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quæstio de qua jam grandem librum… ubsolvimus, utrum ad officium hominis justi pertineal aliquando mentiri, c. xviii, col. 240. Et d’autre part, quand il donne son avis, malgré les fortes raisons dont il l’appuie, il le présente comme une opinion personnelle plutôt que comme une doctrine certaine et sans appel : Mihi videtur. Enchirid., ibid.

Saint Augustin traita d’abord cette question dans un opuscule, De mendacio, composé vers 395. Il déclare dans ses Retraclationcs, t. I, c. xxvii, t. xxxii, col. 630, que ce premier essai ne l’a pas satisfait et qu’il eût voulu le supprimer de ses œuvres, quia et obscurus et anfractuosus et omnino molestas mihi videbatur. Jamais cependant il ne dit que la doctrine ne lui en paraît pas exacte.. Il eut plus tard l’occasion de revenir sur la question. La secle des priscillianistes faisait des adeptes ; grâce à son organisation en société secrète, il était très difficile de dépister ses membres qui avaient pour principe de se déclarer catholiques quand on les interrogeait ; il y avait bien un moyen : c’était de feindre d’être priscillianiste pour connaître les secrets de la secte, pour dépister ses agents, pour dénoncer ses partisans. Ce but de défense des âmes n’était-il pas suffisant pour légitimer le mensonge ou la série de mensonges dans lesquels il fallait s’engager ? Plusieurs l’avaient pensé. Saint Augustin, questionné à ce sujet, répond par son traité Contra mendacium, composé vers 420. Et enfin, en 421, il revient sur la même question dans son Enchiridion, c. xviii et xxii. Ces trois ouvrages se trouvent rassemblés dans P. L., t. XL.

La réponse de saint Augustin ne pouvait guère hésiter. Il s’est dépeint sans le’savoir, en posant un jour cette splendide demande. Quid forlius desiderat anima quam veritatem’l Tractaius in Joannem, xxvi, 5, t. xxxv, col. 1609. Cette âme passionnément éprise de vérité, désirant la vérité plus que tout, c’était la sienne ; comment eût-il compris que l’on pactisât avec le plus léger mensonge ? Aussi, c’est avant tout parce que le mensonge est en lui-même opposé à la vérité qu’il le condamne : Mendaciorum gênera milita sunt, quæ quidem omnia universaliter odisse debemus. Nullum est enim mendacium quod non sit contrarium veritati. Nam sicut lux et tenebrsp, pielas et impietas… vila et mors, ila inter se sunt veritas mendaciumque contraria. Unde quanto amamus islam, lanto illud odisse debemus. Cont. mendac, 4, t. xl, col. 520.

Donc, quels que soient les mensonges, quelque excuse qu’on veuille leur accorder, il les condamne tous, puisque ce sont des mensonges. Qu’il soit en matière religieuse, comme ceux des catholiques qui faisaient semblant de se convertir à l’hérésie, qu’il soit proféré par méchanceté ou pour rendre service, qu’il soit dit par manière d’amusement, tout mensonge est mauvais, parce qu’il est mensonge, parce qu’il est opposé à la vérité.

Il l’est encore parce qu’il détourne de sa fin naturelle et voulue par Dieu la parole, qui nous a été donnée pour exprimer notre pensée et non pour la déguiser. Verba proplerea sunt instiluta, non per quæ homines se invicem fallant, sed per qua ; in alterius quisque notiliam cogilationes suas perjerat. Verbis ergo uli ad fallacium, non ad quod instituta sunt, peccalum est. Enchirid., c. xxii, col. 243.

Mauvais en lui-même, rien ne peut dès lors légitimer le mensonge. Il n’est pas permis de commettre un péché, alors même que ce serait pour procurer un bien ou pour empêcher le prochain de commettre des péchés plus graves. Contr.mend., 19, col. 530 ; Enchirid., c. xxii, col. 243-244. La bonne intention diminuera la culpabilité du mensonge, elle ne la supprimera pas. Conlr. mend., 19, col. 529-530.

A vrai dire, ces mensonges faits par bonne intention

troublent le saint docteur dans la sereine logique de sa sévérité. En y réfléchissant davantage, c’est à peine s’il ose définitivement les condamner. Multum fatendum est propinquare juslitiæ, et quamvis reipsa nondum, jam tamen spe atque indole animum esse laudandum qui nunquam nisi hac intenlione menlitur qua nuit prodesse alicui, nocere autem nemini. Contr. mend., 33, col. 541. Malgré tout cependant, la perfection à laquelle doivent tendre les chrétiens répugne au mensonge. Les enfants de la cité chrétienne sont des fils de vérité ; pour en être dignes, ils doivent s’efforcer de mériter l’éloge de l’Apocalypse, xiv, 5 : « Dans leur bouche ne s’est pas trouvé le mensonge. » Si donc il leur arrive de mentir, même pour le bien, que, loin de s’en vanter, ils s’en humilient et qu’ils demandent pardon : Ilis filiis superme Jérusalem et sanctæ civitatis seterna : si quando, ut hominibus, obrepil qualecumque mendacium, poscunt humiliter veniam, non inde quxrunt insuper gloriam. Ibid. Quoi qu’il en soit, saint Augustin préfère s’en tenir à la sévérité : il sait bien que cette condamnation absolue du mensonge le met en contradiction avec les mœurs qui l’absolvent avec une excessive facilité ; mais il aurait peur de faciliter, par une doctrine trop indulgente, cette invasion du mensonge qu’il déplore. Et il conclut : Aut ergo cavenda mendacia recte agendo, aut confitenda sunt pœnilendo ; non autem, cum abundant infeliciter vivendo, augenda sunt et docendo. Cont. mend., 41, col. 547.

Pour résumer avec toutes ses nuances l’opinion de saint Augustin, nous ne pouvons donc nous contenter de dire simplement qu’il condamne le mensonge sans restriction. Dans certaines circonstances, il voit bien que l’utilité d’un mensonge léger peut en compenser la malice aux yeux de beaucoup de g’ens. Pour lui, il n’accepte pas cette tolérance. En ces conjonctures, un homme ordinaire mentirait sans scrupule, puisqu’il s’agit, par exemple, de sauver la vie ou l’honneur d’un innocent ; et sans doute il ne pécherait pas. Un chrétien ne le fera pas. Jamais de mensonge pour lui ; car son idéal plus haut et la morale plus parfaite de l’Évangile lui imposent une droiture plus absolue. Le mensonge ne serait pas digne de lui ; il serait péché pour lui, péché qui peut devenir très léger, mais suffit à faire éviter tout mensonge.

Telle fut la doctrine non seulement de saint Augustin, niais de la très grande majorité des Pères. Leurs témoignages sont reproduits et commentés par L. Thomassin, Traité de la vérité et du mensonge, Paris, 1691, surtout p. 75-190. Et pourtant, parmi les textestamentelés par le savant oratorien, quelques-uns rendent un son moins net, et on peut y découvrir une tendance moins intransigeante ; il faut la dégager pour exposer avec impartialité la pensée de l’antiquité chrétienne sur le mensonge.

2. Cette deuxième tendance ne présente pas une masse imposante de représentants comme la première. Et pourtant elle se réclame, en Orient, de Clément d’Alexandrie, d’Origène et de saint Jean Chrysostome, en Occident de saint Hilaire et de Cassien. On trouvera leurs textes dans Thomassin, op. cit., p. 130 sq., 153 sq., 163 sq., 177 sq.

Ce n’est pas, on voudra le remarquer, une réaction en faveur du mensonge : celui-ci est trop évidemment en opposition avec l’esprit de droiture que recommande l’Évangile, pour qu’aucun docteur chrétien pût songer à le justifier. Tous, sans exception, tiennent à inspirer à leurs auditeurs ou à leurs lecteurs une haute idée de la sincérité et une profonde horreur pour le mensonge. Clément d’Alexandrie, par exemple, trace dans ses Stromates, 1. VU, c. viii, P. G., t. ix, col. 471, le tableau du gnostique, c’est-à-dire du chrétien parfait ; et il lui donne comme caractéristique la sincérité. Saint Hilaire rappelle que la loi constante et univer-