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MAURISTES, INFILTRATIONS JANSÉNISTES

À la suite de la diète qui fut tenue à Saint-Germain le 23 niai 1715 et qui se montra sévère pour dom Chopelet et dom Varoqueaux, on put voir que les supérieurs majeurs n’autorisaient nullement leurs religieux à protester contre la constitution Unigenitus : une lettre circulaire enjoignait à tous les prieurs, de faire défense à tous les religieux « d’avoir aucune relation ni aucun commerce avec toute personne suspecte au sujet de la Constitution ». Il y eut de la part du roi, et plus tard de la part du cardinal de Bissy, abbé commendataire de Saint-Germain, des instances auprès du supérieur général pour que l’un de ses religieux écrivît en faveur de la Constitution ; dom Charles de l’Hostallerie fit de vains efforts auprès de quelques religieux qui se récusèrent. La mort du roi étant survenue, on abandonna le projet, et pendant plus de quinze ans, le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, devait, par son attitude, entretenir les funestes germes d’une division. Le 9 octobre 1718, à Saint-Germain, une assemblée capitulaire, convoquée et présidée par le prieur, dom Charles d’Isard, signait, en majorité, un second et un troisième appel et faisait cause commune avec le cardinal de Noailles dans sa résistance aux ordres du souverain pontife. Pour arrêter un tel élan, dom de l’Hostallerie ne pouvait rien. L’abbé Dubois qui, dès cette époque, influençait le Régent, déclarait en 1719 au cardinal de la Trémoille, notre ambassadeur à Rome « que le pape avait grand tort d’être mécontent de la conduite du général de la congrégation de Saint-Maur, que s’il avait agi contre ses religieux appelants, comme le pape le désirait, les Parlements auraient agi contre le général et auraient soutenu les religieux et leurs appels. » Journal de l’abbé Dorsanne, Rome, 1753, t. 1, p. 450, cité dans Revue Mabillon, t. v, p. 589. Ainsi donc, il ne dépendait pas de la bonne volonté de dom de l’Hostallerie d’enrayer à leur début les troubles provoqués par les appels contre la bulle Unigenitus, au sein de la congrégation de Saint-Maur.

Dom Denis de Sainte-Marthe, qui fut supérieur général de 1720 à 1725, fut suspect à Rome parce qu’on le jugeait favorable aux appelants, mais, à sa mort, une réaction se produisit dans la congrégation de Saint-Maur ; le nouvel élu, qui fut dom Pierre Thibault, était un partisan notoire de la bulle et il mit beaucoup de zèle à procurer la soumission des récalcitrants ; dom Vincent Thuillier, qui avait figuré au nombre des appelants, avait changé de sentiment : propagateur de l’acceptation, il s’adressait en particulier aux professeurs de théologie. Son rôle de pacificateur était ardemment soutenu par Mgr de Tencin, archevêque d’Embrun ; il n’était pas facile depuis le chapitre tenu à Marmoutier en juin 1729, où les appelants avaient triomphé. Dom Alaydon, un des leurs, avait été élu supérieur général ; arrêté à Orléans sur l’ordre de la Cour, il refusait de faire ce qu’on lui demandait, tant que la liberté ne lui serait pas rendue. Dom Thuillier, à force de négociations, amena néanmoins la soumission du supérieur général qui termina ses jours dans le chagrin. Ce fut un acheminement vers la soumission officielle de la congrégation ; les cardinaux Fleury, de Rohan et Bissy chargèrent dom Thuillier d’écrire l’Histoire de la Constitution, de concert avec dom G. Leseur, son compagnon d’études. Vanel, Les bénédictins de SaintGermain et les savants lyonnais, p. 258 ; dom P. Denis, Le cardinal Fleury, dom Alaydon et dom Thuillier, dans Revue bénédictine, 1909, t. xxvi, p. 325 et 370. Dom Thuillier avait-il sollicité ce mandat ou du moins laissé deviner l’empressement avec lequel il l’accepterait ? Cela paraît probable : il s’en promettait beaucoup, disant que « ce travail est le coup le plus mortel que l’on puisse porter an parti qui trouble l’Église de France ». D’après dom Tassin, cette histoire ne vit pas le jour. Au début du xxe siècle, M. Ingold en a publié les livres VII-XIII. Ingold, Rome et la France : la deuxième phase du jansénisme, fragment de l’Histoire de la Constitution par dom Thuillier, Paris, 1901. Si l’on en croit dom Martène (Choses mémorables, Bibl. nat., fonds français, 18817), dom Thuillier, qui avait obtenu de la communauté de Saint-Germain qu’elle rédigeât une lettre au souverain pontife pour exprimer son obéissance et son attachement au Saint-Siège, eût souhaité porter lui-même ce message à Clément XII et en obtenir le titre de procureur général, mais il fut frappé par la mort le 8 janvier 1736.

Pendant que, chez les jansénistes, se produisait une évolution et qu’abandonnant les Réflexions morales comme arme de combat, on faisait grand bruit autour des faux miracles du cimetière de Saint-Médard, dom Bernard La Taste, prieur des Blancs-Manteaux, honoré de la confiance du cardinal Fleury, publiait ses 25 lettres théologiques qui obtinrent un grand succès contre les prétendus miracles du diacre Paris. Voir Yves Laurent, Dom Bernard La Taste, dans le Bulletin de Ligugé, 1903, t. xi, passim ; voir aussi Vanel, Les bénédictins de SaintGermain et les savants lyonnais, p. 263. Il devint second assistant sous le supériorat de dom Laneau, et le cardinal Fleury le fit nommer évêque de Bethléem (évêché érigé sous ce nom à Clamecy).

Durant la seconde moitié du xviiie siècle, les discussions théologiques s’apaisèrent, ou plutôt, la lutte s’engagea surtout entre le Parlement, l’archevêque Mgr de Beaumont et ses curés ; les bénédictins se tinrent plus à l’écart. Malheureusement l’indiscipline des esprits avait été funeste au respect des règles et des observances. En 1765, vingt-huit moines de Saint-Germain adressèrent au roi une requête pour être exemptés des jeûnes et du chant de l’office. Vanel, op. cit., p. 284 ; Porce, Histoire de l’abbaye du Bec, t. ii, p. 507. Voir aussi plus haut col. 410. Cette requête a été généralement jugée avec sévérité et considérée comme un scandale. Picot, Mémoires pour l’histoire du xviiie siècle, t. iv, p. 171 ; E. de Broglie, Mabillon, t. ii, p. 306 ; Ch. Gérin, dans Revue des Quest. hist., 1876, p. 479. Quelques auteurs pourtant ont voulu y voir l’œuvre de moines désireux d’une observance plus stricte. Ainsi dom Anger, dans Revue Mabillon, t. iv, p. 196 ; dom Butler, Monachisme bénédictin, trad. Grolleau, p. 362. Pendant que dom Thuillier, sous le supériorat fort mouvementé de dom Alaydon, s’efforçait de ramener la communauté de Saint-Germain à l’acceptation de la bulle Unigenitus, la cour de Rome s’impatientait ; elle exigeait la révocation des appels. Les lettres des procureurs généraux se faisaient l’écho de graves menaces ; on parlait d’une dissolution de la congrégation de Saint-Maur. Le cardinal de Bissy, abbé commendataire de Saint-Germain, avait rompu avec la communauté ; il exigeait que tous les appelants fussent congédiés. Le dernier procureur général, dom Pierre Maloet, avait dû quitter Rome en 1729 et s’était réfugié à Frascat’i. En 1733, Clément XII déclarait qu’il ne voulait plus recevoir de procureur de la congrégation tant qu’elle compterait des appelants. Dom Maloet alors quittait Rome définitivement. Un ancien dominicain devenu bénédictin, dom Malachie d’Inguimbert, venu à Rome pour travailler à la vie de Clément XI, resta le correspondant des mauristes après le départ du procureur général. Une détente se produisit, due à la prudence et au zèle du supérieur général, dom Hervé Ménard. Le cardinal de Bissy, abbé commendataire de Saint-Germain, tenta de faire revenir à de meilleurs sentiments les bénédictins révoltés. En 1735, les religieux capitulaires de l’abbaye, les appelants comme