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MEDISANCE — MEGANCK


le vol donc, dont elle partage l’injustice, elle crée un devoir, celui de restituer.

L’obligation est stricte, rigoureuse : elle découle de ce principe d’équité naturelle qui défend de nuire au prochain et qui ordonne, après quelque dommage à lui causé, de le rétablir dans son premier état, qui delrahit alicui rei, ipse se in fulurum obligat. Le médisant, dit l’Écriture, s’oblige pour l’avenir. Et à quoi s’oblige-t-il ? A rendre l’honneur qu’il a enlevé, à refaire les réputations que sa langue a déchirées, ravagées, à réparer même tous les dommages matériels ou autres qu’il a causés par sa faute. Le voleur parfois peut se trouver dans l’impossibilité de rendre ; s’il n’a plus rien. Dieu content de son repentir, lui tient compte de sa bonne volonté. Différente est la situation du médisant ; tant qu’il a une langue dans la bouche, si difficile que soit l’accomplissement de ce devoir, il est en son pouvoir de restituer sinon totalement, du moins en partie ce qu’il a fait perdre.

L’obligation est stricte, rigoureuse. Il faut ajouter : elle est trop rarement accomplie, quelquefois malheureusement impossible… Pourquoi rarement accomplie ? Et d’abord parce que la volonté manque. Quels sont ceux d’ordinaire qui cultivent la médisance’? Xc faut-il pas les chercher surtout parmi les orgueilleux, les haineux, les jaloux, les vindicatifs. Il en coûte trop à ceux-là de sacrifier leur passion et de remettre en honneur un prochain dont ils ont médit pour mieux le fouler aux pieds. La réparation d’un vol a lieu souvent, par intermédiaire, la réparation d’une médisance est affaire personnelle, elle n’est même possible qu’aux dépens de l’honneur de celui qui l’assume. Iront-ils ces détracteurs, plus jaloux de leur propre réputation que respectueux de celle des autres, s’avouer coupables, se décerner un brevet authentique d’injustice et de méchanceté, de légèreté imprudente, se donner un certificat de mauvaise langue" ? — Pourquoi encore rarement accomplie ? Parce qu’on n’a pas de repentir sincère des propos médisants, parce qu’on n’en fait pas sérieusement pénitence. On les prononce légèrement ; ils sont encore plus vite, plus facilement oubliés que dits. Les voleurs, dit-on, les grands voleurs surtout ne se confessent pas. Les médisants se confessent-ils’? Ou, s’ils se confessent, le font-ils autrement que par des accusations vagues, générales, enveloppées, qui retiennent la vérité prisonnière. — Pourquoi enfin, parfois malheureusement impossible ? Eh ! parce qu’il s’agit d’imposer silence à la renommée, parce qu’il s’agit d’arracher de l’esprit et de la tête des autres la mauvaise opinion qu’ils ont conçue du prochain. E.st-il au pouvoir de quelqu’un de replacer dans la pensée d’autrui ce souvenir honoré, respecté du prochain qu’on en a d’abord chassé ? Autant vaudrait essayer de rendre à une étoffe brillante et délicate l’éclat et la fraîcheur qu’une tache lui avait fait perdre. Quelle que soit la réparation, chacun gardera des paroles entendues quelque fâcheuse impression ou tout au moins quelque Soupçon, quelque doute. Voir Diffamation, t. iv, col. 13001307.

Si difficile à remplir que soit le devoir de la réparation, malgré l’impossibilité parfois d’y satisfaire pleinement, les médisants n’en sauraient être totalement dispensés. C’est à raison de cette obligation que l’Esprit-Saint nous avertit de bien veiller sur notre langue et de ne pas la laisser parler à tort à travers, afin de ne pas rendre notre salut impossible et désespéré. Ils ont méchamment dévoilé, imprudemment mis à nu les défauts et les fautes du prochain, qu’ils cherchent, mais sans une nouvelle injustice, sans se servir du mensonge, à les couvrir

à nouveau d’un manteau protecteur, d’un voile discret ; ils ont dit, parlant d’autrui, le mal ; qu’ils se fassent les fervents apologistes du bien. Qu’instruits par l’expérience, ils apprennent enfin à parler des autres avec réflexion, jugement et charité.

Saint Thomas, Summa theologica, II » — II^, q. lxxuii. xxiv, a. 1.2 ; q. lxxv, a. 1 ; Thomas Gousset, Théologie morale, Paris, 1845, t. i, p. 545-554 ; Clément Marc, Insiituiiones morales Alphonsianæ, Rome, 1885, t, i, n. 11951209 ; Xoldin, Summa Ihtologiie moralis, Inspruck, 1911. De prseceptis, n° 644-654 ; Sebastiani, Summarium théologies moralis, Turin, 1918, n° 344-347 ; Sertillanges, La philosophie morale de saint Thomas d’Aquin, Paris, 1916, p. 261-263 ; et, d’une manière générale, les sermonnaires.

A. Thouvenin.

IVIÉGANCK François-Dominique (1684-1775), naquit à Menin le 27 mai 1094, fit ses humanités dans sa ville natale et sa philosophie à Louvain en 1710 ; puis suivit les cours de théologie d’Opstræt et reçut les ordres à Tournai. Il partit en Hollande le 15 février 1713, et devint un des plus zélés partisans de Quesnel. L’archevêque Barckman le nomma chanoine d’Utrecht et il fut doyen du chapitre, 6 octobre 1751. C’est en cette qualité qu’il essaya de gagner aux théories des jansénistes hollandais un sous-diacre de Rouen, Pierre Leclerc ; mais l’obstination de celui-ci força la communauté d’Utrecht à réunir un concile le 13 septembre 1763. Méganck fut nommé rapporteur du concile et il attaqua très vivement les thèses de Leclerc sur les propositions de Jansénius, sur la primauté du pape, le témoignage des Pères et l’autorité de l’Église dispersée, la supériorité des évêques, les excommunications et les indulgences. Le concile janséniste suivit, en cette occasion, la conduite des congrégations romaines que les jansénistes critiquaient si vivement, pouç l’examen des ouvrages estimés dangereux. Méganck mourut à Utrecht le 12 octobre 1775, et son corps fut déposé à Egmont où avaient été placées les cendres du P. Quesnel.

Tous les écrits de Méganck sont favorables au jansénisme. On peut citer : Propositionum in Constitutione démentis Pgpæ XI, ab exordio dicta, Unigenitus, damnatarum collatio cum quibusdam sacrée Scripturae locis, ac sanctorum Patrum testimoniis, in-8°, Lille, 1716. Son ouvrage le plus connu est la Réfutation abrégée du livre qui a pour titre : Traité du schisme, où l’on justifie, par le seul fait de la dispute de saint Cyprien avec saint Etienne, lis évêques et les théologiens qui refusent d’accepter la Constitution L t nigenitus de Clément XI, du crime de schisme que leur impute l’auteur de ce Traité, in-12, s. 1., 1718 ; d’après Méganck, les évêques ont encore plus raison que saint Cyprien de s’opposer à Rome, car il s’agit présentement de plusieurs points importants soit pour la foi, soit pour la morale, soit pour la discipline ; d’ailleurs il est absolument faux que la majorité des évêques ait accepté la Bulle. Le Traité du schisme, ainsi attaqué par Méganck, avait été publié en 1718, par le P. Longue val, sous les auspices du cardinal d’Alsace. Méganck prit ensuite part aux discussions du jour dans les trois écrits suivants : Défense des contrats de vente, rachelables des deux côtés, communément usités en Hollande, ou Réflexions sur la lettre de M***, docteur de Sorbonne du 25 mars 1730 à M. Van Erkel, in-l°, Amsterdam, 1730 ; Suite de la défense des contrats de vente rachelables, in-4°, Amsterdam, 1731, enfin Remarques sur la lettre de Mgr Vévéque de Montpellier à M. Van Erkel au sujet d’un écrit qu’il avait envoyé à ce prélat, intitulé Suite de la défense des contrats, in-1°, Amsterdam, 1731. Par ces Irai lés, Méganck, d’accord avec la plupart des jansénistes, s’élève contre les contrats de vente rachetables, et identifie le prêt à intérêt avec l’usure.