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    1. MÉLANCHTHON##


MÉLANCHTHON, RAPPORTS AVEC LE CATHOLICISME

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ments de surface demeurait une attache profonde au grand Réformateur. » Il se peut ; dans cette impossibilité de s’échapper, il y avait peut-être je ne sais quel ascendant exercé par le tribun sur l’intellectuel sans flamme, je ne sais quelle fascination physique s’imposant à la fatigue du neurasthénique. El sans doute aussi Luther eut-il toujours un reste d’attache pour l’ami des jours de lutte ; jamais en public il ne s’échappa contre Mélanchthon à des attaques violentes comme il en dirigea contre Carlstadt, Mtinzer, Érasme, et tant d’autres. i

Pour Luther, Mélanchthon avait été l’ami des premiers jours ; plus tard, il n’avait jamais brisé avec lui ; ce sont ses lettres qui contiennent ses plaintes, et dans l’ensemble sa correspondance resta ignorée des contemporains. Il n’y a donc pas à s’étonner qu’après le mort de Luther, il ait été considéré comme le successeur du Réformateur et comme le chef de la Réforme allemande.

On comprend que Luther et Mélanchthon ne se soient pas séparés : ils se complétaient merveilleusement l’un l’autre. Les Lieux communs et la Confession d’Augsbourg sont le complément de l’Appel à la Noblesse allemande et du rejet de la bulle Exurge. En 152 l J, Luther exprimait heureusement la tâche de Mélanchthon à côté de la sienne : « Je suis né pour lutter et tenir la campagne contre les bandes et les démons ; c’est pourquoi mes ouvrages soufflent la tempête et la guerre. Je dois déraciner les arbres avec leurs troncs, tailler les haies avec leurs épines, et combler les mares stagnantes. Je suis le rude bûcheron qui doit frayer et tracer la route en pleine forêt. Alors maître Philippe s’avance discrètement et sans bruit ; il se livre au plaisir de bâtir et de planter, de semer et d’arroser ; il fait valoir ainsi les dons heureux que Dieu lui a départis. » Éd. de "Weimar, t. xxx b, p. 08-69. Luther est le torrent descendant des montagnes, Mélanchthon, le ruisseau serpentant dans la plaine

Mélanchthon et l’Église catholique.

Souvent les

catholiques ont cherché à ramener Mélanchthon à l’Église.

En 1524, Mélanchthon était à Rretten, chez sa mère ; le légat Campeggio, qui était alors à Stuttgart, lui envoya son secrétaire, Frédéric Nauséa. Cette tentative n’eut aucun succès. En 1528, Jean Faber, prédicateur du roi des Romains Ferdinand, lui offrait une place à la cour impériale, s’il voulait abandonner la Réforme. En 1530, à la diète d’Augsbourg, Mélanchthon fit lui-même à Campeggio des avances étranges, qui mettent sa bonne foi en fâcheuse posture (ci-dessus, coi. 503). De 1530 à 1537, André Éricius, humaniste, ami d’Érasme et évêque en Pologne, l’invita plusieurs fois à venir auprès de lui, et à abandonner Luther. En vain Jean Cochlœus, le seul catholique que Mélanchthon ne put tromper, mettait-il Éricius en garde contre le caractère fuyant de son correspondant. Mélanchthon ne fît jamais de réponse nettement négative. La correspondance ne se termina qu’avec la mort d’Éricius. Ces mêmes années-là (1531-1539), Campeggio, Aiéandre, Vergerio, Bracetto multiplièrent des démarches du même genre. Avec tous, Mélanchthon avait des mots polis et onctueux ; pour berner un dignitaire ecclésiastique, il n’en faut souvent pas davantage.

En France, depuis sa mort, on a assez fréquemment opposé sa modération aux violences de Luther. Bossuet avait tracé la voie dans son Histoire des variations, 1. V.

Sous cette modération et ces tractations avec les catholiques, que se cachait-il ? Sans doute, le regret de la scission, peut-être du remords. En mourant, le père de Mélanchthon avait conjuré les siens « de ne jamais se séparer de l’Église ». Neuf jours avant sa mort,

Mélanchthon rappelait cette parole à son entourage. Protest. Kealencijclopadie, 3e edit., 1903, art. Mélanchthon, p. 531.

On connaît aussi le langage qu’il aurait tenu à sa mère. Sur ce point il y a deux versions. L’une est de Florimond de R ; cmond, L’histoire de la naissance, progrès et décadence de l’hérésie de ce siècle, I. II, c. ix, Rouen, 1629, p. 186, 187. Mélanchthon était sur son lit de mort ; sa mère lui avait demandé quelle était la meilleure religion, celle des ancêtres ou la nouvelle. Mélanchthon avait répondu : Hœc plausibilior, illa securior ; « la nouvelle doctrine est la plus plausible, mais l’autre est la plus sûre. » Cette version est évidemment à rejeter. La mère de Mélanchthon mourut longtemps avant son fils, en 1529 ; et Florimond de Ræmond est un historien sans critique. L’autre version est plus plausible ; elle se rapporterait à l’un des deux voyages de Mélanchthon à Bretten, en 1521 ou mieux en 1529. Au printemps de 1529, Mélanchthon alla de Spire, où se tenait la diète, à Bretten, sa ville natale, où vivait sa mère. Sa mère lui aurait témoigné son trouble : au milieu de toutes ces discussions, à quoi s’en tenir ? Mélanchthon lui aurait répondu « de continuer à croire et à prier, comme elle avait fait jusque-là, sans se laisser troubler par toutes ces discussions et ces conflits. » Melchlor Adam, Vitse theologorum, 1620, p. 333, dans Grisar. Luther, t. iii, p. 228.

Mais chez Mélanchthon la modération venait d’une nature faible et timide, d’une santé épuisée qui devait s’interdire les grands éclats ; à quoi s’ajoutaient souvent des préoccupations d’habileté politique. Pour ses réminiscences catholiques, elles n’allaient pas au de la d’émotions littéraires. Dans le fond, il réprouva toujours le côté « superstitieux » du culte catholique, et le côté « tyrannique » de sa hiérarchie.

Aussi a : t-on pu dire avec beaucoup de raison qu’avec ses faux-fuyants et sa douceur apparente, Mélanchthon était plus dangereux que Luther. Grisar, Luther, t. ii, p. 268.

Vraisemblablement, la tendance de Mélanchthon aux positions intermédiaires cachait une certaine indifférence à l’égard du dogme : à quoi bon tant de luttes sur.des rites, ou même sur des points de doctrine ! Plus loin, plus profondément, il y a l’union intime de l’âme avec Dieu : c’est le seul point essentiel : Avide exspecto illam lucem, in qua Deus erit omnia in omnibus, et procul aberunt sophistica et sycophantica. C. R., t. ix, col. 898 (à Buchholzer, 10 août 1559).

C’est là, semble-t-il, la tendance qui permet le mieux de comprendre la raison des sinuosités de Mélanchthon ; dans la théologie, cet humaniste fut toujours quelque peu dépaysé. C’est aussi cette tendance qui fait le mieux saisir la raison de son opposition profonde à l’Église catholique. L’Égii’se catholique ne goûte pas cette attitude dégagée à l’endroit des dogmes ; c’est pourquoi, malgré des apparences contraires, Mélanchthon a toujours été aussi éloigné que Luther d’un retour au catholicisme.

Pourtant Mélanchthon voulait l’unité de la doctrine, et pour maintenir cette unité, il entendait établir des moyens pratiques : profession de foi et surveillance doctrinale. Comment ces institutions s’ailient-elles avec l’indifférence doctrinale qui serait sa tendance profonde ? La Rochefoucauld répondra : « L’imagina-’tion ne saurait inventer tant de diverses contrariétés qu’il y en a naturellement dans le cœur de chaque personne. » Par la demande profonde du sentiment religieux, par— son éducation catholique, Mélanchthon sent la nécessité d’une doctrine ; par le besoin de garder un lien d’union entre les protestants, il en arrive à l’indifférence à l’endroit des dogmes, à la religion du sentiment. Et, elles aussi, ses tendances propres le conduisaient dans la même direction ; elles