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MKLANCHTHON, I/ÉGLISE


il fixa la théologie de l’orthodoxie luthérienne (15501700).

Humaniste, Mélanchthon devait être porté à croire à la bonté native de l’homme. De fait, il prise beaucoup la morale d’Aristote, celle des stoïciens et plus encore celle de Cicéron. Entre ces morales antiques et la morale chrétienne il ne devait pas percevoir de différence appréciable. La grande supériorité de la morale chrétienne, le précepte de tendre vers Dieu par l’amour, n’avait sans doute pas fixé son attention ; pour lui, l’avantage du christianisme, c’était la rémission des péchés. Apologia, R. 62. Aussi, entre l’homme déchu et le chrétien, il ne sera pas porté comme Luther à voir un abîme. Epilome philosophise moralis, l ro édit., 1538, C. R., t. xvi, col. 21 sq. ; 2e édit., 1550, sous le titre Ethicse àoetrinæ elementa, C. R., t. xvi, col. 165 sq.

A la suite de Luther, il enseigna d’abord une sombre prédestination çt la négation absolue de la liberté humaine ; c’est la doctrine de la première édition des Lieux communs de théologie : Quando quidem omnia, quæ eveniunt, necessario juxta divinam prædeslinalionem eveniunt, nulla est voluntatis noslrse liberlas. Cap. De hominis viribus adeoque de libero arbilrio. Peu à peu, il adoucit cette théorie sauvage. En 1527, dans son Instruction pour la visite des Églises, Dieu n’est déjà plus l’auteur du péché, et l’homme reçoit une certaine liberté, pour ce qui touche à « la justice civile ». C. R., t. xxvi, col. 27 ; éd. de 1528, en allemand, l’édition définitive, C. R., t. xxvi, col. 78. Dans la seconde édition des Lieux communs, en 1535, l’a liberté humaine est encore plus affirmée. Sans doute, deux ans après, il signe les Articles de Schmalkalde comme « pieux et chrétiens » ; or, dans ces articles, Luther niait la liberté. Mais, dans ses écrits personnels, il se ressaisissait ; en 1548, dans une nouvelle édition de ses Lieux communs, il en venait à accepter pour la liberté une définition peut-être semi-pélagienne : facultas upplicandi se ad gralium. C. iv, De humanis viribus seu de libero arbitrio ; ci-dessus, article Luther, col. 1290. Sur ce point capital, ce sera la dernière expression de sa pensée.

Libre, l’homme devait avoir une part à sa justification. De fait, dans la seconde édition des Lieux communs (1535), Mélanchthon énonce trois causes de la justification : Verbum, Spiritus sanctus et voluntas, non sane oliosa, sed répugnons infirmilali su&, cap. De humanis viribus… Dès lors, il ne séparera jamais les bonnes œuvres de notre justification ; en 1530, par exemple, dans un Commentaire sur l’évangile selon saint Jean, il dit qu’elles sont une condition nécessaire de cette justification. De là le nom de Synergisme que l’on donnera à sa théorie de la justification. Ce point d’arrivée est aux antipodes de celui de Luther.

Dans ses Loci communes de 1535, son discours De Philosophia, de 1536, son Epitome philosophiæ moralis, de 1537, il étudie les rapports de la philosophie et de la théologie. La philosophie est l’interprète de la Loi, la théologie, l’interprète de l’Évangile. Luther se plaisait à opposer la Loi et l’Évangile ; pour Mélanchthon, au contraire, la Loi prépare la voie à l’Évangile. C. R., t. xxiii, col. 8 sq. (1552). La loi, lumen naturæ, nous conduit jusqu’à la connaissance de Dieu. Pour ce qui est de la religion et de la morale, le péché a troublé et affaibli les forces naturelles. C’est pourquoi la révélation a dû de nouveau roemulguer la Loi, notamment par le Décalogue. La révélation n’est pas seulement une nouvelle promulgation de la Loi ; elle en est le complément et le couronnement. C. R., t. xiii, col. 651 (1547), etc. Aussi la philosophie est-elle inférieure à la théologie et doit-elle lui être soumise. Comme on le voit, c’est à peu près la doctrine traditionnelle catholique. A l’opposé de Luther, Mélanchthon a condensé ses

idées théologiques dans un manuel didactique. Ç. R., t. xxi ; Plitt-Kolde, Loci communes, 3’édit., 1900. Ce manuel a eu trois éditions principales : en 1521, en 1535 ut en 1512. En 1521, il l’intitula : Loci communes rerum theologicarum, seu hypoty poses theologicse. En 1535, il l’appela simplement : Loci communes theologici ; c’est le titre que l’ouvrage garda jusqu’à la fin. Pour l’ordonnace des matières, Mélanchthon suit à peu près les Sentences de Pierre Lombard. Mais les diverses éditions subirent des remaniements importants ; comme on vient de le voir, elles nous donnent notamment un résumé de l’évolution des idées de l’auteur sur le libre arbitre et l’utilité des œuvres. En 1521, sur ces deux points, comme du reste sur tous les autres, il enseigne intégralement la doctrine de Luther. Inviclus libellus, écrira Luther en 1525, non solum immortalitale, sed et canone ecclesiastico dignus. De servo arbitrio, éd. de Weimar, t. xviii, 1908, p. 601. En 1535, il adoucit sa négation de la liberté, et commence à enseigner Te que plus tard on nommera le Synergisme. En 1548, dans une addition de l’édition de 1542, il en vient à déclarer acceptable une définition inspirée d’Érasme et qui tend au semipélagianisme (col. 507).

3° L’Église, en face de la Bible, des inspirations privées et du pouvoir temporel. — A l’origine, Mélanchllion, lui aussi, fut pour l’Église invisible. C’est encore ce concept qu’en 1535 il donne dans la seconde édition des Loci communes : Ecclesia proprie et principaliter signifteat congregalionem justorum, qui vere credunl Christo et sancti ficantur spiritu Christi, cap. De Ecclesia. Il ne rejeta jamais complètement cette doctrine. Mais peu à peu, et beaucoup plus encore que Luther, il pencha vers une Église visible : Ecclesia visibilis est coetus amplectentium Evangelium Christi et recte utenlium sacramentis, in quo Deus per minislerium Evangelii est efficax et multos ad vitam setemam régénérai. C. R., t. xxi, col. 826 (1545). On sent du reste aussitôt la faiblesse de cette définition ; qu’est-ce que le vrai « Évangile » ; et quel est « le bon usage des sacrements » ? Cet Évangile et cet usage varieront avec chaque protestant ; autant dire que chaque protestant constituera son Église.

Dans l’Église de Mélanchthon, comme dans celle de Luther, tous les vrais chrétiens sont prêtres. C. R., t. xiii, col. 1158 (1553-1555). Dans cette communauté, il est vrai, il faut une organisation ; l’on gardera donc les formes de l’administration catholique, et jusqu’à l’épiscopat. C. R., t. iv, col. 627 (9 nov. 1541) ; t. ix, col. 937 (1 er oct. 1559). Mais cette hiérarchie ne vient pas de l’institution de Jésus-Christ ; elle sort uniquement des besoins de la communauté, et c’est de la communauté qu’elle reçoit ses pouvoirs religieux.

En effet, Mélanchthon, comme Luther, s’en tint toujours au rejet d’une autorité doctrinale dans l’Église. Pour nous transmettre et nous expliquer la révélation, Dieu et Jésus-Christ ont pris trois canaux : la Bible, la Tradition avec l’Église, les illuminations privées. Avec Luther, Méianchthon accepte la Bible et les illuminations privées, il rejette la Tradition et l’Église. C’est ce que déjà il disait dans ses thèses pour le baccalauréat en théologie : Quod catholicum, prœter articulos, quos Scriptura probat, non sit necesse alios credere. Deinde conciliorum auctoritatem Scripturæ auctoritate vinci. C. R., t. i, col. 138 ; Plitt-Kolde, Loci, 3e édit., 1900, p. 251 (19 sept. 1519). C’est ce qu’il ne cessa de dire dans la suite, par exemple, dans les Loci communes, 2e et 3e édit., cap. De Ecclesia, De Libertate christiana, etc., et dans le De Ecclesia et auctoritate verbi Dei, C. — R., t. xxiii, col. 595 sq. (1539).

En conséquence, Mélanchthon attachait une importance singulière à la connaissance de la Bible. Il aida