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MÉRITE, DOCTRINE DU JUDAÏSME


Deux formules symétriques expriment ce double aspect de la providence de Jahvé sur son peuple. Plus sensible à l’initiative divine, Jérémie priait en ces termes : « Fais-nous revenir vers toi, ô Jahvé, et nous reviendrons. » Lam., v, 21. Zacharie, au contraire, insiste sur le rôle de l’homme, i, 3, et lui reconnaît même la priorité : « Revenez à moi, dit Jahvé des armées, et je reviendrai à vous. » Il suffit de se souvenir que le concile de Trente devait un jour reprendre et rapprocher, au sujet de la justification, ces deux aphorismes complémentaires, sess. vi, c. v, Denzinger-Bannwart, n. 797, pour s’assurer qu’on ne fait pas fausse route en allant chercher une première esquisse de la doctrine du mérite dans les vues directrices, d’après lesquelles les prophètes expliquaient la conduite de Jahvé à l’égard d’Israël.

3. Application aux. individus. — Bien que la pensée religieuse d’Israël se soit toujours attachée de préférence au sort de la collectivité, le point de vue individuel n’est pourtant pas entièrement exclu de son horizon. Déjà la seule logique obligerait à dire que les destinées de la nation commandent nécessairement celles de ses membres, et surtout que ses obligations ne sauraient être remplies que par eux. Cette conclusion est tellement obvie que, chacun à sa façon, historiens et prophètes commencent à la tirer.

a) Livres historiques. — En raison de leur but, les livres historiques n’avaient pas à donner des leçons de morale individuelle : il leur suffisait de celles qui ressortent spontanément des faits. Cependant leurs écrits les mettaient au moins en contact avec la personnalité des rois et chefs du peuple, auxquels ils appliquent tout naturellement la loi fondamentale de la nation.

A la base de leur élévation, se trouve une élection toute gratuite de Dieu, comme on le voit pour Saiil d’abord, I Reg.. ix, 15-20, et ensuite pour David, ibid., xvi, 1-12. Cf. II Reg., vii, 8. Si, plus tard, Saiil est réprouvé, c’est uniquement pour ses fautes : « Je me repens d’avoir établi Saiil pour roi, prononce Jahvé, ibid., xv, 11 ; car il se détourne de moi et il n’observe point mes paroles. » De même sont rigoureusement punis les crimes de David, II Reg., xii, 14 ; xxiv, 10-15 ; I Par., xxi, 7-14, puis de Salomon, III Reg., xi, 9, et de leurs divers successeurs.

Les bienfaits divins à leur endroit comportent une première part de grâce, savoir la volonté d’affermir à jamais la race de David. II Reg., vii, 12-29. Mais on peut déjà supposer qu’à cette promesse bénévole la fidélité du saint roi au service de Jahvé n’est pas étrangère. Aussi rappelle-t-il lui-même à son fils Salomon que sa bonne conduite sera la condition nécessaire et suffisante des bénédictions de Dieu sur son règne. III Reg., ii, 3-4. La même promesse est faite à Jéroboam, ibid., xi, 38, accompagnée de semblables menaces en cas d’infidélité. Ibid., xiii, 21-22 ; xiv, 8-10, 16. Toute l’histoire postérieure de la royauté se déroule d’après ce schéma.

Jusqu’en cette économie que semble dominer une loi de stricte rétribution, la grâce de Dieu ne cesse pourtant pas de s’affirmer. Salomon eût déjà mérité par ses idolâtries le sort de Saiil : si Jahvé lui épargne cette complète réprobalion et se contente de lui annoncer la division de son royaume, c’est, dit-il, « à cause de David mon serviteur ». III Reg., xi, 12-13, 32, 36. Providence paradoxale au regard de la justice, mais qui rappelle, d’une part, que la miséricorde ne perd jamais ses droits et, de l’autre, invite ceux qui en bénéficient à une salutaire humilité.

Ces divers sentiments sont comme synthétisés dans

la prière que Salomon adresse à Jahvé au moment de

la dédicace du temple. On y trouve rappelée, avec

l’élection de David, III Reg., viii, 15-16, la condition

à laquelle en reste soumise la permanence. Ibid., 25. De cette condition la réponse de Jahvé, ibid., ix, 3-9, fournit un commentaire explicite, qui se résumerait assez bien dans la formule populaire « donnantdonnant ».

Est-il besoin de dire que cette loi, sur laquelle les écrivains sacrés reviennent avec tant d’insistance à cause du rôle théocratique dévolu aux rois d’Israël, ne saurait leur être personnelle ? Aussi bien qu’aux chefs elle convient au peuple tout entier et donc aux individus qui le composent. Le même texte suggère, en termes déjà très nets, cette généralisation indéfinie. « Juge tes serviteurs, dit Salomon, ibid., viii, 32 ; cor damne le coupable et fais retomber sa conduite sur sa tête ; rends justice à l’innocent et traite-le selon son innocence. » Dans une sphère plus modeste, mais, en somme, du même ordre, Noémi disait également à ses belles-filles, Ruth, i, 8 : « Que Jahvé use de bonté envers vous, comme vous l’avez fait envers ceux qui sont morts et envers moi. »

A propos des souverains, on aperçoit donc une règle générale du gouvernement providentiel. Si les hommes doivent à un don de Dieu ce qu’ils sont icibas, il dépend de chacun d’y persévérer ou d’en déchoir par leur conduite personnelle et, de toutes façons, leurs œuvres ne se perdent pas.

b) Livres prophétiques. — Parce qu’ils étaient essentiellement des prédicateurs, les prophètes devaient avoir plus que personne l’occasion de rappeler aux particuliers leurs devoirs en vue du royaume qu’ils avaient mission d’annoncer.

Autant ils sont ardents à raviver dans le peuple la foi aux espérances messianiques, autant ils sont fermes pour les subordonner à des conditions morales. La conversion du cœur et la pénitence qu’ils réclament de la nation entière ne sauraient avoir de sens que s’il incombe aux individus de les réaliser. C’est donc chacun des Israélites qui doit tout à la fois, avec Zacharie, i, 3, éprouver l’obligation de se convertir et, avec Jérémie, Lam., v, 21, prier Dieu qu’il le convertisse. Par réaction contre l’abus trop réel du sentiment de la solidarité dans le peuple, il est notoire, voir Jugement, t. viii, col. 1742, que les prophètes insistent volontiers sur le sens desrespon>abilités individuelles. Voir Jer., xxxi, 29 30, et surtout Ézéchiel, xviii, 4 sq., qui conclut son exhortation par ces mots, ibid., 30 : « Je vous jugerai chacun selon ses voies. » Cf. ix, 10 ; Jer., xvii, 10 ; xxv, 14 ; xxxii, 19.

En conséquence, le salut messianique n’est pas applicable à tous automatiquement, mais à ceux-là seulement qui en seront trouvés dignes. « Sion sera sauvée par la droiture et ceux qui s’y convertiront seront sauvés par la justice. Mais la ruine atteindra tous les rebelles et les pécheurs, et ceux qui abandonnent Jahvé périront. » Isaïe, i, 27-28. C’est pourquoi le prophète, tout en s’adressant au peuple en général, y distingue diver es catégories. Il s’élève en justicier contre les pécheurs de tout rang pour leur annoncer les châtiments implacables de Jahvé. Voir v, 8-9 ; ix, 7-10 ; x, 1-4 ; xxviii, 14-22. Aux justes, au contraire, il promet « la rétribution de Dieu ». xxxv, 4. Cf. xxvi, 2 4 ; xxx, 18.

Si le point de vue national semble dominer davantage dans Jérémie, c’est qu’il ne voit pas à faire beaucoup de différence parmi les membres du peuple. Tous seront châtiés, parce que tous lui paraissent coupables, vi, 10-15. « Parcourez les rues de Jérusalem, fait-il dire à Jahvé, v, 1, par réminiscence évidente de la prière d’Abraham pour Sodome ; regardez, informez-vous, cherchez dans les places s’il s’y trouve un homme, s’il y en a un qui pratique la justice, qui s’attache à la vérité, et je pardonne à Jérusalem. » Cependant Jahvé distinguera entre les captifs de