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MARONITE (HISTOIRE DE L’ÉGLISE)


la question nationale, dans ces pays, s’identifiaient.

La situation géographique des maronites, les luttes religieuses et politiques qu’ils avaient eu à soutenir ont particulièrement renforcé, chez eux, l’esprit de nationalité ; elles ont fait de la fidélité au patriarche la plus pure expression du sentiment patriotique. Retranchés dans les escarpements de ses montagnes du Liban, ce peuple a pu se créer une vie propre et jouir, sous la haute direction de ses chefs spirituels, d’une certaine autonomie. « Fortement groupés autour de leur clergé et de leur patriarche, les maronites constituent donc un petit peuple d’une essence très particulière. La vallée sacrée de la Kadischa, creusée de cellules d’ermites, les cèdres des hauts sommets, symboles de leur vitalité et de leur indépendance, et le. monastère patriarcal de Cannobin, perché comme un nid d’aigle, résument toute leur histoire. » R. Ristelhueber, op. cit., p. 39-40. Cette situation particulière’des maronites donnait à leur patriarche et à leurs évêques une indépendance et une liberté d’action que n’avaient point les chefs des autres communautés chrétiennes de l’Orient. A la différence de ces derniers, les prélats maronites ont pu se soustraire à l’obligation du firman ou diplôme de reconnaissance officielle et d’investiture. Il a fallu attendre la grande guerre (1914-1918) pour les voir accepter, sous le coup de la contrainte, l’accomplissemet de cette démarche auprès des pouvoirs séculiers. Voir Mgr Abdalla Khoury, archevêque d’Arka, Le patriarche maronite et Djemal pacha pendant la guerre, dans la revue arabe Al-Machriq, 1921, t. xxii, p. 162-164.

Dans ces conditions, le Nomocanon maronite avait nécessairement une grande portée. Clercs et fidèles allaient à leurs chefs religieux pour toutes les questions ecclésiastiques et civiles. Ils ne voulaient reconnaître aucune autre autorité pour le règlement de leurs affaires. On trouve encore au Liban quantité d’actes et de sentences qui témoignent de cette pratique. Le patriarche Paul Mas’ad (1854-1890) en a réuni un grand nombre aux archives du patriarcat maronite. Cet usage n’a commencé à disparaître qu’au cours du xixe siècle. Voir Debs, Histoire de la Syrie, t. viii, p. 748, 759 ; Darian, Les maronites au Liban, p. 254-268. Dans la pratique, il en reste, même aujourd’hui, de nombreuses manifestations : on aime recourir à l’arbitrage du patriarche ou d’un évêque pour régler une affaire ou vider une querelle. Sans parler des questions relatives au « statut personnel », qui, dans plusieurs pays orientaux, ressortissent encore aux juridictions religieuses.’Ainsi, la vie religieuse du peuple maronite se trouve intimement liée à sa vie civile et nationale. Elle se confond pour ainsi dire avec elle. Il n’est presque pas d’événement de quelque importance où l’on ne voie paraître le patriarche. L’histoire des pontifes qui se sont succédés sur le siège maronite d’Antioche offre donc un intérêt particulier. Malheureusement, de ceux des premiers siècles, on ne connaît que les noms. Peut-être même ignore-t-on l’existence de l’un ou de l’autre. Cela n’étonnera pas, si l’on songe aux troubles, aux persécutions et aux guerres qu’ont traversés les maronites de cette époque. Absorbés par leurs épreuves, ils n’avaient guère le loisir d’enregistrer les fastes de leur Eglise. Les quelques documents qu’ils rédigèrent ne furent d’ailleurs pas épargnés par les tourmentes. C’est ainsi que disparurent les œuvres des deux maronites, Théophile d’Édesse († 785) et Qaïs (ix-xe siècle), mentionnées, pour le premier, par Barhebrœus, Chronicon syriacum, p. 126127 ; Histoire des Dynasties, p. 220 et, pour le second, par Mas’oudi, op. cit., p. 154. Quant aux écrits des siècles postérieurs, ils furent perdus en partie, pour

les mêmes raisons, et aussi à cause du peu de diligence qu’on avait à conserver les monuments du passé. Toutefois, les renseignements qui nous sont parvenus permettent encore de suivre l’évolution du patriarcat maronite dans ses grandes lignes.

II. HISTOIRE DE L’ÉGLISE MARONITE. —

Cette histoire étant mal connue et n’étant pas encore exposée d’une manière suivie, nous croyons rendre service en en retraçant les grands traits sous les rubriques suivantes : I. Expansion des maronites du v «  au xie siècle. IL L’époque des croisades (col. 34). III. La domination des Mamloûks (col. 40) IV. La période ottomane (col. 50).

I. Expansion des maronites du ve au xie siècle.

— Groupés, à l’origine, aux environs d’Apamée de la Syrie seconde, les maronites se répandirent ensuite dans la vallée de l’Oronte, notamment à Ma’arratan-No’màn, à Chaïzar, à Hamah (Émath ou Epiphanie ) et à Homs (Émèse). Maso’udi, Livre de l’avertissement et de la révision, p, 153 ; cf. Lammens, Le Liban, t. ii, p. 50. Au témoignage de Tell-Mahré, Annales, loc. cit., p. 492-496, et 511, d’Eutychès d’Alexandrie, ibid., p. 210, et de Barhebrseus, Chronicon ecclesiasticum, p. 269-274, Histoire des Dynasties, p. 219-220, ils gagnèrent encore d’autres régions : Mabboug (Hiérapolis), chef-lieu de la Syrie troisième ou Euphratésienne, Qennesrîn, Alep, Al-’Awâsim (ligne de forteresses allant d’Antioche à Mabboug, élevées sous les’Abbasides contre les Byzantins). Le P. Lammens ajoute qu’il devait y en avoir un certain nombre à Antioche et aux alentours de cette ville. Antioche était, en effet, le chef-lieu de la Syrie première dont faisaient partie la contrée d’Al-’Awâsim et Cyr que Théodoret mentionne plus d’une fois quand il parle de saint Maron. Lammens, p. 50. C’est, d’ailleurs, conforme à la tradition maronite.

L’arrivée des Arabes changea notablement la situation des maronites. Ces derniers avaient à subir désormais, avec le sort réservé aux chrétiens, les violences redoublées de leurs ennemis religieux. Aux premiers temps, les maximites et les jacobites jouissaient d’une certaine influence auprès du nouveau maître, les uns à cause de leurs connaissances techniques, les autres à cause de leur importance numérique et, surtout, de la haine dont ils poursuivaient les Byzantins. Chronique de Michel le Syrien, t. ii, p. 431-432, 477, 480-483, 489, 490-491, 511 : Barhebrœus, Chron. eccles., t. i, p. 298, 367-370 ; J.-B. Chabot, La légende de Mar Bassus, p. v-vn, 61 ; Lammens, op. cit., p. 5152 ; Le chantre des Omiades, dans le Journal asiatique, 1894 (n), p. 220-241 ; Un poète royal à la cour des Omiades de Damas, dans la Iïev. de l’Or, chrétien, 1903, t. viii, p. 326 ; La Syrie, t. i, p. 69-71, 110, 114, 115, 117, 121, 131, 151. Ils ne manquaient pas d’employer cette influence contre les maronites. Cf. Tell-Mahré dans Michel le Syrien, t. ii, p. 511, 492-496 ; Lammens, Le Liban, t. ii, p. 51, 53. Les attaques et les rigueurs furent telles que les moines de Saint-Maron durent demander l’appui des patriarches nestoriens, bien vus à la cours de Bagdad ; cela semble ressortir de la réponse que leur adressa, en 791, Timothée I er (f820), citée par David, op. cit., p. 200-206 ; cf. Darian, qui consacre un chapitre à cette réponse, La substance des preuves p. 166-178 ; J. Labourt, Le patriarche Timothée et les nestoriens sous tes Abbasides, dans la Revue d’histoire et de littérature religieuse, 1905, t. x, p. 390-391. Le fait d’avoir eu recours aux chefs d’une confession hétérodoxe n’implique pas, pour les maronites, comme quelques-uns ont voulu le dire, une communion de foi avec les nestoriens. Les moines persécutés, ne se trouvant pas en contact immédiat avec les chrétiens de Perse, n’avaient pas de conflit avec eux, partant, ils pouvaient, sans inconvénient.