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MAURISTES, ORGANISATION DU TRAVAIL

dans ce groupe qu’on appela, de son vivant, l’Académie des Bernardins.

Maître, Montfaucon le fut par ses qualités de travailleur acharné. Dans un mémoire qu’il rédigeait sur la fin de sa vie, en 1739, il révélait lui-même son secret : « Je ne dois pas omettre, écrivait-il, que trois ou quatre ans avant de partir pour l’Italie (c’est-à-dire vers 1695), je m’étais fort appliqué à l’hébreu, au syriaque et à l’arabe, et que j’employais plusieurs heures du jour à l’étude de ces langues. Je continuais aussi en même temps la lecture des historiens grecs, Hérodote, Thucydide, etc., et des historiens ecclésiastiques, Eusèbe. Socrate, Sozomène, etc. J’employais treize ou quatorze heures par jour à lire et à écrire, comme j’ai toujours fait jusqu’à présent. » Maître, il le fut encore par le don de se faire aimer. Avec sa science profonde, son incroyable facilité de travail, il avait beaucoup d’esprit et beaucoup de cœur. Aimable, vif, gai, aimant à rire, bon et tendre sous des dehors un peu rudes, il avait tout ce qu’il faut pour réunir les hommes autour de soi, leur inspirer ce mélange d’affection et de respect qui achève d’assurer leur dévouement ; il savait vite discerner celui à qui il avait affaire et mesurer sa capacité. Ses défauts mêmes étaient de ceux qui attirent au lieu d’éloigner. D’une modestie que rien ne pouvait troubler, que son savoir même entretenait, parce qu’il en voyait les limites, il aimait à faire briller les autres, fût-ce à ses propres dépens ; il affectionnait surtout les jeunes gens et se mettait à leur disposition avec une inépuisable complaisance.

Ce qui acheva de lui donner une place à part dans l’abbaye de Saint-Germain, ce fut son attitude dans les querelles suscitées par la bulle Unigenitus. Dès le début, il se montra nettement hostile à toute tentative de résistance à la cour romaine. Autrefois, à Rome même, il avait été le plus chaud défenseur de l’édition bénédictine des œuvres de saint Augustin ; mais il ne se plaisait point aux querelles théologiques : il avait à la fois un trop grand esprit, un cœur trop droit, pour se laisser prendre aux subtilités jansénistes. Au lieu d’adhérer à l’appel de la bulle comme beaucoup de ses confrères, il accepta purement et simplement les décisions pontificales. Bien plus, il s’efforça de détourner de l’appel ceux qui l’entouraient ; à ce point de vue, ses efforts eurent d’heureux résultats et le parti janséniste s’en montra fort irrité. En 1720 après l’élection, comme supérieur général, de dom Denys de Sainte-Marthe, qui avait été appelant, Montfaucon, pour rassurer Rome, écrivit au cardinal Paolucci : « Je prends sur moi d’affirmer que le P. de Sainte-Marthe fera tout au monde pour se concilier les bonnes grâces du souverain pontife et s’efforcera d’amener tous les membres de notre congrégation à lui obéir. Et, chose digne de remarque, dans ces agitations, aucun écrit, pas même le plus petit, n’est sorti de notre congrégation où cependant les écrivains ne font pas défaut. » Rome garda le silence, dom de Sainte-Marthe, l’année même où il fut élu, révoqua son appel, employa tout son crédit à ramener ses religieux à la soumission, Montfaucon l’aida de son mieux. Tout en se prononçant ainsi pour la bulle, Montfaucon avait soin de ne s’engager dans aucune polémique personnelle ; uniquement occupé à ses travaux d’érudit, il s’y tenait enfermé à dessein et n’en sortait pas. Il était homme à imposer silence aux imprudents qui eussent voulu introduire dans les réunions de ses disciples, les discussions irritantes sur les querelles religieuses du moment. S’il n’eut pas la piété douce et humble qui s’alliait si bien chez Mabillon au savoir le plus émanent, Montfaucon était un ponctuel observateur de sa règle, attentif à se faire éveiller le matin pour l’assistance à l’office.

Dans le groupement des religieux qui se fit autour de lui, on vit des religieux aux caractères fort différents, aux opinions bien tranchées, à la physionomie nettement marquée, allant parfois jusqu’à la bizarrerie ; vu l’influence du maître, tout cela ne nuisit en rien à l’œuvre de ces travailleurs qui savaient faire abnégation de leurs idées personnelles. Ainsi nous apparaissent parmi les principaux : dom Martin Bouquet, travailleur acharné, capable de mener à bien, à force de patience, les œuvres les plus longues et les plus ardues ; janséniste obstiné, appelant et réappelant, il ne voulut jamais recevoir la bulle ; dom Jacques Martin offrant avec le précédent le plus complet contraste : ce fut l’un des plus originaux écrivains de l’abbaye, préoccupé des origines de la France, et avec cela hébraïsant distingué. Excellent homme et religieux fervent, il se prononçait avec passion en faveur de la bulle Unigenitus et était l’ami des jésuites ; dom Simon Mopinot, entré chez les bénédictins plus encore par goût du cloître que par amour de l’étude, était un latiniste distingué ; sa préface à la publication de dom Coustant sur les Lettres des papes fit l’admiration des connaisseurs ; dom Claude de Vic et dom Joseph Vaissette, deux bernardins à la physionomie bien caractérisée, s’illustrèrent par la publication de l’Histoire de Languedoc.

L’union de ces deux noms nous amène à faire cette remarque, une fois pour toutes : l’usage chez les bénédictins d’avoir un compagnon d’études, un ami du cœur, un aide dans le travail, devint plus fréquent au cours du xviiie siècle. On se mettait ainsi par petits groupes de deux ou de trois ensemble, on poursuivait en commun les mêmes études ; souvent même l’union était si complète que, l’humilité aidant, tout nom propre disparaissait sur le fruit des efforts mis en commun. Et cela, nonobstant des idées tout opposées : ainsi dom de Vic et dom Vaissette avaient un caractère fort dissemblable, le premier habile diplomate, ne s’effrayait pas de la plus rude besogne, le second pieux et zélé se tenait en dehors des querelles de l’époque bien qu’il fût ardent janséniste ; il se soumit néanmoins avant de mourir.

Dom Charles de la Rue et dom Vincent Thuillier, tous deux pleins d’entrain, plus jeunes et plus animés que les autres, apportaient de la gaieté dans le cercle des bernardins : le premier fut le disciple chéri de Montfaucon, le rival de son maître pour la connaissance du grec ; le second fut célèbre surtout par la part active qu’il prit aux controverses théologiques du moment ; d’abord appelant janséniste, il changea sous l’influence de Montfaucon, révoqua son appel avec éclat et s’attira la haine du parti. Dom Bernard lui-même, tout grave qu’il fût, applaudissait à l’entrain qu’ils mettaient dans la petite société. Dom Guillaume Leseur complétait le très aimable groupe ; dom Lobineau, l’historien de la Bretagne, était un intraitable érudit, n’aimant que le travail et dans le travail la vérité historique : à l’abbaye, on l’avait surnommé le Père scrupuleux, parce que rien n’avait pu le décider à joindre à son ouvrage un mémoire tendant à rétablir l’existence d’un fabuleux roi de Bretagne, Conan Mériadec, dont les Rohan prétendaient tirer leur origine.

On ne peut que mentionner ici rapidement, parmi les autre Bernardins, dom Pierre Guarin, qui rédigea deux grammaires hébraïques et un dictionnaire hébreu-latin ; dom Joseph Doussot, actif et modeste collaborateur de Montfaucon ; dom Félix Hodin, continuateur du Gallia Christiana ; le vieux dom Martène, étonnant de travail jusque dans la plus extrême vieillesse, avec dom Ursin Durand son compagnon, janséniste avoué ; dom Maur Dantine et dom Prudent Maran, deux érudits de grand talent, également