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MEDISANCE


y détruire tous les biens dont elle est le nécessaire fondement, elles vont y luer le souvenir respecté, honoré par lequel ce prochain y vivait d’une seconde vie.

2° La renommée d’autrui est chose sacrée et digne de respect : il est nécessaire pourtant d’ajouter : tant que des raisons supérieures n’autorisent point à la sacrifier. Une clause restrictive entre dans la définition reçue : la médisance consiste à découvrir sans nécessité. Il y a. par conséquent, des ciconstances où il est permis ou c’est même un devoir de parler. L’amendement d’un coupable, que l’on n’espère guérir qu’en le dénonçant à ceux qui en ont la charge, un conseil à demander à une personne prudente, ou même parfois, quoique plus rarement, le motif seul de consolation, un dommage à éviter ou pour soi ou pour d’autres, la raison du bien général, tels sont quelques-uns des cas qui méritent d’être pris en considération et peuvent l’emporter sur la réputation d’autrui. Ce sont là de légitimes exceptions que la justice et la charité ne condamnent point, dont une conscience timorée sait apprécier la valeur, qu’elle ne confond point avec une coupable démangeaison de parler.

II. Façons de médire.

Voilà définie la médisance sous sa forme la plus simple. Ne lui croire qu’un seul visage, ce serait mal la connaître. Il y a tant de manières détournées, tant de façons ingénieuses de médire ; c’est un art que d’aucunes gens pratiquent avec une certaine coquetterie. La médisance formelle, à visage découvert, parce qu’elle est trop grossière ou trop odieuse ne saurait manquer d’inspirer de l’éloignement et du mépris. Que fait-on ? On la cache sous de belles apparences de modération, de sincérité, de compassion ou de zèle ; c’est le moyen le plus sûr de ménager les oreilles et de capter l’altention des gens timorés. Il n’est pas nécessaire pour médire de parler beaucoup ni même d’ouvrir la bouche. A défaut de la voix, un geste, un signe, un coup d’œil, un sourire suffisent, en disent, en font deviner souvent beaucoup plus long qu’un discours. La conversation amène à parler de quelqu’un, on vient à prononcer seulement son nom, au grand étonnement de vos interlocuteurs qui ne savent rien, vous haussez les épaules, vous secouez la tête, vous marquez un air de mépris, ou de pitié, c’est déjà médire.

Le médisant ne s’attache pas toujours à raconter le mal, il déprécie également le bien ou le diminue. Quelque voix s’élève-t-elle par hasard pour louer autrui, il témoignera par des signes non équivoques, voire même un silence désapprobateur, qu’il désavoue l’éloge ; ou bien il s’y associera, mais avec un accent si peu sincère qu’un blâme serait moins cruel que cette louange ironique et forcée.

Un autre procédé, mauvais autant qu’habile, et dont les simples sont la dupe, consiste à couvrir d’abord de fleurs ceux qu’on a dessein de noircir. On les loue, on les élève, on les encense, peut-être au fond sans ajouter foi à l’honneur qu’on leur rend, à coup sûr afin de mieux réussir à les éclabousser. Que de conversations commencées sur le ton de la louange aboutissent à ce petit mot. mais, où les gens honnêtes n’ont pas de peine à reconnaître le signal d’une détraction. Les éloges accréditent la médisance et la font passer comme une marchandise de contrebande.

Aussi cruelle est la pitié, aussi coupable est la dérision de ceux qui commencent à témoigner une hypocrite compassion envers ceux qu’ils ont résolu de mordre. Ils ont l’air de ne parler qu’à regret et comme forcés par une impérieuse nécessité ; on dirait qu’entre leur conscience qui leur commande de parler et l’amour qu’ils font mine d’avoir pour le prochain, il y a une lutte véritable engagée ; à dire vrai, ces

paroles d’intérêt et de zèle qu’ils ont dans la bouche n’ont souvent pour but, en dissimulant le poison, que de le faire avaler plus sûrement. La plaie n’en est que plus profonde, plus envenimée, plus difficile à guérir.

D’autres fois on se borne à des interrogations habilement posées, à des doutes semés négligemment, avec une indifférence voulue, à des paroles, irréprochables en elles-mêmes, mais perfides, en ce qu’elles insinuent. Interrogations, doutes, insinuations qui tiennent en éveil l’esprit de ceux qui écoutent, aiguisent leur curiosité, font travailler leur imagination et souvent leur font concevoir plus de choses qu’un long diseours.

Enfin il y a certaines formules générales, pleines de réserve, de réticence, de mystère, mais aussi de perfidie coupable que la médisance affectionne : « On ne peut pas tout dire ; ne parlons pas de cela ; que de choses je sais là-dessus ; je ne veux pas faire le médisant ; si on savait ! » Ces expressions et d’autres semblables, qu’elles aient pour but de faire travailler les imaginations ou même qu’elles soient simplement le fait de l’imprudence, sont pernicieuses, elles ont pour effet quelquefois plus sûrement que la vérité pleinement connue, de ruiner la réputation du prochain. Il est d’ailleurs trop facile par là de glisser de la médisance dans la calomnie. Car souvent que savent et retiennent ces mystérieux détracteurs ? Rien. Le vague de leurs paroles peut très bien ne cacher autre chose que la méchanceté de leur cœur. On ne saurait non plus avoir trop de mépris pour cette formule de la médisance anonyme : On dit. Qui, on ? Peut-être personne, peut-être aussi la foule des sots ; certainement un lâche qui ne veut point assumer la responsabilité de ses paroles. C’est qu’en efïet’un des caractères les plus saillants de la médisance, est la lâcheté. On ne médit que des absents ; or n’est-ce pas le propre d’un lâche de s’y attacher, de les déchirer parce qu’il les sait dans l’impossibilité de se défendre. Il y aurait sinon plus de charité ou de justice, du moins plus de courage et de dignité à leur jeter une injure à la face. Saint Augustin, dans un distique fameux, avait interdit sa table à ceux qui sont assez lâches pour mal parler des absents.

Cependant la médisance, si elle nuit à ceux contre qui on la dirige, se retourne également pour leur faire encore plus de mal, contre ceux qui l’ont mise au jour, III. Gravité de la médisance.

La médisance peut-elle constituer une faute grave ? Oui, répondons-nous. Quelles conditions suffisent donc à la rendre mortellement coupable ? Voici là-dessus quelques éclaircissements utiles.

Il n’est pas rare de rencontrer des gens qui s’accusant d’avoir médit, ajoutent aussitôt que ce fut sans intention, sans malice. On devine leur erreur. Les propos médisants pour eux n’ont de réelle portée que s’ils prennent leur source dans quelque mauvais sentiment. La haine, la vengeance, la jalousie ou même le simple besoin de parler, telles sont les sources auxquelles d’ordinaire la médisance s’alimente ; pour ceux dont nous parlons, seuls les motifs qui tiennent de l’animosité, rendent les paroles coupables ; la légèreté qui ne sait rien taire, excuse à peu près tout. Que dire cependant d’un enfant qui, tirant de l’arc, s’amuserait à viser des personnes amies, au risque de les blesser grièvement, quoique sans intention meurtrière ? On n’aurait pas de paroles assez sévères pour son cruel jeu. Une flèche, parce qu’elle part d’une main amie, est-elle moins funeste ? D’où qu’elle vienne, le résultat est le même.

Le résultat, c’est à quoi doit surtout prendre garde celui qui médit. Celui-là commet une faute grave dont les paroles, quels que soient d’ailleurs la pensée