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MÉRITE, DOCTRINE DU JUDAÏSME


initiatives : « Je fais grâce à qui je fais grâce et miséricorde à qui je fais miséricorde. » Ex., xxxrn, 19. Parole que devait reprendre saint Paul, Rom., ix, 15, et qui suffirait à faire voir combien est profonde, sous leurs indéniables différences, la continuité religieuse entre les deux Testaments.

A cette grâce radicale, de laquelle dépendent tous les mérites de la race élue, s’ajoute le fait accidentel de ses perpétuelles infidélités. Car, dès le Sinaï, Israël se montre « un peuple au cou raide », Ex., xxxii, 9, cf. xxxiii, 3 et xxxiv, 9, qui irrite par ses révoltes le Dieu qu’il devait servir. Aussi reçoit-il cet avertissement : « Ne dis pas en ton cœur : c’est à cause de ma justice que Jahvé me fait entrer en possession de ce pays. » Deut., ix, 4 ; cf. viii, 17.

La seule cause positive ici relevée pour expliquer l’entrée du peuple dans la terre promise relève de la justice commutative, savoir la méchanceté des Chananéens ; mais on voit ailleurs que la gloire de Dieu lui-même y est intéressée. « Pourquoi, prie Moïse, les Égyptiens diraient-ils : C’est pour leur malheur qu’il les a fait sortir ? » Ex., xxxii, 12. « Considère que cette nation est ton peuple. » Ex., xxxiii, 13 ; cf. Num., xiv, 13-17. A quoi se joint la fidélité qu’il doit à ses promesses et le souvenir des ancêtres : « Souvienstoi d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, tes serviteurs, auxquels tu as dit en jurant par toi-même : Je multiplierai votre postérité comme les étoiles du ciel. » Ibid., xxxii, 13. La mention des pères, qui est un hommage à leurs mérites, ne fait que mieux souligner le démérite des fils.

Ainsi le sentiment ému des miséricordes divines doit toujours tempérer, en Israël, la confiance qu’il peut et doit avoir en ses œuvres. Pour réels qu’ils soient, ses mérites ne sont et ne peuvent jamais être indépendants de Dieu, qui lui a donné et lui maintient le moyen de les acquérir. Toute la vie religieuse du peuple juif se développe dans la suite sur la base de cette double conviction.

2. Application au peuple.

Comme toujours dans l’Ancien Testament, c’est aux destinées collectives du peuple que ces prémisses fondamentales de sa foi vont tout d’abord s’appliquer.

a) Livres historiques. — Rien n’est plus connu que la philosophie dans laquelle les écrivains sacrés encadrent tour à tour les événements de leur histoire nationale. Chaque fois que le peuple devient infidèle à son Dieu, il est invariablement puni ; mais il retrouve la miséricorde de Jahvé aussitôt qu’il se retourne vers lui.

Dans cette perspective, la corrélation est absolue et va, pour ainsi dire, de plain-pied entre la faute et le châtiment. « Il s’éleva une autre génération qui ne connaissait point Jahvé, ni ce qu’il avait fait en faveur d’Israël. Les enfants d’Israël firent alors ce qui déplaît à Jahvé et ils servirent les Raals… La colère de Jahvé s’enflamma contre Israël. Il les livra aux mains des pillards qui les pillèrent… Partout où ils allaient, la main de Jahvé était sur eux pour leur faire du mal comme il l’avait dit. » Jud., ii, 10-15.

Le morcellement du style hébraïque ne doit pas induire en erreur : entre les deux phénomènes il n’y a pas seulement succession, mais lien intime. « Puisque cette nation, déclare Jahvé, a transgressé mon alliance…, je ne chasserai plus devant eux aucun ennemi. » Ibid., 20. Et plus loin, iii, 12 : « Les enfants d’Israël firent encore ce qui déplaît à Jahvé, et Jahvé fortifia Kglon, roi de Moab, contre Israël, parce qu’ils avaient fait ce qui déplaît à Jahvé. » C’est dire que la conduite sévère de Jahvé est provoquée pa les fautes des Israélites et suppose un déméxite de leur part.

Inversement la délivrance est toujours présentée

comme une libre initiative de la bonté divine. Le mérite n’a pas à intervenir ici, et pour cause. Mais il n’est pas exclu pour autant d’une manière totale. Car Jahvé attend tout au moins les gémissements de son peuple pour lui venir en aide. Voir lud., ii, 18 ; iii, 15 ; iv, 3 ; vi, 0-8 ; x, 10, 15-16. On ne peut demander autre chose à des coupables que ce geste de détresse, qui signifie déjà un commencement de conversion ; mais ils ne sont pas dispensés de ce minimum. N’est-ce pas laisser entendre que cette contrition, si imparfaite soit-elle, n’est pas dénuée de toute valeur ? Les livres historiques postérieurs se développent sur un rythme sensiblement identique et autorisent les mêmes conclusions.

b) Livres prophétiques. — Avec les prophètes nous rencontrons un enseignement déjà plus explicite, dont l’avenir messianique forme l’objet central.

Il est à peine besoin de rappeler avec quels accents de tendresse ils s’accordent à célébrer les grâces de Dieu sur Israël, qui leur servent de point de départ tout à la fois pour lui montrer son ingratitude et l’exciter à la confiance. Dans le passé, c’est l’élection du peuple, qui résulte uniquement d’un choix bénévole, complétée par le grand miracle de l’exode. Os., xi, 1 ; Jér., xi, 4, et, plus expressément, Mal., i, 2-3, qui se retrouve chez saint Paul, Rom., ix, 13. Bienveillance initiale suivie d’une protection amoureuse qui suggère les comparaisons les plus délicates : Israël est pour Jahvé comme une fiancée, Os., i, 10 ; ii, 24 = Rom., ix, 25-26 ; Ez., xvi, 3-14 ; comme une vigne, Is., v, 2-4, ou un troupeau, Ez., xxxiv, 6, qui furent l’objet des soins les plus attentifs.

Cette Providence qui veilla sur les origines d’Israël se continue à l’égard de ses destinées présentes. Malgré ses crimes, Jahvé veut encore en laisser subsister tout au moins un « petit reste ». Is., i, 9 ; vi, 13 ; x, 20-22 ; xxviii, 5. A ces « réchappes d’Israël » sont promises les plus larges bénédictions. Is., iv, 2-6 ; ix, 1-6 ; xiv, 1-4 ; er., xxiii, 2-8 ; xxiv, 4-7. Il est bien clair, d’après toutes ces prémisses réunies, qu’Israël ne saurait revendiquer aucun droit et que tous les biens qu’il est appelé à recevoir sont, en définitive, autant de faveurs gratuites de Jahvé.

Néanmoins la loi générale subsiste qu’il y a un rapport constant entre la conduite de Dieu et celle de son peuple. Elle est fort bien exprimée dans le discours que le prophète Azarias tient au roi Asa : « Jahvé est avec vous quand vous êtes avec lui… ; mais, si vous l’abandonnez, il vous abandonnera. » D’où suit cette conclusion pratique : « Vous donc fortifiez-vous et ne laissez pas vos mains s’affaiblir ; car il y aura un salaire pour vos œuvres. » II Par., xv, 2-7 ; cf. Is., xl, 10 ; Jer., xxxi, 16.

Aussi bien est-ce un lieu commun, chez les prophètes, que de présenter les malheurs d’Israël comme la punition de ses péchés. Am., iii, 1-2, 13-15 ; iv, 4-12 ; Os., iv, 1-10 ; Is., i, 21-26 ; v, 18-25 ; Jer., v, 23-29 ; vn, 16-20. Réciproquement sa délivrance est subordonnée à sa conversion. D’où non seulement les appels réitérés à la pénitence que font entendre tour à tour les hommes de Dieu, par exemple, Is., i, 16-18 et Joël, ii, 12-17 — ce qui déjà permet de supposer que cet acte ne saurait être inutile — mais ces engagements exprès où le retour à Jahvé est une condition assurée de succès. « Si cette nation sur laquelle j’ai parlé revient de sa méchanceté, je me repens du mal que j’avais pensé lui faire », dit Jahvé dans.1er., xviii, 8. Cf., iii, 22 ; iv, 1-2 ; Is., lv, 7. Les païens eux-mêmes, quand ils sont ainsi disposés, bénéficient du pardon divin, comme en témoigne l’apostolat classique de Jonas à Ninive, iii, 4-10. A n’en pas douter, le droit à la récompense est moins strict que le droit au châtiment ; mais celui-là n’est pas non plus négligé