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MARONITE (EGLISE), FORMATION DU PATRIARCAT


dans la pensée du pape, la conversion des maronites, celle-ci, eu égard a tous les documents, ne pourrait être entendue que selon l’explication que nous avons donnée ci-dessus. Le légat pontifical aurait jugé la question suivant les apparences, sans se soucier le moins du monde d’examiner et de comparer les divers textes qui s’y rapportent ; il aurait fondé son rapport sur pareille insuffisance d’information, et ainsi l’erreur était commise.

Malheureusement, sans tenir compte des circonstances que nous venons de relever, on a cité la lettre d’Innocent III en faveur de l’hétérodoxie maronite. Bien plus, cette même lettre a été utilisée pour la rédac ion d’autres bulles pontificales. Cf. Anaïssi, Bull., p. 9-12 ; Dandini, Miss, apost., p. 98-99.

En résumé, l’accusation de monothélisme, portée’contre les maronites, provient d’un malentendu soulevé, au viiie siècle, entre ces derniers et les maximites, c’est-à-dire les partisans de la doctrine dyothélite, prêchée par Maxime le Confesseur. Cette accusation fut ensuite répandue en Orient comme en Occident, surtout par Eutychès d’Alexandrie, Guillaume de Tyr et Jacques de Vitry, le premier ayant servi de source au deuxième et celui-ci au troisième. La lettre Quia diuinæ sapientiae d’Innocent III, mal comprise, consacra, aux yeux de nombreux écrivains, l’hétérodoxie originelle de ce peuple. Et voilà comment naquit, se développa et s’incorpora à l’histoire la légende du monothélisme maronite.

.. V. Formation du patriarcat maronite. — Lors de l’invasion de la Syrie par les Arabes, l’Église officielle d’Antioche était sans patriarche, depuis la mort d’Anastase II (septembre 609) et le nouvel état politique ne lui permettait plus de se donner un chef. A Constantinople, on s’inquiéta sérieusement de cette grave question ; on alla même jusqu’à nommer des titulaires à la métropole d’Orient. Néanmoins, ces derniers ayant établi leur résidence dans la capitale de l’empire, le siège d’Antioche restait, de fait, inoccupé.

Cette situation se prolongea jusqu’en 702. A cette date, il cessa d’y avoir même un patriarche nominal, et cette vacance totale ne prit fin qu’en 742, par l’élection d’Etienne III auquel le calife Hicham permit de prendre possession de son siège. Voir Duchesne, op. cit., p. 372-373 ; Karalevskij, dans Diction, d’hist. et de géogr. ecclés., au mot Antioche, col. 589-597 ; S. Vailhé, L’Église maronite du v » au IXe siècle, dans Échos d’Orient, 1906, t. ix, p. 263-265.

Or, c’est à cette époque troublée, pendant laquelle l’Eglise d’Antioche se débattait comme dans une sorte d’anarchie, que les maronites prirent le parti de se donner un chef, d’élire un patriarche. Notre source d’information est encore Denys de Tell-Mahré. Après avoir fait le récit d’un incident qui se produisit, vers 746, au couvent de Saint-Maron, il ajoute : « Les maronites restèrent comme ils sont encore aujourd’hui. Us ordonnent un patriarche et des évêques de leur couvent. » Dans Michel le Syrien, texte, t. iv, p. 467 ; trad., t. ii, p. 511. A l’occasion de cet incident, le patriarcat maronite apparaît pour la première fois dans l’histoire. Ce passage de Tell-Mahré est le plus ancien document certain que nous possédions sur cette institution. Mais son origine remonte à une date plus éloignée, à cette période, où le siège d’Antioche était inoccupé. En effet, le mot restèrent (phach en syriaque) fait entendre que les maronites étaient déjà, en 746 « comme ils sont encore aujourd’hui », gouvernés par un patriarche et des évêques. Le fait, grâce à ce document, est incontestable. Bien que les origines du patriarcat maronite demeurent enveloppées de ténèbres, le texte de Tell-Mahré fournit néanmoins un sérieux appui à la tradition suivant

laquelle l’établissement du patriarcat remonterait aux dernières années du viie siècle. C’est encore le savant patriarche Etienne Douaïhi qui nous a conservé cette tradition. Il a, en effet, dressé la série des patriarches maronites depuis saint Jean Maron, le premier de la lignée (qu’il ne faut pas confondre avec saint Maron, fondateur de l’Église) jusqu’à lui-même (1670-1704). Il a puisé ses renseignements, dit-il, dans les documents suivants : Une feuille datée de 1621 des Grecs (= 1313 de J.-C), qui ;  : e trouvait parmi les papiers de son prédécesseur, Georges de Beseb’el († 1670) ; une lettre écrite en 1495 par Gabriel Ibn-Al-Qela’î ; des listes à lui communiquées par l’évêque de’Aqoûra, Georges Habqoûq ; un diaconicon très ancien, dans la proclamation que fait le diacre des noms de tous les patriarches figurant aux diptyques. Cette liste des patriarches maronites de Douaïhi a été publiée par Rachîd Chartoûnî sous le titre : Chronologie des patriarches maronites, Bey-routh, 1902 ; elle avait été utilisée antérieurement par Le Quien dans son Oriens Christianus, t. iii, d’après la traduction latine faite, en 1733, par Joseph Ascari, prêtre maronite d’Alep. Cf. P. Chebli, Biographie de Douaïhi, p. 210. La liste de Douaïhi diffère quelque peu de celle d’Assémani, écrite en arabe, publiée et traduite en latin par le P. Jean Notain Darauni sous le titre : Séries chronologica Patriarcharum Antiochise, Rome, 1881.

Les circonstances qui présidèrent à la naissance du patriarcat rendirent cette création incontestablement légitime. L’Église d’Antioche n’avait plus de chef ; les moines maronites, maîtres de la situation, pouvaient s’en donner un ; ils le firent, et l’on ne saurait alléguer contre leur acte aucun règlement canonique. Du reste, s’il y avait eu le moindre doute sur la légitimité de cette institution, le Saint-Siège n’aurait pas manqué de la condamner comme le pape saint Martin, en 649, condamna la nomination de Macédonius par Constantinople : Hune (Macedonium) enim episcopum catholica Ecclesia nullo modo novit, dit-il, non solum quod is preeter canones, in externa regione, sine consensu et absque ullo decreto, hanc sibi appellationem usurpavit, sed et quod consentiat hæreticis. .. Lettre à Jean de Philadelphie dans Mansi, Concil., t. x, col. 811. — Quapropter, dit encore le pape, hortamur dileclionem vestram, ut ita nobiscum semper credatis ac leneatis, devitantes omnem hæresim… insanosque hæresum auctores… Macedonium hæreticum, quem contra canones sibi finxerunt falsum Antiochiæ episcopum prædicti hæretici. Lettre aux Églises de Jérusalem et d’Antioche, ibid., t. x, col. 830.

Les documents parvenus à notre connaissance nous autorisent à croire que les patriarches maronites ont de tout temps porté le titre d’Antioche. Voir, par exemple, deux documents dont l’un de 1141, dans J.-S. Assémani, Bibl.or., t. ii, p. 307, et l’autre dell54, dans Ét.-Év. Assémani, op. cit., p. xxviii-xxix, 18.

Loin de méconnaître ce droit des patriarches maronites, Rome en a positivement reconnu la légitimité. La bulle d’Innocent III Quia divinæ saptentiee de 1215 nous fournit à ce sujet le plus ancien témoignage connu : Usum quoque pallii, écrivait-il au patriarche Jérémie, … solitis tibi consueludinibus approbatis, quas tu ctiam et prædecessores tui haclenus in antiochena Ecclesia dignoscimini habuisse, tibi, tuisque successoribus auctoritale aposlolica indulgemus. T. Anaïssi, Bull., p. 4.

La juridiction patriarcale reconnue par Innocent III avait donc été exercée par les titulaires maronites du siège d’Antioche avant Jérémie, qui en prit possession en 1183.— Au témoignage deBenoîtXIV, Alexandre IV consacre à son tour ce droit du patriarche maronite au titre d’Antioche. Allocution au consistoire du