Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/302

Cette page n’a pas encore été corrigée

589

    1. MÉRITE##


MÉRITE, RÉSULTATS PRATIQUES DU JUDAÏSME

>ï)0

étalage, de ses bonnes actions. — C’est ainsi qu’on peut lire dans Ps., vii, 4-5, 9 : Jahvé, mon Dieul Si j’ai fait cela.

S’il a <lo l’iniquité dans mes mains, Si j’ai rendu le mal à colin rpii tfrut paisible envers mou

Si j’ai dépouillé celui qui m’opprimait sans cause. Que l’ennemi me poursuive et m’atteigne…

Rends-moi justice, o Jahvé,

Selon mon droit et selon mon innocence.

Et encore, Ps., xvii, 21-22 :

Jahvé m’a traité selon nia droiture.

Il m’a rendu selon la pureté de mes mains.

Car j’ai observé les voies de Jahvé.

lit je n’ai point été coupable envers mon Dieu.

Voir de même Ps., xxv, dont la dernière partie, 6-12, est passée dans l’offertoire de la messe romaine : Lavabo inter innocentes manus meas, et Ps., cxxxviii, 21-24.

Prises au pied de la lettre, ces formules ne semblent-elles pas rendre un son presque pharisaïque ? On peut en juger aisément par l’embarras qu’éprouvent les commentateurs du psaume Lavabo pour l’accorder avec l’esprit de l’ascétisme chrétien. Il suffit d’observer ici que les plus appuyées ne présentent jamais le secours divin comme un droit. En faisant la part qui convient à l’emphase d’un style poétique, où les traits sont çà et là quelque peu forcés, il reste que ces textes traduisent un des mouvements les plus naturels de l’âme juive, de toute âme religieuse : savoir le bon témoignage qu’une conscience pure est en droit de se rendre à elle-même devant Dieu et le motif d’espérance qu’elle peut y puiser.

A ce sentiment d’autres viennent d’ailleurs faire contrepoids. Le psalmiste est si éloigné de compter uniquement sur ses propres mérites qu’il chante avec amour sa reconnaissance pour l’inépuisable bonté divine, Ps., en, 1-14, qu’il se confie en Jahvé surtout à cause de son nom, Ps., xxx, 4, et reconnaît à maintes reprises sa propre indignité. « Ne te souviens pas des fautes de ma jeunesse, ni de mes transgressions ; souviens-toi de moi selon ta miséricorde. » Ps., xxiv, 7. Voir de même Ps., cxlii, 2 : « N’entre pas en jugement avec ton serviteur ; car aucun vivant n’est juste devant toi » ; Ps., xxxi, 2 : « Heureux celui à qui sa transgression est remise et son péché pardonné » ; Ps., cxxix, 3 : « Si tu gardais le souvenir des iniquités, ô Jahvé mon Seigneur, qui pourrait subsister ? » A côté de ces textes épisodiques, mais d’autant plus significatifs, est-il besoin de rappeler cette hymne au repentir qu’est le psaume Miserere ? L’ensemble du peuple doit d’ailleurs s’inspirer des mêmes sentiments que les individus. Ps., lxxviii, 8-11.

En définitive, le psautier traduit tour à tour et avec une égale énergie la confiance que l’homme de bien est autorisé à mettre en ses bonnes œuvres devant la justice de Dieu, et l’humilité dont il ne peut se défendre au souvenir de ses péchés. L’une ou l’autre de ces impressions domine suivant les circonstances ; mais l’une et l’autre y coexistent sans se contrarier ni se détruire. Par où l’on peut voir que l’attitude complexe du croyant juif n’était pas, à tout prendre, tellement différente de celle qui est la nôtre encore aujourd’hui.

Ce même dualisme se constate en d’autres passages, qu’on peut assimiler aux Psaumes pour leur caractère de témoignages psychologiques. L’apologie de sa propre innocence se retrouve sur les lèvres de David, II Reg., xxii, 21-17, de Jérémie, xv, 15-18, et, à plus forte raison, de Job. Voir vi, 30 ; xiii, 23 ; xxiii, 3-5 ; xxxi, 1-35 ; cf. xxxiii, 8-9. Néanmoins les contradicteurs du patriarche ne sont pas les seuls à rappeler que tout homme doit se sentir pécheur, iv, 17 ; xi, 4-6 : lui-même a des mots de profonde humilité, ix, 2-3,

15. Jérémie confesse également les péchés du peuple, xiv, 7, et trouve des accents qui font déjà penser à ceux de saint Paul pour dire, ix, 23-24 : « Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse.. ; mais que celui qui veut se glorifier se glorifie d’avoir de l’intelligence et de me connaître, de savoir que je suis Jahvé. » « Ce n’est pas à cause de notre justice que nous te présentons nos supplications, dit à Dieu Daniel, ix, 18 ; c’est à cause de tes grandes compassions. » Les dures leçons de l’exil inspirent à Esdras de semblables sentiments, I Esdr., ix, 6-15, ainsi qu’aux autres rapatriés. II Esdr., ix, 6-37.

On voit que l’âme juive n’était pas à ce point absorbée par la recherche et la contemplation de ses mérites personnels qu’elle n’en sentît déjà l’insuffisance. La préoccupation des bonnes œuvres et la juste estimation de leur prix allaient de pair chez elle avec la perception, au moins confuse et sporadique, de ce qu’elle devait à la grâce de Dieu. Des principes généraux que fournissait la révélation judaïque chacun tirait des applications proportionnées à son niveau spirituel. Mais, au total, ici comme ailleurs, l’Évangile aurait moins à détruire qu’à perfectionner.

2. Littérature rabbinique.

S’il fallait un conflrmatur aux conclusions qu’autorisent ces données de l’Écriture, on le trouverait dans la théologie que les écoles rabbiniques allaient plus tard en tirer. Il est vrai que cette littérature est chronologiquement postérieure à l’essor du christianisme ; mais on ne saurait douter qu’elle ne se réfère à des traditions plus anciennes. Or, à défaut d’une systématisation proprement dite, on y rencontre d’assez nombreux aperçus où la doctrine du mérite est déjà touchée sous ses principaux aspects. Voir F. Weber, Jùdische Théologie, p. 277-306, et, ici même, Judaïsme, t. viii, col. 16271628.

a) Rôle de la grâce. — Bien qu’elle n’y soit pas T la plus apparente ni la plus développée, la part de Dieu n’y est pas entièrement méconnue.

Elle est une conclusion de la souveraine indépendance du Créateur à l’égard de son œuvre. « Dieu dit à Moïse : Je ne dois rien à la créature ; tout ce que l’homme fait est (le résultat d’un) commandement. C’est donc par grâce que je lui donne. Non que je doive quelque chose à n’importe quelle créature ; c’est par grâce, que je leur donne, car il est écrit, Ex., xxxiii, 19 : A qui je suis favorable, à celui-là je suis favorable et de qui j’ai pitié, de celui-là j’ai pitié. » Tanchuma, Eth., 3. Cf. Schemoth rabba, c. 45, où il est question d’un trésor d’où Dieu tire par pure grâce ce qu’il donne à ceux qui bénéficient de sa miséricorde.

Les plus grands et les plus saints des patriarches sont eux-mêmes soumis à cette loi. A propos de Gen., xxiv, 12, on lit dans Beresch. rabba, c. 60 : « Tous ont besoin de la grâce, même Abraham à cause duquel… la grâce se meut à travers le monde. Lui aussi, il avait besoin de la grâce. »

Il est vrai, selon la remarque de F. Weber, op. cit., p. 304, que « de telles affirmations voisinent immédiatement avec la doctrine du salaire et qu’on n’en tire pas les conséquences [qu’elles comporteraient]. Dieu a plutôt, dans l’ensemble, ainsi réglé les choses que ses grâces dépendent des actions antérieures de l’homme. La voie ordinaire du salut est que chacun s’en rende digne par sa conduite : la grâce est la voie extraordinaire. » Ainsi en est-il également pour le peuple. « Si vous n’avez aucune justice, je vous rachèterai à cause de moi-même », prononce Jahvé, dans Scliemoth rabba, c. 30. Cf. Kuth rabba, i, 6 : « Si Israël en est digne, Dieu procède à son salut ; mais, même s’il n’en est pas digne, Dieu le sauve à cause de son grand nom. »

Pour imparfaite qu’en soit la notion et réduite l’importance, il n’en reste pas moins significatif que,