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MAURISTES, ORGANISATION DU TRAVAIL

port avec ses inclinations, le plus profitable à sa sanctification. Chaque prieur devait discerner parmi ses religieux les plus aptes à recueillir des matériaux, à rédiger des mémoires ; la congrégation tout entière devait coopérer à une œuvre entreprise, et chacun était mis à même de mettre à profit ce que la collectivité avait amassé avant lui. Par les soins du supérieur général, la bibliothèque de Saint-Germain-des-Prés fut réparée, enrichie, classée ; dom Luc d’Achéry, en dépit de sa maladie, fit ce classement. La sollicitude de dom Tarrisse s’étendit aux bibliothèques des autres monastères ; dans ce dessein il fit dresser des listes d’ouvrages par dom Luc d’Achéry et les envoya aux différents prieurs ; le catalogue en fut imprimé avec l’assentiment du chapitre général de 1618. Bientôt Saint-Germain-des-Prés devint le centre du grand mouvement littéraire de l’époque : tous ceux qui s’occupaient d’érudition y vinrent chercher des conseils ou un appui ; on y discutait les questions controversées, on s’y informait des travaux préparés à Rome ou à Vienne. Le supérieur général fut secondé par des hommes éminents dont il sut s’entourer ; son œuvre fut continuée par ses successeurs immédiats.

Ici encore, dom G. Tarrisse apparaît comme un initiateur : il voulut que les sciences ecclésiastiques fussent en honneur dans la congrégation et donna ses préférences aux travaux d’histoire bénédictine. Ce cadre ne devait pas tarder à s’élargir. En 1631, dans une lettre à dom Ambroise Tarbouriech, prieur de la Daurade, à Toulouse, dom Tarrisse dressait un plan pour l’histoire chronologique de l’ordre. Seize ans plus tard, en 1647, il envoyait à tous les monastères une lettre circulaire ou se trouvent des Mémoires, « en vue d’appliquer ceux de nos confrères jugés capables à faire des recueils et remarques des choses advenues dans le monastère et les lieux circonvoisins, appartenant à l’histoire de l’ordre ». La lettre contient en outre les avis à suivre par celui qui écrira quelques pages, puis la méthode pour la recherche des manuscrits. De là devait sortir le grand ouvrage des Actes des saints de l’Ordre de Saint-Benoît, dont le dessein est exposé dans les Annales bénédictines. On eut ensuite un recueil des monuments relatifs à l’histoire ecclésiastique et monastique : puis l’histoire de chaque monastère en particulier, base du Gallia Christiana. Le service le plus considérable rendu à la religion fut de réviser les ouvrages des Pères grecs et latins sur les anciens manuscrits conservés dans les monastères et les bibliothèques. De plus, on voulut rendre service à l’État en particulier, toutes les fois que le permettaient les obligations de la réforme, ce qui fournit des éléments pour les histoires des provinces.

Ces desseins n’auraient pas été réalisés, si l’on s’était borné à des efforts isolés. Sans doute, l’activité prodigieuse et la rapidité dans le travail d’un Mabillon et d’un Montfaucon donnèrent de merveilleux résultats, mais ces deux hommes en particulier, à la suite de dom Luc d’Achéry, favorisèrent l’éclosion de talents qui s’associèrent et qui, restés isolés, n’eussent presque rien produit. Sous leur influence puissante et douce, l’abbaye de Saint-Germain devint un foyer d’érudition que nos sociétés de savants modernes ne sauraient faire oublier. Non seulement on y mit à profit ce que les religieux des diverses maisons de la congrégation avaient amassé de documents, mais on y rassembla les sujets des divers monastères reconnus les plus aptes pour mener à bonne fin les grandes entreprises. — 1. — C’est ainsi que nous voyons arriver à Saint-Germain en 1664, dom Mabillon, l’une des plus douces et des plus aimables figures du xviie siècle, qui, pendant plus de quarante ans, va donner à l’abbaye tout son lustre. À côté de dom Luc d’Achéry qui acheva sa formation, il rencontra des esprits distingués, comme dom François Lamy, dom Thomas Blampin, dom Jacques Du Frische et d’autres encore, figures de bénédictins à la fois uniformes au premier aspect, diverses cependant quand on apprenait à les connaître à fond. Dans ce petit cercle de travailleurs, Mabillon par son activité personnelle, sa régularité exemplaire, son esprit de suite, entretint le feu sacré. Nous n’avons pas à énumérer ses nombreux travaux signalés ailleurs, art. Mabillon, mais à dire sa douceur, sa modestie dans le succès, son humilité quand l’érudition le met en désaccord avec quelqu’un de ses contemporains (par exemple le P. Papebroch à propos de la Diplomatique), le soin qu’il mit, en mainte circonstance, à modérer le vif et bouillant dom Michel Germain, son dévoué disciple et son fidèle compagnon. Lorsque sa réputation de science et de sûre critique l’eut mis en rapport avec les érudits de l’Europe entière, Mabillon se mit de bonne grâce au service de ceux qui le consultaient ; il est presque impossible de s’expliquer comment il a pu écrire à tant de gens sur des sujets variés, tout en continuant des travaux d’érudition qui réclamaient un patient labeur. Quand il lui fallut quitter sa cellule et entreprendre des courses pour recueillir, dans les bibliothèques, les matériaux nécessaires aux grandes entreprises littéraires de la congrégation, ce solitaire demeura toujours calme et doux, le plus actif au travail, le copiste infatigable, l’érudit au coup d’œil prompt et perspicace, parlant peu, ne se faisant jamais valoir. Il fut toujours l’enfant soumis à l’autorité de l’Église ; dom Ruinart qui fut, après la mort de dom Michel Germain, le compagnon dévoué de ses dernières années, dit en parlant de la dernière préface écrite par Mabillon pour le t. iv des Annales bénédictines : « C’est comme le suprême acte de foi de l’écrivain, plus que jamais attaché à l’Église. Ce pieux solitaire, qui avait remué plus de documents que personne et avait enseigné à sa génération l’art de distinguer ceux qui étaient vrais de ceux qui n’étaient que des falsifications, croyait fermement, avec cet instinct supérieur des gens de génie, que c’est grandir la science que de la consacrer à Dieu. » Ce qui entoure sa personne comme d’un reflet de véritable grandeur, c’est la persévérance et l’ardeur du plus rude travail de l’esprit mises au service de la défense des idées morales les plus élevées.

D’une activité personnelle vraiment prodigieuse qu’il conserva jusqu’à la fin de sa vie, Mabillon ne se fit pas faute de faire appel à la collaboration de ses frères. Il fut l’âme de ce foyer intellectuel qu’était l’abbaye de Saint-Germain et, par son exemple, entretint l’émulation chez ses confrères. Dom Estiennot, qui passa des années à Rome, fut pour Mabillon un actif pourvoyeur des documents dont celui-ci avait besoin.

Entre tous ces travailleurs régnait la plus grande charité quand il s’agissait de se prêter un mutuel concours pour mener à bien une œuvre entreprise. D’ordinaire on les voyait associés deux ou trois ensemble pour un même travail ; bien qu’avec des caractères différents et des tendances souvent opposées, ils mettaient en commun leurs lumières, préparés qu’ils étaient à faire abstraction d’eux-mêmes par une sérieuse formation intellectuelle et le respect de la discipline régulière.

2. — L’influence, exercée par Mabillon à Saint-Germain-des-Prés, va se continuer durant la première moitié du xviiie siècle par les soins de dom Bernard de Montfaucon (1655-1742). Dans ce bénédictin, devenu, à son tour, la gloire de l’érudition française, nous retrouvons un travailleur actif et infatigable, cf. art.  Montfaucon, un chef et un maître qui sut découvrir de robustes ouvriers littéraires, les mettre en valeur, les tenir groupés autour de sa personne