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    1. MÉRITE##


MÉRITE, ENSEIGNEMENT DE JÉSUS : PRINCIPE DU SALUT 594

d’Israël, cf. Luc, xiii, 6-9 et Matth., iii, 10, pourquoi ne pas tenir compte de ces fleurs délicates qu’il suffit au maître de voir, Marc, x, 21, pour les aimer ? Aux côtés mêmes du pharisien orgueilleux et superficiel, n’est-ce pas l’ancienne Loi qui fournit à Jésus le type du publicain pénitent ?

Malgré tout, l’Ancien Testament ne représente qu’une forme encore imparfaite de la révélation. Son rôle fut surtout d’accentuer l’aspect éthique des relations de l’homme avec Dieu. De ce chef, bien que l’idée de grâce n’en s >it pas complètement absente, la première place y est accordée à la notion des œuvres et du mérite qui en est la conséquence. C’était là une vérité de valeur éternelle, et qui devait survivre, parce que liée à la notion même de l’ordre moral. Mais il y avait lieu de mettre plus nettement à la base des d stinées individuelles, cette élection et cette miséricorde divines qu’Israël n’appliquait guère qu’au sort de la collectivité. Il fallait surtout détacher les âmes des espérances terrestres pour tourner leurs aspirations et leurs efforts vers les biens de l’au-delà.

Cette spiritualisation de la foi et de la vie religieuses sera l’œuvre du Nouveau Testament. Mais, dans la poursuite de ces fins supérieures offertes à l’activité humaine par la révélation évangélique, les lois fondamentales qu’avait posées l’Ancien Testament, sur la nécessité, la valeur et la récompense de nos bonnes œuvres, garderont leur place et développeront leur jeu.

II. Enseignement de Jésus.

Par opposition aux ténèbres du judaïsme, l’Évangile, d’après la dogmatique protestante, serait l’avènement de la pleine et définitive lumière. Tandis que là dominait la Loi et le culte servile de ses préceptes à fins intéressées, ici rayonnerait dans toute sa pureté l’affirmation de la grâce, et d’une grâce tellement souveraine que l’homme n’aurait plus qu’à se l’approprier avec amour.

Au lieu de ce contraste absolu, les faits révèlent une véritable continuité. Il n’est pas douteux que l’Évangile ne mette au premier plan les libres initiatives de Dieu et, par suite, ne réagisse d’autant contre les prétentions du pharisaïsme en tout ce qui concerne le salut. Mais l’œuvre divine appelle ici encore l’œuvre humaine, bien loin de s’affirmer à son détriment. De même que le judaïsme a tout au moins entrevu que Dieu est pour nous l’auteur de tous nos biens et que l’âme religieuse doit se sentir par rapport à lui dans un état de perpétuelle dépendance, le Christ, en donnant à cette vérité son plein relief, ne manque pas de la compléter en ajoutant tout ce que ces faveurs divines imposent d’obligations, tout ce qu’elles font naître d’espérances. Et c’est ainsi qu’aux diverses phases de ce qui est éminemment une économie de grâce, on peut voir la considération de l’homme intervenir.

1° Principe du salut : Don de l’Évangile. — II est notoire que la foi messianique se résumait, pour les juifs pieux, dans l’attente du salut, quelle que pût être d’ailleurs la diversité de leurs conceptions à cet égard, et que cette aspiration se nuançait d’une particulière impatience à mesure qu’approchait la « plénitude des temps ».

A cet élan des âmes fidèles l’Évangile fut la réponse. Dès sa naissance, Jésus avait été salué comme « sauveur ».Luc, ii, . Il et 30. Cette même conviction inspire ensuite tout son ministère public et fonde la foi des premiers croyants. Saint Pierre prêchait devant le sanhédrin : a II n’est pas sous le ciel d’autre nom (que celui de Jésus) qui soit donné aux hommes pour être sauvés », Act., iv, 12, et saint Paul devait bientôt écrire de l’Évangile, Rom., i, 16, qu’il est « une vertu de Dieu pour le salut de quiconque croit ». Rien n’est

donc plus important que de voir dans quelles conditions se présente cette première et fondamentale manifestation du plan providentiel.

1. Don initial de Dieu.

Or c’est à Dieu qu’appartient ici incontestablement l’initiative. « Dieu a tellement aimé le monde, lit-on, Joa., iii, 16, qu’il a donné son Fils unique. » « Non que nous ayons aimé Dieu, commente l’Apôtre, I Joa., iv, 10 : c’est lui qui nous a aimés et nous a envoyé son Fils. » Cf. ibid., 14. Pour saint Paul également, c’est « Dieu qui envoie son Fils dans la ressemblance d’une chair de péché ». Rom., iii, 3. Ce mystère est un de ceux qui relèvent uniquement de son bon plaisir et ne saurait avoir d’autre fin que « la louange de la gloire de la grâce dont il nous a gratifiés en son bien-aimé ». Eph., i, 6.

Sans présenter d’affirmations aussi dogmatiques, les Synoptiques, à n’en pas douter, suggèrent sous forme concrète la même impression. Déjà pour les Juifs fidèles dont l’Évangile de l’enfance rapporte les sentiments, l’avènement du Messie, dont ils ont la joie de saluer l’aurore, est un acte de la seule miséricorde divine. LuC, i, 54, 68, 72, 78. Jésus, lui aussi, se donne comme un « envoyé », et sa mission vient au terme de toutes les avances que Dieu n’a cessé jusque-là de faire à son peuple. Matth., xxi, 33-39 ; xxiii, 34-37. En lui, c’est le Père qui révèle sa personne et ses éternels secrets. Ibid., xi, 27 ; xiii, 16-17.

Non moins que l’origine de son message, le milieu auquel Jésus l’adresse de préférence en fait ressortir le caractère de miséricordieuse bonté. Dès le début de son ministère, à la synagogue de Nazareth, il s’applique les paroles prophétiques par lesquelles Isaïe, lxi, 1-2, décrivait l’époque messianique comme une année jubilaire, qui serait marquée par l’évangélisation des pauvres gens, la guérison des âmes meurtries, la délivrance des captifs, le soulagement des opprimés. Luc, iv, 17-21. Plus tard, il réserve son ministère aux « brebis perdues de la maison d’Israël ». Matth., xv, 24 ; cf. x, 6. Car ce sont les malades et non pas les bien portants qui ont besoin du médecin. Ibid., ix, 12. — Qu’il s’agisse de l’ensemble de l’humanité ou de ses destinataires immédiats, l’Évangile se présente comme un bienfait divin d’où le mérite de l’homme est absolument exclu.

2. Conditions individuelles d’application.

De même la répartition individuelle de cette première grâce semble tout d’abord porter le caractère exclusif d’un don gratuit.

Ce n’est pas à tous indistinctement, mais à un petit nombre de privilégiés, qu’il est « donné de connaître les mystères du royaume ». Matth., xiii, 11. Non seulement il y faut une révélation d’en haut, ibid., xvi, 17, mais la distribution de cette lumière divine obéit à des lois qui renversent l’échelle commune des valeurs. Elle est refusée aux sages et aux prudents de ce monde pour être accordée aux tout petits. Matth., xi, 25. Les « fils du royaume » s’en voient frustrés, tandis que des étrangers en profitent. Ibid., vm, 12 ; cf. Luc, iv, 25-27. « Les publicains et les prostituées vous précéderont dans le royaume », déclare Jésus aux pharisiens. Matth., xxi, 31. Programme en apparence déconcertant, qui ne s’applique pas seulement dans la parabole des « deux hommes qui montent au temple pour la prière », Luc, xviii, 8-14, mais dont les exemples de Zachée le publicain, ibid., xix, 5-9, et de la pécheresse, ibid., vii, 37-49, tendent à faire une vivante réalité. Cf. Joa., iv, 16-29. Suivant l’aphorisme proverbial retenu par Joa., iii, 8, « l’esprit souffle où il veut » ’.

Il s’en faut néanmoins que la gratuité des voies divines soit synonyme d’arbitraire. Car l’appel des publicains et des courtisanes est évidemment subor-