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MEDINA

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faussé sa conscience, on n’a qu’à agir prudemment selon ce qu’elle prononce. Tant pis si l’on se trompe. Ce même principe comporte qu’en cas d’hésitation on prenne le parti le plus sûr à son jugement. In dubiis tutior pars eligenda est. Néanmoins, si le parti le plus héroïque est très préjudiciable à de légitimes intérêts, on a le droit de défendre ces légitimes intérêts. Si le doute est trop difficile à résoudre, on doit se renseigner et’ne jamais prendre la solution la plus commode à la légère. Par exemple, une femme qui douterait si le mari qu’elle a est vraiment le sien, doit absolument lui rendre les devoirs qu’une femme doit à son mari. On ne doit non plus absolument rien faire, sous aucun prétexte que ce soit, contre la loi de Dieu. Si l’on agit selon une opinion qui laisse le doute, on n’agit pas conformément à la droite conscience et l’on pèche. Si deux conduites paraissent également bonnes, comme l’explique Sbto, on a le choix. Par contre, le confesseur parlant comme ayant autorité morale, il faut obéir quelquefois à ses injonctions plutôt qu’à son sens propre : cela est conforme au bon sens et à la conscience.

Mais ici se pose une question très grave. A-t-on le droit de mépriser une opinion plus probable pour suivre une opinion moins probable, mais encore probable ? Soto, Sylvestre de Ferrare, Conrad, Cajétan ne le pensent pas, craignant qu’on s’expose par là au péril de pécher. Et puis, l’on peut estimer que cette latitude de suivre l’opinion relativement la moins probable, n’est pas compatible avec je tutiorisme qui vient d’être recommandé en matière douteuse : que dirait-on d’un juge qui, ayant deux témoins différents en présence, rendrait sa sentence d’après le moins probable ?

Cependant Médina demande, après avoir exposé cette manière de voir en matière de deux opinions inégalement probables, qu’on examine les choses de plus près, et qu’on considère ce que c’est en morale qu’une opinion probable, de façon à ce qu’on lui accorde de dire. « Il me semble que, si une opinion est probable, il est permis de la suivre, lors même que l’opinion opposée serait plus probable. » « En effet, en matière de spéculation, on appelle opinion probable celle que nous pouvons suivre sans péril d’erreur et de déception. Analogiquement, on peut définir l’opinion probable en morale pratique celle que nous pouvons suivre sans péril de péché. En outre une opinion probable, du fait qu’elle est dite probable, est telle que nous la pouvons suivre sans avoir à en être blâmé : il y a donc une contradiction à prétendre qu’une opinion est probable et que nous ne pouvons pas la suivre licitement. En effet, une opinion n’est pas rendue probable par le fait qu’on apporte simplement en sa faveur des raisons apparentes, qu’il y a des gens qui l’affirment et la défendent : à cette enseigne, toutes les erreurs seraient des opinions probables. Une opinion est probable lorsqu’elle est certifiée bonne par les hommes sages, et confirmée par des arguments excellents qu’il n’est pas improbable de suivre. Ainsi la définit Aristote. Une opinion probable est conforme à la droite raison et à l’appréciation des hommes prudents et sages et donc ce n’est pas pécher que de la suivre. Si en effet une opinion est contre la raison, ce n’est pas une opinion probable, mais manifestement une erreur. On dira peut-être que l’opinion probable a beau être conforme à la raison, du moment qu’il existe une opinion plus probable et plus conforme à la raison, cette opinion plus probable nous oblige parce qu’elle est plus sûre. Cet argument ne vaut pas. Nul n’est obligé à ce qui est meilleur et plus parfait : il est plus parfait d’être vierge que d’être marié, il est meilleur d’être religieux que d’être riche. Mais personne n’est

obligé d’accomplir ces actions plus parfaites. N’est-il pas permis d’enseigner dans les écoles une opinion probable et de la proposer, comme les adversaires nous le permettent eux-mêmes ? Il est donc permis de conseiller une telle opinion. Il est en effet permis de donner à une telle conclusion son adhésion intime. Il est donc permis de la proclamer publiquement. Ce confesseur ne peut pas forcer le pénitent à suivre l’opinion la plus probable. En effet, il n’y a pas d’obligation à suivre l’opinion la plus probable. Enfin, si l’on n’admettait pas cette présente thèse, on causerait la torture des âmes timorées. En effet il faudrait toujours rechercher s’il n’y a pas d’opinions plus probables. » Médina termine alors sa dissertation par des généralités sur la conscience du scrupuleux qui semble surtout pour lui un malade.

3° L’interprétation largement probabiliste de la thèse de Médina et sa destinée historique. — Médina définit l’opinion probable comme étant celle qui est suffisamment fondée, et d’un autre côté il considère une seconde opinion qui est la négation et la suppression de la première et qui se trouve plus solidement fondée ; de sorte que, dans la complexité de l’action le oui et le non le vrai et le faux visant le même objet, pourraient simultanément avoir d’excellents fondements, optirna argumenta. On peut dire que la théologie de la vie morale donnée par Médina, sans aller nécessairement jusqu’au laxisme, semble inclure un complet probabilisme allant jusqu’au relativisme en matière d’obligation morale. La liberté de l’homme, vis-à-vis de sa conformité à la volonté de Dieu, jouirait donc de grandes possibilités. Cette doctrine est bien l’opposé du jansénisme, du tutiorisme et même de l’augustinisme et du strict et authentique thomisme.

La thèse de Médina fut répandue immédiatement, notamment par Banez en 1584 et par les théologiens dominicains non seulement espagnols, mais italiens, français et flamands. Aussi, lorsque certains jésuites prônèrent une morale large et en établirent le fondement sur le probabilisme, expliquèrent-ils, avec l’un des leurs, Etienne Dechamps, Quæslio facti, 1659, que leur doctrine avait pour auteur Barthélémy de Médina "lui-même.

L’interprétation stricte de la thèse de Médina.


On ne peut s’assimiler la thèse de Médina sans avoir bien compris la dictinction entre opinion spéculative et conscience pratique. La définition du probable que donne Médina n’est pas celle du « relativement douteux », du « demi-assuré seulement » ; mais celle du certain en matière contingente. Il s’agit de certitude appuyée sur les meilleures raisons personnelles et sur les raisons des meilleures personnes. Le probable de Médina est celui dont parle saint Thomas en énonçant ce principe de conduite, qui est celui même de Médina en sa dissertation : Circa contingentia et variabilia sufficil probabilis certitudo, quæ ut in pluribus verilatem attingat, etsi in paucioribus a veritale deficiat. I I a — II 33, q. lxx, a. 2, comme l’a discerné le P. Gardeil dans son étude de « La certitude probable », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 1911, p. 237-266 et 441-485. Ce sont des théologiens modernes qui ont introduit la notion de doute dans le probable moral.

C’est parce que Dominique Soto adopte cette dernière opinion, récente de son temps, que, sur la question de savoir si l’on a le droit de suivre une opinion moins probable quoique encore probable, il répond par la négalive, comme le note Médina lui-même. Au fond si ce dernier avait mis sous le mot probable la même notion— minimiste que— met Soto, il aurait enseigné la même doctrine que Soto. D’ailleurs sous la terminologie de conscience douteuse, c’est bien cette doctrine qu’il a enseignée dans un passage