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    1. MERITE##


MERITE, DOCTRINE DU JUDAÏSME

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a) Pari de l’œuvre humaine. — Si l’anthropologie n’est pas au premier plan du judaïsme, elle découle nettement de sa théodicée. En effet, une des notions les plus essentielles à la religion israélite est, sans conteste, celle de la justice de Dieu. Voir Jugement, t. viii, col. 1734-1735. Cet attribut se manifeste en ce que sa conduite envers les hommes ne procède pas du caprice ou de la faveur. Suivant des formules de date postérieure, mais qui répondent à la foi la plus primitive d’Israël et sont régulatrices de tout son développement, Jahvé, loin de faire « acception de personnes », Deut., x, 17, est un Dieu qui rend à chacun selon ses œuvres, I Reg., xxvi, 23. Ce qui veut évidemment dire que ces œuvres, puisqu’il en tient compte, ont une valeur à ses yeux.

En effet, le rapport logique des actes humains à leur sanction préside à là sentence qui suit la chute originelle. « Puisque tu as fait cela, dit Dieu au serpent, tu seras maudit entre tous les animaux. » Demêmepour Adam : « Puisque tu as écouté la voix de ta femme » et mangé du fruit défendu, « le sol sera maudit à cause de toi ». Gen., iii, 14 et 17. Un peu plus loin, s’il est écrit que « Jahvé porta un regard favorable sur Abel et sur son offrande », tandis qu’il détourna sa face des oblations de Caïn, ibid., iv, 5, la suite montre bien que c’est à cause des dispositions différentes des deux frères.

Ainsi, plus tard, c’est parce que « la méchanceté des hommes était grande sur la terre » que Jahvé les veut détruire tous par le fléau du déluge et, si « Noé trouva grâce aux yeux de Jahvé », c’est parce qu’il était « un homme juste et intègre », en un mot parce qu’il « marchait avec Dieu ». vi, 5, 8-9. Noé lui-même ne se conduit pas autrement lorsqu’il maudit Cham pour son irrévérence et bénit Sem ainsi que Japhet pour le respect dont ils ont fait preuve envers lui. ix, 22-27. Qu’il s’agisse de récompense aussi bien que de châtiment, la Providence divine obéit à la même loi morale qui règle les rapports des hommes entre eux. Dans la suite, cette corrélation continue à se vérifier en maints épisodes significatifs. Les Sodomites sont frappés à cause de leurs crimes, xviii, 20. Ruben et les autres fils de Jacob se sentent punis pour avoir péché contre leur frère Joseph, xlii, 21-22. Au contraire, il n’est pas jusqu’aux sages-femmes égyptiennes qui ne soient récompensées pour le bien qu’elles ont fait aux Hébreux en sauvant leurs garçons. Ex., i, 20-21.

Si grand est le prix des justes devant Dieu que la considération de leurs bonnes œuvres peut retenir sa juste colère à l’égard des méchants. Cette loi de compensation s’affirme avec un admirable relief dans la scène touchante où Abraham marchande auprès de Jahvé le salut de Sodome. Gen., xviii, 23-32. S’il s’y fût trouvé cinquante, quarante-cinq, quarante, trente, vingt ou seulement dix justes, Jahvé eût épargné la ville coupable « à cause d’eux ». Cette puissance d’intercession appartient surtout aux grands serviteurs de Dieu tels que Moïse, qui en fit l’épreuve lorsque le peuple fut tombé dans l’idolâtrie au pied de la montagne, Ex., xxxii, 11-14, 30-32, cf. xxxiv, 8-9, ou eut murmuré contre Jahvé dans le désert. Num., xxi, 7-8.

Telle étant, si l’on peut dire, la condition naturelle des hommes devant Dieu, l’alliance vient leur conférer un titre nouveau. Abraham, qui était déjà l’élu de Jahvé, reçoit l’assurance d’un surcroît de bénédictions pour lui avoir consenti le sacrifice de son fils unique. « Toutes les nations de la terre seront bénies en ta postérité, parce que tu as obéi à ma voix. » Gen., xxii, 18. L’alliance avec Israël prend de même la forme d’un contrat bilatéral, Ex., xxiv, 3-8, dont la portée avait été précédemment exposée en ces termes : « Voici,

l’envoie un ange devant toi… Tiens-toi sur tes gardes devant lui et écoute sa voix… Si tu écoutes sa voix et si tu fais ce que je te dirai, je serai l’ennemi de tes ennemis et l’adversaire de tes adversaires. » Ex., xxiii, 20-22. Ce qui sous-entend comme contre-partie que le peuple sera châtié s’il devient infidèle. En un mot, l’adoption divine étant posée, c’est désormais la conduite du peuple qui doit déterminer la conduite de Dieu. A cet engagement initial se réfèrent tous les commentaires postérieurs qui remplissent le Deutéronome. Voir, par exemple, v, 28-33 ; vi, 10-25 ; xi, 13-17, 26-28 ; xxviii, 1-65 ; xxix, 19-xxx, 7, 15-18.

Il ne s’agit là que de promesses collectives. Mais de la prospérité ou des épreuves qui atteignent la nation ses membres sont évidemment appelés à ressentir le contre-coup. On rencontre d’ailleurs l’affirmation du même rapport à propos de préceptes individuels. « Honore ton père et ta mère, prononce le Décalogue, Ex., xx, 12, cf. Deut., v, 16, afin que tes jours se prolongent dans le pays. » Ce qui importe, quel que soit le cas, c’est que les œuvres de l’homme y soient données comme la cause déterminante de la direction que doit prendre la Providence de Dieu et deviennent la mesure de ses effets.

b) Part de la grâce divine. — Il s’en faut néanmoins que cette part de l’homme, sur laquelle il fallait tout d’abord insister, soit la principale, ni moins encore la seule.

Les théologiens protestants s’évertuent à disqualifier, au nom de la révélation biblique, certaine « théorie mercenaire consistant à établir une parité de rapports entre la prestation humaine et la rémunération divine ». A. Grétillat, op. cit., t. iv, p. 408. Conception simplifiée pour les besoins de la cause, contre laquelle ils dressent ensuite à plaisir tout ce que l’Écriture enseigne du souverain domaine de Dieu sur l’homme, de la libéralité et de la transcendance de ses dons. Il n’est pas douteux que ces vérités n’appartiennent aux couches les plus profondes de la foi juive ; mais seul l’esprit de controverse les peut mettre en opposition avec la doctrine du mérite, dont elles ne font, "en réalité, que préciser les conditions.

Une méthode objective consiste, au contraire, à constater la coexistence de ces deux courants. Ce qui oblige à y voir les deux aspects complémentaires d’une seule et même révélation. A ce titre, il est intéressant de saisir une première affirmation de la grâce divine, pour incomplète qu’elle puisse être encore, dès cette période primitive, où le rôle des œuvres humaines est si fermement indiqué.

Pour ce qui concerne l’humanité patriarcale avant Abraham, phase qu’on peut pratiquement faire coïncider avec ce que la théologie postérieure devait désigner sous le nom de « loi de nature », il n’y a pas d’indication précise sur ce point. Une suggestion générale est pourtant déjà fournie par le récit de la création. Du moment que l’homme tient de Dieu toutes les puissances de son corps et de son âme, n’est-il pas logique de rapporter, en dernière analyse, à la même source tous les biens qui peuvent en découler ?


En revanche, l’idée de grâce se fait absolument nette, dans le cadre propre à l’Ancien Testament qu’il ne faut jamais perdre de vue, aussitôt que surviennent les promesses spéciales au peuple de Dieu. Toutes sont initialement suspendues à l’élection gratuite d’Abraham, Gen. xiii, 1-3 ; cf. xiii, 14-17 ; xv, 4-6 ; xvii, 3-10, qui est ensuite renouvelée et précisée en la personne de Jacob, ibid., xxv, 23.’Plus tard, un nouvel élément de libéralité apparaît avec la délivrance du joug égyptien. Ex., xv, 13 ; cf. Deut., vii, 7-8 ; viii, 14-16. D’une manière plus générale, Jahvé peut dire, pour affirmer ses libres et incontestables