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MÉLANCHTHON, LA JUSTIFICATION

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19 avril 1560, il rendit le dernier soupir. Il fut enseveli à côté de I. lit lier, dans la chapelle du château de Wittenberg.

Trois grands peintres nous ont laissé le portrait de Mélanchthon : Jean Holbein, dans un petit médaillon maintenant au musée de Hanovre ; Albert Durer, dans une gravure sur bois, de 152C ; et Lucas Cranacli, ou plutôt les artistes de son atelier, en plusieurs répliques. Sa physionomie fait quelque peu penser à celle de Benoît Labre. Ce n’est qu’à force d’énergie, de régularité et de sobriété qu’il put se maintenir dans s ;. i<- de travail. Il était désintéressé et fidèle à ses amis. Dans ses écrits et ses propos, il y a moins de laisser aller que chez Luther.

D’ailleurs, d’autres côtés de son caractère sont beaucoup moins à son éloge. Avant tout, chez cet auteur d’une Profession de foi fameuse, l’on a à regretter l’instabilitié de la croyance sur des points importants de la doctrine chrétienne, et plus encore le manque de sincérité. A Augsbourg, on se demandait s’il voulait tromper les catholiques ou abandonner les protestants. De plus en plus, il pencha vers les sacramentaires, mais il s’en cacha avec dissimulation. Pourtant, il supportait fort mal la contradiction, et fut loin d’être toujours d’une douceur parfaite : en 1510, par exemple, il poursuivit de sa haine et de ses injures le pauvre et doux visionnaire Gaspard Schwenkfeld.

En résumé, Mélanchthon a été un grand humaniste, neurasthénique, jeté malencontreusement sous l’influence de Luther et dans les luttes de la Réforme.

IL Philosophie kt théologie. — Mélanchthon a embrassé tout le savoir de son temps. Ce savoir, il semble le posséder sans peine ; il le communique d’une manière facile et naturelle.

Mais ce savoir n’a ni grandes envolées, ni vastes horizons : Mélanchthon ne fait pas penser au delà de ce qu’il sait ; c’est un bon vulgarisateur. Cum viderem res magnas et necessarias divinitus patefacias esse in nostris Ecclesiis per viros pios et doctos, duxi màterias illas in variis scriplis sparsas colligendas esse et quodam ordine explicandas, ut facilius percipi a juvenibus possent. liane operam et hoc velut pensum debere me in hoc scholastico munere, quod gero, Ecclesise juiicabam. C. R., t. xxi, col. 341 (1535). Vulgarisateur, Mélanchthon a partagé les illusions de son temps. Il a cru fortement à l’astrologie. En 1558, il répugnait fort à accompagner son électeur en Danemark : dans les étoiles, il avait lu qu’il ferait naufrage. Finalement le voyage n’eut pas lieu. Comme Luther, il croyait fermement à la fin très prochaine du monde.

Mélanchthon a été « le Précepteur de l’Allemagne, Prwceplor Germanise ». Précepteur par les nombreuses universités qu’il a réformées ou fondées : Wittenberg, Tubingue, Leipzig, Rostock, Heidelberg, Erancfortsur l’Oder, Marbourg, Kremgsberg, Iéna. Précepteur par ses manuels et ses méthodes, par les idées qu’il a vulgarisées ; dans les humanités, en philosophie et en théologie, son influence domine toute la période de l’orthodoxie. Dans les humanités : en Saxe, par iple, sa Grammaire latine a été en usage jusqu’en 1734. En philosophie : dans le monde luthérien allemand, ses manuels de philosophie ont prévalu jusqu’à Leibniz et à Wolf. En théologie : il a codifié et assagi la doctrine de Luther ; cette codification a duré jusqu’au piétisme et au delà (1550 à 1700). Dans ce multiple enseignement, ce n’est pas à la spéculation qu’il vise, c’est à la pratique ; c’est là la carætéristisque, caractéristique assez Lerne, que lui reconnaissent tous ses biographes.

Contrairement à Luther, .Mélanchthon écrit mieux en latin, et même en grec, qu’en allemand. Une difficulté de parole, une santé fragile lui interdisaient les grands éclats d’une éloquence de tribun.

Dans ce dictionnaire de théologie, nous iibus arrêterons aux cinq points suivants : 1. La philosophie de Mélanchthon ; 2. Ses idées sur la justification ; 3. Ses idées sur l’Église et le pouvoir temporel ; 4. Ses relations avec Luther ; 5. Ses relations avec les catholiques.

Philosophie.

L’initiation de Mélanchthon à la

philosophie se fit d’après les deux courants de la philosophie scolastique ; à Heidelberg, d’après la via antiqua, autrement dit le réalisme thomiste ; à Tubingue, d’après la via moderna, autrement dit le nominalisme. Un moment, à Wittenberg, il suit Luther, il plaisante sur Aristote et la philosophie en général. (1518-1522). Didymi Faventini oratio, février 1521, C. R., 1. 1, col. 301 sq. ; Adversus theologorum Parisinorum deerctum pro Luthero apologia, juin 1521, C. R., t. i, col. 400 sq. Mais bientôt il se reprend ; le 20 décembre 1524, il écrivait à Spalatin : Sed heus tu homo theologus philosophari cœpisti ! nescis hoc lempore quantum cum philosophia theologis bellum sil ? Ego summo labore curaque eam tueor ; non aliter alque aras nostras ac focos solemus. C. R., t. i, col. C95. Aux environs de 1530, il commença à écrire ses manuels de philosophie ; en 1528, les Dialecticcs libri IV, qui eurent rapidement huit éditions, etc. Dans ces ouvrages, il est aristotélicien. D’Aristote il a gardé le goût de l’observation, de la constatation des faits ; volontiers, il étudie la nature physique. Du reste, d’une manière générale, il goûtait les vues modérées et la logique d’Aristote. C. R., t. xi, col. 282 (1536) ; col. 423 (1538). D’Aristote, néanmoins, il élimine toute la métaphysique ; il a vu Aristote au travers de Cicéron et de ses traités pratiques de religion et de morale, le De Falo, le De natura Deorum, le De offtciis.

Comme la doctrine catholique, Mélanchthon est pour l’unité du savoir humain. Aujourd’hui, il y a une tendance à disjoindre et même à opposer trois ordres de vérité : la vérité philosophique, fondée sur la raison, la vérité religieuse, que l’on nomme plutôt vérité théologique, et que l’on fonde sur la tradition ; enfin la vérité mystique, fondée sur l’expérience intime. Cette disjonction, remonte aux nominalistes ; à la fin du xiue siècle, Duns Scot en pose les prémisses, et, dans la première moitié du xiv, Guillaume d’Occam, l’a fait explicitement enseigner. Luther, son disciple, l’a encore accentuée ; d’une manière fougueuse, il a opposé la raison à la foi. De cette théorie., les protestants modernes ont tiré des conséquences extrêmes ; ils ont particulièrement excellé à dissocier la doctrine contenue dans la Bible, et les données de l’expérience religieuse personnelle. Aristotélicien, Mélanchthon ne tombe pas dans cette dissociation. Dans la recherche de la vérité, toutes les sciences devaient s’unir, et finalement contribuer à former « l’honnête homme » et le chrétien.

La justification.

Penchant vers Aristote, Mé

lanchthon était plus que Luther porté à s’intéresser à l’intelligence. C’est ce qui se manifeste dans son concept de la foi.

Là aussi sans doute, il marche à la suite de Luiner ; il conçoit la foi comme une confiance : fiducia misericordise divinse. Loci communes, éd. de 1521, c. Dejustificatione et fi.de ; — Ne quis suspicetur taritum notiliam esseaddemusamplius ; estvclleetaccipcrcoblalampromissionem remissionis peccalorum et justificationis. Apo logia Confessionis Auguslanee, H. 69. Toutefois, c’est avant tout l’élément intellectuel que Mélanchthen voit dans la foi : Fides est assentiri universo verbo Dei, nobis tradito, alque Un et promissioni gratis ; d est fiducia acquiescent in Deo pTqpter mediatorem. C !  !., t. xxiii, col. 455 ; Expllcatio Symboli Niceni, édit. de 1561. Sur ce point, comme sur beaucoup d’autres,