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MEDISANCE


ou le sentiment qui tes inspirent, sont de nature à entamer notablement la réputation d’autrui, qui le prévoit au moins confusément, et sans de sérieuses raisons, malgré tout, se les permet. Qu’une intention mauvaise, une rancune, une jalousie attentive à recueillir et à propager ce qu’elle sait de répréhensiblc dans le prochain, communiquent aux propos médisants un excédent, une nouvelle espèce de malice, c’est incontestable ; mais il n’est pas nécessaire pour que la faute soit mortelle, que ce soit la passion, la méchanceté, la vengeance ou tout autre motif inavouable, qui ait dicté les paroles. Il suffit qu’elles aient pour la réputation du prochain quelque conséquence grave, qu’elles lui causent quelque notable préjudice, qu’on l’ait prévu, et que malgré tout on n’ait pas craint d’en assumer la responsabilité.

Un autre sujet d’excuse est celui-ci : « Ce n’est point moi qui ai dit telle chose le premier. ».Mauvaise raison qui ne diminue pas la faute et qui ne viendrait même pas à la pensée, si l’on avait pratiqué davantage ce conseil de l’Écriture : « Audisti verbum adversus proximum tuum, commoriatur in te, vous avez entendu quelque parole contre votre frère : faites-la mourir en vous. » Soyez un de ces puits perdus où tous les bruits expirent, et les paroles entendues n’auront jamais d’écho, elles n’iront pas se répercuter indéfiniment, portées par tous les souffles de l’air. Ce n’est point r vous qui avez dit telle chose le premier ? Vous êtes le premier, assurément, par rapport à tous ceux qui la tiennent de vous et vont la répétant à votre suite. « J’ai dit peu de chose, mais les autres sont partis de là pour déchirer le prochain. » C’est encore une excuse que parfois on allègue. Que de réunions où chacun n’attend qu’un signal pour ouvrir la bouche et tailler à belles dents dans la réputation d’autrui ! On sent qu’il y a de l’électricité en l’air et qu’une étincelle suffirait pour déchaîner l’orage, on s’aperçoit que les langues, prisonnières du silence, démangent furieusement et que, semblables à des eaux à peine contenues entre leurs digues, elles menacent de tout envahir, de tout dévaster. Quelque esprit léger, imprudent, donne le signal attendu, il est responsable de l’incendie qu’il allume et d’où le prochain sort dépouillé, abîmé. Il n’a dit qu’un mot peut-être, mais cette parole dont il a prévu le funeste résultat, a produit un débordement de propos médisants où la réputation du prochain a sombré : la faute est grave.

Le caractère de gravité de la médisance, y a-t-il en pratique quelque moyen de le reconnaître ? Oui ; mais sur ce point les juges les plus avisés hésitent parfois, tant il y a de circonstances dont il faut tenir compte. Nature et importance des fautes ou des défauts révélés ; honorabilité et crédit de ceux qui parlent ; valeur morale, crédulité, malveillance et nombre de ceux qui écoutent ; condition, autorité, dignité et charge de ceux dont on médit ; profondeur de l’impression qu’ont produite les paroles diffamatoires ; retentissement qu’elles peuvent avoir ; chagrin présumé qu’en éprouveront ceux qui en sont l’objet ; dommages matériels et pécuniaires qui en sont la suite ; occasions avantageuses, facilité d’accomplir le bien qu’elles font perdre : autant de choses qui méritent d’entrer en ligne de compte, qui peuvent singulièrement modifier, augmenter la gravité des propos médisants.

Qui pourrait calculer au juste la somme de malice qui entre dans une détraction ? On ne saurait en concevoir trop d’effroi, après les paroles et les comparaisons dont l’Écriture se sert pour les flétrir. « Les médisants ne posséderont pas le ciel », assure

l’apôtre saint Paul ; « les détracteurs sont odieux et dignes de la mort », dit-il ailleurs ; « le médisant est en abomination aux hommes », lisons-nous au livre des Proverbes. Langues taillées en rasoirs et en rasoirs aigus, glaives —affilés, flèches trempées dans une liqueur amère, morsures de serpents, ce sont quelques-unes des virulentes expressions nar lesquelles, afin d’en inspirer plus de haine, l’Ecriture caractérise et flagelle le vice de la médisance.

IV. PÉCHÉ DE CEUX QUI ÉCOUTENT OU N’EMPÊ-CHENT pas la médisance. — Ce sont les oreilles complaisantes qui font le succès de la détraction. Il y a donc péché ù écouter la médisance avec plaisir, avec une complaisance telle qu’on paraît approuver celui qui médit, qu’on l’encourage même à dire tout ce qu’il sait : « continuez, vous m’intéressez. » Approuvant extérieurement le détracteur, on se rend complice de sa faute ; comme lui on pèche contre la justice et la charité, et l’on contracte solidairement avec lui l’obligation de réparer le tort fait au prochain.

Il en serait autrement si, tout en écoutant avec intérêt la médisance, on ne disait ni on ne faisait rien qui pût être pris pour une approbation positive. On pécherait assurément contre la charité, mortellement, en matière grave, véniellement, en matière légère, mais non contre la justice, ni sans qu’il résulte non plus le devoir de réparer.

Différent encore est le cas de celui qui prête l’oreille à la médisance comme à une chose nouvelle ou curieuse, sans se réjouir cependant du dommage qu’en éprouvent les personnes en cause. Sa faute n’est que vénielle. S’il avait quelque motif raisonnable d’écouter, afin d’apprendre à mieux connaître les gens dont on parle, il serait exempt de tout péché même léger.

Y a-t-il pour quelqu’un une obligation d’empêcher la médisance ? Les supérieurs, en charité et en justice, peuvent être tenus d’office, par leur état ou une sorte d’engagement tacite, de protéger et de défendre la réputation de leurs subordonnés contre les calomniateurs. En ce qui regarde la médisance, ils sont également obligés de l’arrêter, quand ils le peuvent facilement et sans inconvénient. Le supérieur ou de celui qui médit ou de celui duquel il entend médire, pèche assurément contre la charité, s’il tolère les propos médisants qu’on se permet en sa présence, pouvant commodément les empêcher ; et, s’il s’agit d’un supérieur de l’ordre temporel, il pèche contre la justice.

Rarement les particuliers sont tenus sub gravi d’empêcher la médisance même grave. Saint Thomas estime que la crainte, la fausse honte, ou même la négligence, excusent d’ordinaire du péché mortel ceux qui ne l’arrêtent pas, pourvu qu’ils n’aient aucun plaisir à l’entendre, Summa theol., II a —II æ, q. lxxiii, a. 4. C’est une opinion très commune, au rapport de saint Alphonse de Liguori, que le devoir de la correction n’oblige pas sous peine de péché mortel vis-à-vis de celui qui tient des propos médisants, Theologia moralis, t. III, n° 981. Sait-on jamais quel sera l’effet d’un avertissement même charitable ? Peut-être celui qu’on reprend devant d’autres s’offensera-t-il ? N’est-il pas à craindre que le détracteur, au lieu de retirer ce qu’il a dit, ne le répète, au contraire, avec plus de force ? C’est pourquoi, d’ordinaire, il suffit, pour éviter toute faute même vénielle, de témoigner que la médisance déplaît ou en se retirant, ou en gardant le silence, ou en changeant la conversation, ou en prenant un air sérieux.

V. Réparation. — La médisance tient du vol ; car elle dérobe au prochain sa réputation. Comme