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    1. MÉRITE##


MÉRITE. RÉSULTATS PRATIQUES DU JUDAÏSME

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Ainsi, rien qu’à regarder la Loi et les observances cultuelles qu’elle impose, on pourrait déjà soupçonner que la vie religieuse d’Israël ne fut pas aussi exclusivement vouée au pharisaïsme qu’on se plaît parfois à l’imaginer au profit de certaines thèses. Il reste d’ailleurs que d’autres sources venaient compléter celle-là, et, au besoin, en suppléer le déficit.

b) Morale juive. — — A côté du Lévitique, il ne faut pas oublier, en effet, que la Loi offrait le Décalogue et que les prophètes furent des moralistes intrépides, qui mirent toute leur énergie à censurer les vices du peuple et à ranimer en lui la conscience de ses devoirs. « Lavez-vous, purifiez-vous, s’écrie Jahvé ; ôtez de devant mes yeux la méchanceté de vos actions ; cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien. » Cela fait, « venez et plaidons… Si vos péchés sont comme le cramoisi, ils deviendront blancs comme la neige. » Is., i, 16-18. Une corrélation est bien établie, à n’en pas douter, entre les œuvres des enfants d’Israël et les bénédictions de Dieu ; mais ce sont des œuvres d’ordre éminemment moral qui leur sont demandées. Cette éthique, partout sous-jacente à la religion juive, fait l’objet spécial des livres sapientiaux. Non pas qu’ils s’occupent précisément de dresser un catalogue précis d’obligations pratiques, mais plutôt de réunir des conseils et des maximes propres à diriger ou stimuler l’action individuelle. Par où ils ne représentent que mieux l’inspiration morale du judaïsme. Malgré son pessimisme, qui le porte à souligner la vanité de l’effort humain, et cet implacable réalisme qui le fait insister de préférence sur les anomalies que révèle en apparence la marche du monde, l’Ecclésiaste n’oublie pourtant pas que « Dieu jugera le juste et le méchant ; car il y a un temps pour toute chose et pour toute œuvre ». iii, 17. Cf. viii, 6. Aussi son dernier mot est-il pour dire, xi, 16-15 : « Crains Dieu et observe ses commandements… Car Dieu amènera toute œuvre en jugement, au sujet de tout ce qui est caché, soit bien, soit mal. »

Dans les Proverbes, le principe de la justice divine s’affirme de la manière la plus ferme : « Les yeux de Jahvé sont en tout lieu, observant les méchants et les bons. » xv, 3. Cf. xxiv, 12 : « Ne rendra-t-il pas à chacun selon ses œuvres ? » Cette Providence justicière s’applique aux collectivités : « La justice élève une nation, mais le péché est la honte des peuples. » xiv, 34. Cf. xvi, 12. Plus encore s’exerce-t-elle sur les individus. « La crainte de Jahvé augmente les jours, mais les années des méchants sont abrégées. » En effet, « la voie de Jahvé est un rempart pour l’intégrité, mais elle est une ruine pour ceux qui font le mal ». x, 27, 29. — Sur la base de cette théodicée une morale s’élève, où la moralité des œuvres humaines s’achève et se fixe en de justes rétributions. « L’homme bon fait du bien à son âme, mais l’homme cruel trouble sa propre chair. Le méchant fait un gain trompeur, mais celui qui sème la justice a un salaire véritable. Ainsi la justice conduit à la vie, mais celui qui poursuit le mal trouve la mort. Ceux qui ont le cœur pervers sont en abomination devant Jahvé, mais ceux dont la voie est intègre lui sont agréables. Certes le méchant ne restera pas impuni, mais la race des justes sera sauvée. » xi, 17-21. Cf. iii, 33 ; xii, 2-3 ; xiii, 16, 21. Il est vrai que ces rétributions divines s’exercent encore « sur la terre », xi, 31 ; mais ce qu’il faut ici retenir, c’est que les œuvres de l’homme en sont le principe et la mesure. — C’est pourquoi l’auteur invite chaleureusement à mener une vie conforme à la sagesse, iv, 4-19. L’âme docile à ses leçons sera comme la femme forte sur le portrait de laquelle se termine son recueil : « Aux portes ses œuvres la louent. » xxxi, 31. Et le sage entend que ces « œuvres » morales l’emportent sur toutes les observances rituelles : « La

pratique de la justice et de l’équité, voilà, dit-il, xxi, 3, ce que Jahvé préfère aux sacrifices. »

Plutôt soucieux de résultats que de spéculation, l’auteur ne s’explique d’ailleurs pas sur la source dernière de la bonne conduite qu’il recommande. On voit cependant que la sagesse d’où elle procède est un don de Dieu, ii, 6 : ce qui laisse la porte ouverte à l’idée de la grâce. Son expérience, au demeurant, est assez avertie pour interdire à l’homme trop de confiance dans sa propre vertu. « Qui dira, demandet-il, xx, 9 : J’ai purifié mon cœur, je suis net de mon péché ? » Par où l’on voit suffisamment que le moralisme des Proverbes, où l’effort humain est au premier plan, n’est pas tellement exclusif de cette vue religieuse qui en fait remonter à Dieu tout le mérite.

On retrouverait aisément les mêmes directions fondamentales à travers les autres livres sapientiaux Tous n’ont pas d’autre but que de prêcher le culte de la sagesse, d’exciter aux actes qu’elle inspire et d’en garantir la durable valeur. L’Ecclésiastique s’élève expressément contre le formalisme qui s’attache aux pratiques purement extérieures, vii, . Il et xxxv, 1-5. Il assure que « la charité fait à chacun sa place [devant Dieu] selon ses œuvres ». xvi, 15. Texte dont la Vulgate ne fait que réaliser pleinement la signification en y introduisant le terme qui est aujourd’hui classique : secundum merilum operum suorum. Cf. xiv, 21 ; xvi, 16-24 ; xxxv, 24. Et déjà l’auteur de la Sagesse étend ces justes rétributions de Dieu, iii, 7, 10 et v, 16, jusqu’à la vie éternelle. Voir Jugement, t. viii, col. 1747-1748.

Dans le même ordre d’idées se place le livre de Tobie, dont on peut dire qu’il n’est guère qu’une prédication en acte de ce que doit être la morale d’un véritable Israélite. Voir iv, 7-12 : xii, 9-12. La vertu de l’aumône en vue de la rémission des péchés est aussi relevée dans Daniel, iv, 24.

L’intérêt de ces divers livres n’est d’ailleurs pas tant dans le fait qu’ils proclament la nécessité des œuvres et leur valeur au regard de notre destinée que dans leur insistance à les recommander. Us traduisent une pédagogie où la morale tient le rang principal. Dans la mesure où ces directions furent efficaces — et il n’est pas douteux qu’elles ne l’aient été beaucoup — l’importance du mérite individuel établi sur la pratique assidue des bonnes œuvres cessait d’être une doctrine abstraite pour devenir une réalité psychologique et une source d’action.

c) Piété juive. — Ce que les autres livres laissent deviner des sentiments dans lesquels devait se mouvoir la religion des Israélites pieux, les Psaumes le décrivent au grand jour. Le psautier est le témoignage par excellence de la piété juive, en ce double sens qu’il exprime sur le vif les dispositions les plus intimes de ses auteurs, et qu’il en développa de semblables dans l’âme des générations subséquentes qui en nourrirent leur dévotion.

On y retrouve le principe fondamental que Dieu « rend à chacun selon ses œuvres ». Ps., lxi, 13. C’est pourquoi le Psalmiste attend de lui comme un « salaire > le châtiment des pécheurs. Ps., xxvii, 4-5 ; cxxxvi, 8 ; vu, 12, 17. Il n’espère pas d’un moins ferme espoir la protection et, au besoin, la revanche des opprimés. Ps., iii, 6-7 ; v, 12-13 ; ix, 8-11 ; x, 14.

Plus intéressante pour la psychologie religieuse du judaïsme est l’application que le psalmiste se fait à lui-même de ces prémisses dogmatiques. Beaucoup de psaumes roulent sur le thème du juste persécuté qui sollicite sa délivrance. On y voit que sa confiance repose assurément sur la puissance et la miséricorde de Jahvé, mais aussi que, pour en obtenir le bienfait, il ne craint pas, à l’occasion, de faire état, et presque