose l’Évangile : il assure « le centuple » ici-bas et, par surcroît, « la vie éternelle ». Matth., xix, 27-29. Par où l’appel aux œuvres rejoint le thème déjà étudié, col. 595, des conditions préparatoires au royaume.

En même temps que l’idée contenue dans ces textes, il n’est pas inutile de remarquer le caractère des termes qui servent à l’exprimer. Non seulement la vigueur en égale la simplicité, mais ils semblent choisis pour marquer, sous la forme la plus étroite qui soit possible, la relation de l’œuvre à la récompense. Dans saint Luc, xiv, 14, il est parlé de « rétribution », àvTa7ro806y)asTaÊ coi, et celle que Dieu réserve au bienfaiteur désintéressé des pauvres est un acte du même ordre qu’aurait été le leur s’ils avaient eu les moyens de l’accomplir : otl oùx ë/oueriv àvTaTcoSoGvat aoi. Chez saint Matthieu, v, 12 et x, 42, et saint Luc, vi, 23, 35, il est question de « salaire », u.ta66ç. Pris dans toute leur rigueur, l’un et l’autre de ces termes sembleraient indiquer un rapport de stricte justice. Sans les presser jusque-là, on ne peut méconnaître qu’ils énoncent de la manière la plus ferme la valeur objective inhérente à nos œuvres et qu’ils en font un véritable titre par rapport au bonheur céleste. Le mérite est-il autre chose ?

Au demeurant, cette économie de juste rétribution n’est pas seulement un fait : elle intéresse les attributs de Dieu. De même, en effet, que jadis pour Jahvé, il est écrit du Fils de l’homme qu’il viendra « rendre à chacun selon ses œuvres », à7ro8a>asi. éxâaTto xarà tv)v TcpàÇiv aÙTO’j, Matth., xvi, 27. Principe qui se retrouve ailleurs pratiquement inclus dans les sentences du dernier jugement. Ibid., xxv, 34-36 ; cf. Joa, v, 29. Rien n’est plus significatif, pour montrer l’accord des deux alliances, que de retrouver dans

l’Évangile cette formule caractéristique de l’Ancien Testament. Dans les deux cas, c’est la justice divine qui apparaît au premier plan ; mais, dans les deux aussi, elle se manifeste par le respect du mérite humain : les deux vérités vont toujours de pair dans l’économie de la révélation.

b) Objections protestantes. — Pour échapper à cette conclusion, il est classique, chez les protestants, de distinguer entre salaire et récompense, celui-là seul impliquant une sorte de dette qui supposerait un mérite, tandis que celle-ci ne signifierait qu’un acte libéral de l’amour divin. Un père peut promettre et donner à son fils une récompense sans qu’il soit besoin d’admettre que l’enfant ait sur elle un droit.

Cette distinction, derrière laquelle s’abritaient déjà Mélanchthon, Loci communes, édit. de 1543, dans Corpus Reform., t. xxi, col. 798-799, et Calvin, Inst. chr., édit. de 1539, x, 77-80, dans Opéra omnia, édit. Baum, Cunitz et Reuss, t. i, col. 792796, se retrouve encore chez des théologiens modernes, tels que A. Grétillat, Exposé de théologie systématique, t. iv, p. 422, cf. t. iii, p. 283-284, et H. Schultz, Der sitlliche Begriff des Verdiemies, p. 14. « Si on la prend dans son ensemble, écrit ce dernier, la conception de la vie qui émane de Jésus rend impossible l’idée d’un rapport juridique entre Dieu et ses enfants. Pour lui, la valeur de la conduite repose toujours sur le fait qu’elle exprime une intention dirigée vers le royaume des cieux. La récompense s’applique à la personnalité qui se révèle dans l’œuvre, mais non pas à l’action comme telle. »

Est-il besoin de dire que ce prétendu « rapport juridique » de l’homme à Dieu est un mythe forgé par l’esprit de controverse ? L’objection atteindrait en plein l’idée d’un mérite indépendant et qui s’imposerait, pour ainsi dire, à Dieu du dehors : elle n’effleure même pas la conception catholique d’un mérite dont Dieu est le premier auteur et qui ne vaut qu’en vertu de ses promesses. De même, parler de « la personnalité qui se révèle dans l’œuvre », c’est réclamer cet élément moral qui seul donne à nos œuvres leur prix, par opposition au formalisme pharisien qui ne regarderait qu’à la matérialité des actions. Mais c’est aussi reconnaître indirectement que les actes accomplis dans ces conditions — et tous les chrétiens sont d’accord sur leur nécessité — portent en eux-mêmes un principe réel de valeur dont la récompense est la consécration.

11 n’est donc pas possible de se dérober devant cette logique élémentaire qu’en promettant le ciel à nos bonnes œuvres Jésus en affirmait implicitement la dignité propre et, par voie de conséquence, le caractère méritoire devant Dieu. Aussi bien l’enseignement indéniable de l’Évangile sur la récompense des œuvres semble-t-il embarrasser les théologiens protestants, si l’on en juge par les efforts qu’ils prodiguent périodiquement pour l’accorder avec les principes de l’orthodoxie selon la Réforme. Voir la bibliographie. N’est-ce pas dire par là-même que la doctrine catholique du mérite y trouve à bon droit son point d’appui ?

3. Appréciation subjective des œuvres. — De ces. principes qui commandent l’activité humaine au regard de la grâce divine se dégage une pédagogie pratique. Quelques traits supplémentaires de l’Évangile en éclairent la direction, qui complètent l’enseignement de Jésus sur la valeur objective des œuvres par l’indication précise de l’importance qu’il convient à chacun de leur attribuer.

Contre la confiance excessive que les Juifs étaient tentés de mettre dans les mérites de leurs pères, il est certain que le Christ accentue le sens de l’individualisme dans l’affaire de salut. « Aux veux de Dieu