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MAURISTES, ORGANISATION DU TRAVAIL

ceux qui ne l’étaient pas, sauf un petit nombre qui furent dispersés dans divers couvents de province, signèrent une lettre de soumission au Saint-Siège. Alors, l’orage qui menaçait la communauté, tant du côté de Rome que de la part du pouvoir royal, fut conjuré, et les bénédictins purent continuer en paix leurs travaux d’érudition. C’était, malgré les cris du parti janséniste, avoir sauvé de la ruine une des gloires de la France lettrée, et ce résultat était en grande partie dû au zèle du cardinal de Bissy. E. de Broglie, Bernard de Montfaucon et les Bernardins, t. i, p. 167-168.


III. Formation des religieux et organisation du travail intellectuel. — On peut dire que les travaux accomplis en moins de deux siècles par les mauristes (1630-1789) sont dus à ces deux causes réunies : la formation des religieux et l’organisation du travail.

1o Formation des religieux : piété, régularité, abnégation sont des qualités qu’on retrouve chez les plus érudits, le travail ne les dispense pas de la célébration de l’office divin, tous leurs instants sont utilisés pour la tâche qu’ils ont entreprise ; d’autre part, ils ne connaissent ni les rivalités, ni les jalousies communes parmi les écrivains : « Quand ils parlent de leurs devanciers, c’est toujours dans les termes du respect et de la piété filiale ; s’il s’agit de leurs collaborateurs, de leurs émules, ils font abnégation d’eux-mêmes et s’empressent de rapporter à ceux-ci le mérite de leur propre travail. Dom Tassin nous fournit un bel exemple de cette conduite toute fraternelle. Dès la fin du premier volume de son 'Traité de diplomatique, ayant à pleurer la mort de dom Toustain, son compagnon littéraire, il lui consacre, à la tête du second volume un pieux éloge dans lequel il lui laisse tout l’honneur de l’ouvrage, et quoiqu’il soit resté seul pour la tâche qu’ils avaient entreprise ensemble, il n’en continue pas moins de mettre dans le titre des volumes suivants cette inscription touchante : par deux religieux bénédictins. La science de ces hommes était encore relevée par la modestie. Leurs noms sont omis dans beaucoup de leurs œuvres. » Préface du Polyptique de l’abbé Irminon, par M. Guérard, Paris, 1844, citation dans E. de Broglie, Mabillon, t. i, p. 30.

Préparation par de fortes études : dès le début tout se trouva réglé pour que, dans les diverses maisons où la réforme fut établie, les sujets fussent préparés de loin à la tâche qui leur serait confiée. Dom Grégoire Tarrisse, le premier supérieur général, y donna tous ses soins. C’est ce que constate dom Tassin : « Persuadé que l’ignorance avait fait de terribles ravages dans les monastères de l’Ordre, il mit toute son application à faire fleurir les sciences dans la congrégation. Il ne se contenta pas d’établir des cours de philosophie et de théologie dans chaque province ; il lit faire une étude particulière de l’Écriture sainte et des langues orientales. Il députa des religieux pour visiter les bibliothèques de l’Ordre, y examiner les manuscrits, et en tirer les vies des saints bénédictins, dont les exemples pouvaient contribuer à la gloire de Dieu, à l’utilité de l’Église au progrès de la Réforme. » Histoire littéraire de la congrégation de Saint-Maur, p. 53-54 ; on trouve là une citation de dom Mabillon, Aeta SS. O. S. B., prxfutio in 2 am partem sœculi VI, Il appliquait tous les religieux selon leur capacité. En 1648, dom Tarrisse chargea dom Luc d’Achery de rédiger pour le chapitre une lettre programme. Revue Mabillon, t. vi, p. 145. Le fol. 217 de la Collection de Picardie, t. clxiv, ms., en donne une copie qui porte en marge les annotations de dom B. Audebert ; après des avis sur la reconnaissance dont l’ordre est redevable à Dieu pour y avoir suscité des grands saints, on y recommande « d’étudier l’Écriture sainte (que dans ce but chaque religieux ait une Bible en sa cellule), d’apprendre à bien écrire, de s’instruire es humanités, de faire de bonnes lectures, de travailler et l’histoire de l’Ordre et de la congrégation. » Dom Grenier Pierre († 1789) auteur d’un plan d’études, qui nous a conservé ce précieux document, a écrit au dos : « Cette pièce est d’autant plus importante pour la vie de dom Luc d’Achery qu’il y paraît avoir été le fondateur des études dans la congrégation de Saint-Maur. » Dom B. Audebert, l’annotateur du document, présida le chapitre de 1648.

Dans une note annexée par dom Luc d’Achery aux décrets des chapitres généraux, se trouvent des indications pour bien enseigner : ces indications concernent les directeurs et régents des études, les maîtres qui ont charge d’enseigner, et en particulier chaque professeur depuis la 5e classe jusqu’à la rhétorique. Une pièce analogue, qui remonte à l’année 1668, a été publiée par dom Jean-François au t. iv de la Bibliothèque générale des écrivains de l’ordre de Saint-Benoît ; on ne détermine pas par quel chapitre général cette pièce a été approuvée. Le traité des Études monastiques, publié par Mabillon en 1691, donne dans les c. xviii-xxi de la seconde partie, un plan général pour la théologie, non moins nécessaire aux ecclésiastiques qu’aux religieux. Mabillon a soin de déterminer les études propres aux moines : il prescrit une manière d’étudier ; on l’a trouvée si excellente que les étrangers eux-mêmes l’ont adoptée. Il expose de quelle manière et avec quelles dispositions les religieux doivent lire l’Écriture sainte et les Pères ; il leur apprend à profiter de cette lecture. Il ne veut pas qu’ils s’amusent à ces questions inutiles des scolastiques qui ne servent ni à appuyer la foi ni à régler les mœurs ; il blâme le relâchement de la conduite des casuistes et leur principe de probabilité. Dom Tassin, Histoire littéraire de la congrégation de Saint-Maur, p. 252.

Les études ne pouvaient se faire sans livres ou manuscrits, instruments de travail. Aussi dom Luc d’Achery fut-il chargé de former la bibliothèque de Saint-Germain, et il publia dans la suite, un Catalogue des ouvrages ascétiques ou traités spirituels des Pères et des auteurs modernes dont la lecture est très utile aux religieux, Paris, 1648. En appendice à son traité des Études, Mabillon, de son côté, donna le Catalogue des meilleurs livres avec les meilleures éditions, en vue de composer une bibliothèque ecclésiastique ; les livres y sont classés sous dix chapitres : textes latins, grecs, hébraïques de l’Écriture sainte, avec concordances ; interprètes de l’Écriture ; conciles et droit canonique ; Pères grecs ; Pères latins ; théologie scolastique ; théologie morale ; controversistes ; prédication ; ascétisme (à ce chapitre se rattache le catalogue de d’Achery). Suivent huit autres chapitres concernant les jurisconsultes, les philosophes, les mathématiciens, les historiens sacrés et profanes, les grammairiens, les poètes, les orateurs. En 1653, les supérieurs majeurs firent dresser une liste des livres destinés à former le fond des bibliothèques monastiques. On peut voir dans la Revue Mabillon, t. vi, p. 437, déjà citée, la reproduction de ce catalogue, d’après le manuscrit des Archives nationales, registre L. L. 991, fol. 190-200 : on y trouve en marge le signe h (= habemus), mais on ne peut dire de quel monastère il s’agit.

2o Organisation du travail intellectuel dans la congrégation. — Le mérite propre de dom Grégoire Tarrisse a été de dresser les programmes à l’aide desquels se sont formés des hommes éminents.

Après s’être orné l’esprit et le cœur par l’étude de la sainte Écriture, de la théologie, du droit canonique ; de l’histoire de l’ordre, le bénédictin de Saint-Maur orientait ses recherches vers l’objet le plus en rap