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exige îles suintions difficilement conciliantes avec la doctrine générale sur le mensonge, les moralistes on essayé diverses théories que nous ne taisons qu’énumerer pour le moment :

1. Restriction mentale et équivoque.

La doctrine traditionnelle est intégralement conservée : le mensonge est une parole contraire à la pensée et il n’est jamais pei mis de mentir. On parlera contre sa pensée, puisqu’on est obligé de le faire, et cependant on essaiera de ne pas mentir. Pour cela, ou bien on emploiera une expression ambiguë que l’interlocuteur interprétera mal (équivoque) ; ou bien on sousentendra dans la réponse un mot ou plusieurs mots, dont l’absence extérieure induira le prochain dans l’erreur, dont la présence dans l’esprit rétablira la conformité entre la parole et la pensée. On n’aura pas dit de mensonge, et cependant on n’aura pas dévoilé la vérité.

2. Droit à la vérité.

Ici la définition traditionnelle du mensonge est modifiée. La parole contraire à la pensée n’est plus mensonge défendu que si le prochain avait droit à la vérité, si en lui cachant la vérité on lèse son droit. Dans les cas que nous avons exposés, le prochain n’ayant aucun droit, quelle que soit la réponse, elle ne sera pas un mensonge ou alors elle sera un mensonge permis ; ce sera un falsiloquium, non un mendacium, ou encore un mensonge psychologique, DOn un mensonge moral, un mensonge matériel, non un mensonge formel.

3. Mensonge licite en certains cas.

D’autres théologiens, s’écartant de la doctrine traditionnelle sur la moralité du mensonge, pensent que le mensonge n’est pas intrinsèquement mauvais, qu’il peut devenir licite en quelques circonstances.

1. Conflit de devoirs.

D’autres enfin acceptent toute la doctrine. Le mensonge est une parole en désaccord avec la pensée et un tel désaccord est mauvais. Il y a donc toujours une obligation de parler selon sa pensée. Mais si cette obligation se trouve en conflit avec une obligation de degré supérieur ou de gravité supérieure, c’est l’obligation moindre qui doit céder.

Valeur morale de ces théories.

Il est assez de

mode, dans certain camp, d’accuser de déloyauté la théorie des restrictions mentales : elle autoriserait à mentir presque toujours, et, ce qui est pire, à mentir sans franchise ; elle constituerait un moyen commode de tourner la loi et de tromper Dieu en trompant le prochain. Cette accusation, assez courante depuis les Provinciales, est d’autant, mieux accueillie qu’on l’étend à toute la morale chrétienne, que l’on représente ainsi comme une morale d’hypocrisie et de dissimulation.

Cela est inexact. Le sens moral n’est pas plus oblitéré chez les partisans de la restriction mentale que chez les autres moralistes. On peut abuser de cette théorie comme des autres, et en fait on en a abusé. Mais, en somme, les moralistes, à quelque école qu’ils appartiennent, sont pour l’ordinaire des gens de sens droit. Ils voient que la doctrine qui condamne rigoureusement le mensonge s’applique mal à certains cas ; ils essaient de trouver des explications qui accordent à la fois les exigences du sens moral et celles de la logique ; mais ils n’ont pas pour autant le désir d’appliquer leurs théories autrement que ne l’exige le bon sens. Aussi leurs applications ne varient pas sensiblement d’une école à l’autre : ce sont à peu près les mêmes exemples et les mêmes solutions pratiques ; seule la théorie explicative est différente. C’est l’observation très sage que fait Tanquerey, Synopsis theol. mor. et pastor., Paris, 1921, t. iii, p. 181, note 1. Génicot avait déjà fait remarquer que c’est souvent une simple question de terminologie : Non est enim incomtnodum

si rudes mendacia licila appcllant quw. a theologis communius restrictiones late mentales vocantur. Theol. moral, institut., n. Il G. Louvain, 1902, I. i p. 394.

II. LBS théories.

1° Équivoque et restriction mentale. 1. Ce que c’est. — On use ({’équivoque quand, un mot ayant deux sens, celui qui l’emploie a en vue un sens qui est exact, mais prévoit que l’auditeur l’entendra dans un autre sens qui ne l’est pas. On use de restriction mentale quand on prononce une formule qui, telle qu’elle, est fausse, en la complétant mentalement par une addition qui la rend vraie. La restriction est stricte mentalis quand l’auditeur n’a aucune donnée qui lui permette de la soupçonner ; elle est laie mentalis quand des circonstances extérieures peuvent le mettre sur la voie de la vérité. On trouvera des exemples chez tous les théologiens moralistes.

2. Usage, légitime. — En soi, rien n’empêche d’user d’équivoque ou de restriction mentale dans les cas où l’on n’est pas obligé de dire la vérité. Il ne faut cependant pas que ce soit au détriment de la loyauté qui est la loi ordinaire des relations humaines. Ceitains théologiens ont certainement dépassé les limites permises. De là les critiques de Pascal dans les Provinciales, ixe lettre ; de là aussi la juste défaveur que la théorie des restrictions mentales a rencontrée chez la plupart des moralistes non théologiens.

L’Église a réprimé quelques abus en condamnant les propositions suivantes : « 26. Si quelqu’un, seul ou en présence d’autres personnes, interrogé ou parlant de sa propre initia. ive, par manière de récréation ou pour tout autre motif, jure n’avoir pas fait une chose qu’en réalité il a faite, en sous-entendant à part lui une autre chose qu’il n’a pas faite, ou un moyen autre que celui qu’il a employé, ou toute autre addition exacte, il ne ment pas et n’est pas coupable de parjure. — 27. Un motif suffisant pour employer ces amphibologies existe chaque fois qu’il est nécessaire ou utile d’agir ainsi pour sauver son corps, son honneur, ses biens de famille, ou pour tout autre acte de vertu, de sorte que l’on croie expédient et utile de cacher la vérité. — 28. Celui qui a été promu à une magistrature ou à une emploi, public, grâce à une recommandation ou à un présent, peut user de restriction mentale pour prêter le serment exigé d’ordinaire par ordre du roi dans les cas semblables, sans avoir égard à l’intention de celui qui l’exige ; car nul n’est obligé d’avouer une faute secrète. » Condamnation portée par Innocent XI, le 2 mars 1679, Denzinger-Bannwart, n. 1176-1178. Voir aussi l’art. Laxisme, t. ix, col. 77.

Ces décisions semblent au moins atteindre les reclrictions mentales confirmées par serment, contrairement à la pensée de Noldin, Summa théologies moralis, De præceptis, n. 640. Les théologiens vont plus loin et exigent d’ordinaire deux conditions pour qu’on puisse user de restriction mentale : il faut une raison proportionnellement grave pour légitimer l’erreur où l’on fait tomber le prochain ; il faut que la restriction ne soit que late mentalis el qu’un homme prudent et attentif puisse la reconnaître. Cette deuxième condition, dont on ne tient pas toujours suffisamment compte, est sévère ; par elle, la théorie des restrictions mentales, malgré les préjugés qui courent sur son compte, est plus exigeante que les suivantes, qui en pareil cas autorisent hardiment le mensonge.

3. Critique. Cette théorie a le mérite de respecter la doctrine la plus stricte de la tradition : elle repose tout entière sur le principe que le mensonge ne peut jamais être permis, pour quelque raison que ce soit ; elle s’ingénie pour que l’on évite le mensonge, même dans les cas où l’on n’est pas tenu à la vérité.

Toutefois, en dehors des théologiens, elle est, à