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MENSONGE

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2. L’Église, en condamnant le mensonge, est d’accord avec la conscience morale ; car le mensonge n’est pas seulement opposé à la loi de l’Évangile, il est condamnable dans sa nature.. Il est une profanation de la parole qui a pour but de communiquer à d’autres ses pensées intérieures. Il est funeste au point de vue social : la société, en effet, repose sur la confiance mutuelle dans la parole ; le mensonge, surtout généralisé par la tolérance des moralistes, détruirait cette confiance et transformerait la société en une lutte entre des roueries et des déloyautés.

3. L’Église établit cependant une grande différence de gravité entre les mensonges. Elle est, ici encore, en plein accord avec la conscience. Il y a des mensonges devant lesquels on s’indigne, et il y en a devant lesquels on sourit, avec quelque ironie ; les mensonges joyeux, les vantardises, les exagérations, etc., sont de ceux-ci ; les mensonges pernicieux, destinés à nuire au prochain et inspirés par la méchanceté sont de ceux-là.

4. Il y a même des mensonges que la conscience inorale, si elle n’est faussée par des préjugés, ne réprouve pas, et pour lesquels elle a une extrême indulgence : ce sont les mensonges officieux, ceux qui, sans nuire à personne, sont employés dans le but de rendre service au prochain : le sentiment de bonté qui est à l’origine de ces mensonges les fait volontiers excuser. L’Église n’a pas cette indulgence. Pour elle, le mensonge est toujours mensonge, toujours blâmable ; elle redirait volontiers la parole de saint Augustin, et demande à ses fidèles une loyauté plus parfaite que les autres hommes ne la pratiquent. C’est seulement dans des cas spéciaux, en particulier pour ce que nous pouvons appeler provisoirement le mensonge nécessaire, que les théologiens n’osent plus condamner. Ce sont ces cas que nous allons étudier avec les théories diverses que les théologiens ont imaginées pour les résoudre.

II. Cas spéciaux et théories diverses.

I. RE-MARQUES préliminaires. — 1° Quels sont ces cas ? — 1. Ce sont, avant tout, les cas où il est nécessaire de ne pas dire la vérité, sous peine de causer au prochain un dommage très grave, ou de trahir un très grave devoir. Quelques exemples feront comprendre notre pensée.

Une de ces femmes admirables qui se sont donné comme tâche, pendant la guerre, . de faire évader des prisonniers au péril de leur vie, est surprise par une patrouille ennemie au moment où elle va franchir la frontière avec son petit groupe de protégés. On la soupçonne depuis longtemps ; on l’arrête, on l’interroge. Si elle avoue, si seulement elle hésite, c’est la mort certaine pour elle et pour ceux qui l’accompagnent. Si elle nie, elle risque de mener à bien son œuvre héroïque. Que peut-elle, que doit-elle faire ? Nier pour sauver des vies humaines qui se sont confiées à elle ? c’est un mensonge. Dire la vérité ? c’est signer l’arrêt de mort de ses protégés. N’est-ce pas son devoir évident de ne pas dire la vérité, et, puisqu’il faut qu’elle réponde, de répondre hardiment contre la vérité ?

Un homme est poursuivi par une bande d’émeutiers qui veulent Je tuer. Il se réfugie dans une maison où on le recueille, où on le cache. Personne ne l’a vii, mais on a des soupçons. On perquisitionne, on interroge. Que peut faire, que doit faire l’ami charitable ? S’il avoue, s’il a seulement l’air d’hésiter, il perd l’innocente victime ; il se sera fait le pourvoyeur des assassins. Et pourtant Kant, dans sa logique rectiligne et inhumaine, soutenait que le devoir de la vérité primait tout, même en ce cas. Dans un petit écrit : D’un prétendu droit de mentir par humanité, i il maintient très énergiquement l’obligation absolue

de dire la vérité, même dans le cas où le mensonge pourrait sauver la vie d’un homme. Mais, objecte lienj. Constant, la vérité n’est due qu’à ceux qui y ont droit ; on peut la refuser à un meurtrier qui cherche un homme pour l’assassiner. Au dessus de ce droit, répond le philosophe allemand, s’élève le devoir vis-àvis de soi-même et de l’humanité en général, de ne jamais appliquer vainement la faculté de penser à autre chose qu’à la vérité, et ce devoir est absolu. Ruyssen, Kant, dans la coll. Les grands philosophes. Paris, 1900, p. 257, note. Une pareille solution est de nature à déconsidérer la morale. Le bon sens est, lui aussi, une règle de conduite. Les principes les pi us justes deviendront odieux, si on les applique avec cette rigidité, sans souci des circonstances et de la réalité complexe ; car leur application heurte alors le sens moral. Kant peut conduire ses raisonnements aussi logiquement qu’il veut ; le bon sens n’hésitera pas à qualifier celui qui aura ainsi livré à la mort, fût-ce par scrupule, l’homme qui s’était confié à lui : il l’appellera un traîtie.

Pendant la guerre, un officier est fait prisonnier. L’ennemi se doute qu’une attaque se préparc ; il interroge l’officier sur les projets de l’état —major. Une hésitation à répondre équivaudra à un aveu. L’officier doit-il, peut-il, pour ne pas parler contre la vérité, trahir son pays ? Le bon sens, ici encore. proclame que le devoir absolu est de ne pas renseigner l’ennemi, et, s’il faut absolument parler, de nier la vérité.

Et enfin se sont les cas classiques du confesseur inerrogé sur le secret de la confession, du médecin ou d’autres interrogés sur des secrets professionnels, de l’ami questionné sur le secret confié ou promis.

2. Dans tous les cas que nous venons de voir, il y a obligation de taire la vérité et, dans certaines circonstances, de parler contre la vérité. Il peut se rencontrer d’autres cas, moins tragiques, dans lesquels, si le bon sens ne dit plus qu’on a le devoir de parler contre la vérité, il dit au moins qu’on a le droit de le faire. Quel est celui qui se croira coupable si, à. un parent gravement malade pour lequel il n’y a plus d’espoir, il exprime encore une confiance qu’ii n’a plus ? Et si, obsédé par d’indiscrètes questions, on ne peut poliment se dispenser de répondre, sera-t-on taxé de péché, si on ne révèle pas à l’indiscret ses affaires secrètes, ses projets, ses fautes, ses secrets de famille, etc., qui ne le regardent pas ?

2° Conditions supposées. — Nous ne disons pas que. dans tous ces cas et une foule d’autres semblables, le devoir de ne pas falsifier la vérité soit complètement aboli. Il subsiste, en ce sens au moins qu’on est tenu de se mettre le moins possible en opposition avec la vérité. Donc, pour que l’on puisse répondre comme nous avons dit, il faut certaines conditions : 1. Il y a des matières sur lesquelles tout mensonge serait un mal pire que tous les maux à craindre et s’opposerait au plus grave devoir. C’est ce que les Pères ont appelé le mensonge in doclrina religionis. Aucun motif n’autorisera un chrétien à renier sa foi ou à entraîner son prochain dans l’erreur sur la foi ou la morale. 2. Nous supposons que l’on est interrogé : sinon, on a toujours la ressource et par conséquent le devoir de ne rien dire ; on ne prendra donc pas l’initiative d’une parole contraire à la vérité. — 3. Il faut aussi que l’on ne puisse échapper à l’interrogatoire que par une réponse fausse. Si on peut ne pas répondre, ou éluder la question par une réponse évasive, si on peut sans trahir le secret faire remarquer à son— interlocuteur l’indiscrétion de ses demandes, on a le devoir de le faire.

3° Théories imaginées pour expliquer les solutions du bon sens. — En présence de ces cas où le bon sens