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    1. MÉRITE##


MÉRITE, ENSEIGNEMENT DE JÉSUS : MOYENS DU SALUT

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qu’elle dure. » Ainsi le royaume devient le terme d’une vie tout entière dirigée selon l’esprit de l’Évangile.

Dès lors, le royaume ne peut qu’avoir le caractère d’une rétribution. Deux paraboles symétriques, celle des talents, Matth., xxv, 1-1-30. et celle des mines, Luc, xix, 12-27, tendent à montrer que la joie qu’il réserve sera proportionnée au bon vouloir de chacun. Sans doute ici encore la liberté divine affirme ses droits, puisque le serviteur qui avait le plus reçu est également celui qui recevra avec plus de surabondance. .Mais, au total, il y a corrélation pour les serviteurs fidèles entre la récompense obtenue et le travail produit, comme pour le serviteur négligent entre son incurie et le châtiment dont il est l’objet. Dans les deux cas, les œuvres de la vie comptent au même titre en regard des destinées éternelles. « Suivant la mesure d’après laquelle vous mesurerez vous serez mesurés à votre tour. ».Matth., vii, 2.

Ainsi, de même que l’Évangile est un bienfait que l’homme peut préparer et doit faire fructifier, le royaume dont il nous promet la possession, tout en étant un don de la libéralité divine, peut et doit être conquis par nos efforts. Mais, du moment que Dieu veut compter avec nus œuvres, n’est-ce pas dire qu’elles ont une valeur devant lui ? Et c’est par là que, dans une doctrine toute dominée par la grâce, l’idée de mérite vient légitimement s’insérer.

3° Moyens du salut : Don de la justice. — Pour reconnaître le don de l’Évangile et préparer le don du royaume, un renouvellement de la vie est indispensable, dont la conversion du cœur est le point de départ et la « justice » le terme idéal.

1. Aspect négatif : Critique du pharisaïsme. — Dans le milieu historique où s’est développé l’Évangile, la prédication de cette « justice » a d’abord un caractère polémique et s’oppose au pharisaïsme ambiant, qui sert à la définir par opposition. Au lieu de condamner irréductiblement le mérite des œuvres, comme le veulent les protestants, cette critique permet, au contraire, d’en saisir la véritable signification.

Il n’est pas douteux que la parabole du pharisien et du publicain ne soit dirigée contre ceux « qui se croyaient assurés d’être justes » ; mais on n’oubliera pas que l’évangéliste ajoute aussitôt : « et qui méprisaient les autres ». Luc, xviii, 9. Si la première phrase pouvait, à la rigueur, paraître condamner toute prétention à la « justice » et prendre, de ce chef, une portée dogmatique absolue, la seconde y introduit une nuance morale qui la ramène sur le terrain du relatif. Il ne s’agit pas ici de juger un système, mais de censurer un défaut. De fait, la prière du pharisien porte en elle un double vice, celui de traduire une suffisance orgueilleuse : « Je ne suis pas comme le reste des hommes », et, par surcroît, de l’appuyer sur des œuvres purement extérieures comme l’acquittement des jeûnes et des dîmes. En regard, mieux vaut l’attitude du publicain, qui avait sans doute des fautes plus graves à se reprocher, mais qui s’humilie en se proclamant « pécheur ». « La comparaison, dit fort bien le P. Lagrange, Évangile selon saint Luc, Paris, 1921, p. 478, est entre deux personnes, non entre deux justices. » Jésus n’a pas un mot sur ou contre les pratiques dont se prévaut le pharisien : il blâme seulement l’orgueil qui le porte à s’en vanter.

Ailleurs le Christ insinue que cette « justice » des pharisiens est illusoire, mais sans quitter encore le domaine des simples faits. « Vous êtes de ceux, leur dit-il, qui se font passer pour justes devant les hommes ; mais Dieu connaît vos cœurs, car ce qui est élevé parmi les hommes est une abomination devant Dieu. » Luc, xvi, 15. « Leur erreur religieuse, explique le P. Lagrange, op. cit., p. 439, c’est d’apprécier ce que Dieu compte pour rien et de s’en faire un argu ment pour établir leur justice. Ils posent donc pour justes, et tout cela : richesse, bonne réputation, art de se faire valoir, constitue une très haute façade, mais une façade aux yeux des hommes, non aux yeux de Dieu qui voit le dedans et qui déteste cette élévation. » Tout ce qui peut ressortir de ce reproche, c’est, ici encore, une leçon d’humilité.

Cet orgueil des pharisiens s’accompagne assez naturellement de vaine gloire. Ils aiment faire ostentation devant les hommes de leurs aumônes, de leurs prières, de leurs macérations. Matth., vi, 2, 5, 16. A quoi Jésus oppose, ibid., 2, 3-4, 0, 17-18, le précepte de faire le bien « dans le secret », de telle sorte qu’il soit connu de Dieu seul. Ce n’est pas déprécier les œuvres, c’est plutôt les consacrer, que d’inviter à la pureté d’intention qui leur assure leur véritable valeur.

Encore faut-il ne pas prendre le change sur leur nature. Indépendamment de ces défauts de surface, le plus grand tort des pharisiens consiste dans leur formalisme. Attentifs aux observances légales, ils négligent le service effectif de Dieu. Soucieux d’éviter la moindre souillure rituelle, ils laissent subsister le péché dans leur cœur. Ce n’est pas qu’ils ignorent la Loi ; mais, outre qu’ils la surchargent de leurs inter-. prétations au point d’en faire un insupportable fardeau, « ils disent mais ne font pas ». A rencontre de cette hypocrisie, Jésus demande le culte « en esprit et en vérité », Joa., iv, 23-24, c’est-à-dire la pratique sincère des commandements et la fuite du péché. Matth., xv, 1-20 ; xxiii, 1-33. « L’imperfection de la morale du judaïsme », telle du moins que la comprenaient et la pratiquaient les pharisiens, « tient à ce qu’elle est un catalogue de préceptes et de prohibitions au lieu de créer dans l’homme intérieur un cœur bon. C’est au dedans du cœur des hommes qu’il faut mettre la lumière et l’énergie. » P. Batiffol, op. cit., p. 114-115. Et c’est ainsi que l’Évangile s’oppose au pharisaïsme sans qu’on puisse alléguer contre l’usage des œuvres ce qui est dit des abus qui en défigurent la pratique. Au contraire, serait-il excessif d’induire que la censure de ces défauts est une recommandation de la morale dans la mesure même où elle vise à une rectification de la moralité ?

2. Aspect positif : Rôle et valeur d s œuvres. — Aussi bien est-il à peine besoin de démontrer que la religion du Christ se traduit par l’obligation d’un plus strict assujettissement aux lois de l’ordre moral.

a) Données évangéliques — D’une part, en effet, « l’Évangile ne répudie aucun des préceptes du décalogue : il les confirme, il les nuance, mais surtout il en fait une loi intérieure ». P. Batiffol, op. cit., p. 113. Il y ajoute, d’autre part, sa note spécifique sous forme d’exigences plus hautes. « Le discours sur la justice nouvelle, qui se lit dans le premier Évangile, Matth., v, 20-48, est tout entier l’antithèse de ce que la morale juive impose et de ce que Jésus réclame. Il s’ouvre sur cette déclaration : « Si votre justice ne l’emporte pas sur celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. » Et il se clôt par celle-ci : « Soyez donc parfaits, vous, comme votre Père céleste est parfait. » Batiffol, op. cit., p. 116-117. Autant dire que l’Évangile n’est rien s’il ne doit devenir une école de vie meilleure. Et cette règle n’en est que plus exigeante dès là qu’on fait intervenir l’amour. « Si vous m’aimez, gardez mes commandements. » Joa., xiv, 15. Cf. xiii, 13-15, 35 ; xv, 8-17.

Cela étant, serait-il possible que cet effort fût dénué de valeur ? La question ne se pose même pas : d’emblée le Christ assure une récompense aux œuvres dont il prêche la nécessité. En effet, la sanction des acte->