Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/305

Cette page n’a pas encore été corrigée

595 MÉRITE, ENSEIGNEMENT DE JÉSUS : TERME DU SALUT

596

donné à leur conversion. Le publicain de la parabole fait au moins un acte d’humilité, Luc, xviii, 13 ; celui de l’histoire répare largement ses injustices et donne aux pauvres la moitié de ses biens, ibid., xix, 8, et, si la courtisane reçoit son pardon, c’est « parce çu’elle a beaucoup aimé ». Ibid., vii, 47. De même la réprobation des « fils du royaume » a pour cause leur infidélité, cf. Matth., xxii, 8, dont la repentance des autres a précisément pour but de faire ressortir l’anomalie. Tout ce que l’Évangile veut marquer ici par ce contraste, c’est que les dispositions réelles des âmes ne sont pas toujours conformes à ce que leur tenue extérieure semblerait de prime abord devoir faire supposer.

Pour tous, en effet, une condition est indispensable, savoir la pénitence. Après Jean-Baptiste, Matth., iii, 2, Jésus ouvre par là sa prédication Ibid. iv, 17. Les reproches qu’il adresse aux villes infidèles des bords du lac, ibid., xi, 20, la leçon menaçante qu’il tire du figuier stérile, Luc, xrn, 3-9, indiquent suffisamment que cet acte est à la portée de chacun. Voilà pourquoi l’attitude des hommes à l’égard de l’Évangile commande celle de Dieu à leur endroit : la pénitence des Ninivites jugera l’incrédulité de la génération présente. Matth., xii, 41’.

Il n’est pas jusqu’aux décrets les plus généraux de la Providence divine qui ne tiennent compte des œuvres humaines : si le royaume est enlevé aux Juifs pour être transféré aux païens, ibid., xxi, 43, c’est que ces derniers sont « une race qui en fait les fruits ». Qu’il s’agisse là de « fruits » présentement constatés ou seulement augurés pour l’avenir, l’idée est toujours la même, savoir que les dons de Dieu sont étroitement conditionnés par les œuvres de l’homme. Autre eût été le sort des Juifs, s’ils avaient marché suivant « le peu de lumière », Joa., xii, 35, cf. ix, 4, qui était encore en eux.

Ces œuvres elles-mêmes dépendent pour une large part de notre bonne volonté. Si personne ne vient au Christ que par un « don du Père », Joa., vi, 44 et 65, chacun n’en a pas moins le devoir et le moyen de se porter vers lui. De même que la semence tombe sur tout le champ, la parole de Dieu s’adresse à toutes les âmes dont quelques-unes la font fructifier tandis que la plupart la laissent perdre, Matth., xrn, 18-23, sans qu’il y ait à cette inégalité d’autre cause que la différence de leurs dispositions. « Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre », ibid., 9 et 43 : cette formule d’allure énigmatique semble faite pour marquer ce qui revient à l’homme jusque dans le mystère des appels divins.

Il y a plus, et l’on peut entrevoir qu’il existe un certain rapport entre l’acceptation de l’Évangile et la vie antérieure. Si tant d’hommes préfèrent les ténèbres à la lumière, c’est parce que « leurs œuvres sent mauvaises ». Au contraire, celui qui « fait la vérité », c’est-à-dire dont « les œuvres sont faites en Dieu », vient à la lumière, Joa., iii, 19-21 ; cf. vii, 17. C’est ainsi que le scribe qui met au-dessus de tous les holocaustes l’amour de Dieu et du prochain s’entend dire par le Maître, évidemment comme récompense : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » Marc, xii, 34. De ce cas il faut manifestement rapprocher celui du jeune homme riche, ibid., x, 21, que Jésus aima pour l’avoir trouvé fidèle à la Loi bien comprise. Si les exemples du publicain et de la pécheresse semblent faire fi de toute préparation humaine à la grâce de la foi, ceux-ci en montrent, au contraire, l’importance et le prix.

On ne rendrait pas justice à la complexité de l’Évangile si, à côté du don divin qu’il signifie, on oubliait d’apercevoir l’élément humain qui en conditionne j normalement l’application.

2° Terme du salut : Don du royaume. — Bien loin d’être une fin en soi, l’Évangile n’est qu’un moyen en vue du royaume. Il n’est donc pas étonnant que le même dualisme préside à ces moments solidaires du salut.

1. Gratuité du royaume.

En effet, le royaume est tout d’abord présenté comme le suprême don de Dieu. « Réjouissez-vous, petit troupeau, parce qu’il a plu à votre Père de vous donner le royaume. » Luc, xii, 32. Et quand Jésus parle de ce royaume que le Père destine à ses élus « depuis le commencement du monde », Matth., xxv, 34, ou encore de ce livre sur lequel les siens doivent se réjouir que leurs noms soient écrits, Luc, x, 20, on entrevoit un mystère de prédestination qui relève de la seule bonté divine. La prière sacerdotale de Jésus, dans Joa., xvii, 6, 14-16, 24, cf. xv, 16, développe explicitement la même idée.

Cette élection est un acte souverainement libre et gratuit de la part de Dieu. On le devine à travers l’histoire de l’enfant prodigue, puisque le cadet coupable et dissipateur est, en fin de compte, aussi bien traité, sinon mieux, que son aîné resté fidèle. Luc, xv, 22-32. Mais ce caractère s’affirme surtout dans la parabole des ouvriers de la vigne. Matth., xx, 1-15. Quelle que soit l’heure où ils ont commencé leur travail, le père de famille leur alloue à tous également un denier et, contre le journalier qui murmure au nom de l’équité naturelle, il réclame le privilège de se montrer bon. D’où cette conclusion paradoxale, qui résume la morale de l’apologue : « Ainsi les derniers seront les premiers et les premiers les derniers. » Ibid., 16 ; cf. xix, 30. On ne saurait marquer avec plus de force que le don du royaume n’est pas soumis aux règles de la justice distributive. « La parabole du maître qui a loué des ouvriers pour sa vigne, écrit P. Batiffol, L’enseignement de Jésus, Paris, 1905, p. 166, et qui les récompense en donnant autant aux derniers venus qu’à ceux de la première heure, est une parabole que l’évangéliste applique au royaume des cieux, et qui témoigne que Dieu revendique le droit de faire de son bien ce qu’il veut. On. a dit avec raison que l’antinomie de la grâce divine et de la liberté humaine, que saint Paul mettra en pleine lumière, est impliquée dans l’évangile du royaume ». Et l’on voit que c’est dans la prépondérance de la grâce qu’en est ici cherchée la solution.

2. Rapport du royaume aux actes humains.

Au risque de dérouter notre besoin de systématisation, il se rencontre que le même Évangile donne à la contrepartie un non moindre relief, en faisant du royaume la suite et la récompense de nos bonnes œuvres.

Cette logique apparaît avec une particulière abondance dans le sermon sur la montagne. Matth., v, 3-12. Toutes les béatitudes y sont conçues de telle sorte que les pauvres et les affligés, les purs, les miséricordieux et les doux y sont proclamés « bienheureux » en raison du bonheur céleste qui les attend et que ce bonheur leur est réservé précisément parce qu’ils ont été affligés et pauvres, doux, purs et miséricordieux.

k Or ce qui est ici affirmé surtout des épreuves l’est ailleurs tout autant des œuvres positives. Celui qui fait la volonté du Père entre au royaume, et non pas celui qui s’écrie : « Seigneur, Seigneur. » Matth., vii, 21. Le royaume est promis à la simplicité et à la pureté du cœur qui font ressembler l’homme à l’enfant, ibid., xviii, 3 ; à l’aumône qui échange les richesses périssables d’ici-bas contre les trésors du ciel, Luc, xii, 33-34 ; à la continence des eunuques volontaires. Matth., xix, 12. « Ces premiers traits, note P. Batifïol, op. cit., p. 159-160, font entrevoirie royaume comme un but que l’on atteint par une démarche morale ; mais il est clair que la conversion n’est vraie qu’autant