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.MATTHIEU (SAINT), CARACTÈRES DU PREMIER ÉVANGILE

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que la composition d’une biographie proprement dite ne fut pas le premier souci des écrivains chrétiens, puisqu’ils admettent généralement, à l’origine de la littérature évangélique, la rédaction d’un recueil de sentences, qui fut utilisé plus tard dans notre premier et notre troisième évangile, et dans lequel ou s’était préoccupé de fixer, en sauvegardant les termes mêmes dont Jésus s’était servi, les principaux enseignements du Sauveur..Mais de l’étude des genres littéraires dans le judaïsme et l’hellénisme à l’époque du Nouveau Testament, de l’analyse surtout des besoins auxquels dut répondre la littérature évangélique primitive, il résulte qu’un simple recueil de sentences, sans un cadre historique contenant un certain nombre de faits, ne se comprendrait guère comme type premier d’évangile : la biographie dut avoir sa place même dans un ouvrage de controverse, parce que les faits révélaient l’attitude prise par Jésus et manifestaient le caractère de sa mission, tout autant que ses paroles. De la sorte on est amené à concevoir comme évangile primitif un ouvrage dont on ne peut évidemment prouver qu’il contenait tout ce qui figure dans notre évangile actuel de saint Matthieu, mais qui, par le genre de composition et le caractère, devait tout au moins ressembler à cet évangile.

On ne saurait conclure en tout cas du caractère didactique du premier évangile à son origine récente, car le développement de la tradition a dû se faire dans le sens d’une préoccupation historique plus accentuée, comme cela ressort de la composition de l’évangile de saint Luc, qui est, beaucoup plus nettement que les deux autres Synoptiques, œuvre d’historien.

2° Caractères du premier évangile favorables à l’authenticité. — 1. Il ne semble pas que la fusion d’éléments empruntés à deux sources principales : l’évangile de saint Marc et un recueil de sentences, ait pu aboutir à une œuvre dont l’unité est aussi marquée que celle du premier évangile. Celui-ci ne se présente point en elïet comme un simple recueil d’anecdotes et de sentences, disposées dans un cadre chronologique assez large, et sans lien de successsion bien strict. Les paroles et les faits sont au contraire groupés de façon à former des ensembles, qui ne tiennent pas nécessairement compte de la suite chronologique. On y remarque facilement cinq grands discours nette lient marqués par la façon dont ils sont introduits et surtout dont ils se terminent (noter les formules de conclusion toutes semblables, vii, 28 ; xi, 1 ; xiii, 53 ; xix, 1 ; xxv, 1), comme aussi par l’unité du thème : discours sur la montagne, discours sur la mission des apôtres, discours des paraboles., discours sur les devoirs mutuels des disciples, discours eschatologique. De même il y a des groupements de faits : par exemple la collection de dix miracles, viii, 1-ix, 31. De plus les récits ne sont pas juxtaposés aux discours, iis sont intimement liés à l’enseignement, qu’ils servent à appuyer, et dont iis sont généralement inséparables. De là dans le premier évangile cette unité organique qui n’aurait pas été obtenue, semble-t-il, s’il avait été formé par la réunion d’une part de récits, d’autre part de sentences provenant de deux sources différentes.

2. Cette homogénéité se manifeste particulièrement dans la persistance d’un bout à l’autre du premier évangile de certains traits qui en accusent le caractère sémitique, judaïque, et même l’archaïsme, traits qui s’accordent assez bien avec les données traditionnelles sur l’origine de cet évangile.

Bien qu’il soit écrit dans une langue qui se rapproche du grec classique, on a pu dire de notre premier évangile que « malgré son vêtement grec, il était un étranger parmi les Grecs », Claddcr, Unsere Evangelien, Fribourg, 1910, p. 67. Parmi les traits nettement sémitiques, qu’on retrouve dans la littérature

juive contemporaine du Nouveau Testament, on peut noter l’influence de certains nombres qui dominent les groupements : les nombres 7 et 3 spécialement, bien que dans certains cas on puisse hésiter sur le caractère intentionnel de ces groupes et divisions. Un exemple très net est celui de la généalogie, i, 1-17, divisée en trois séries de 14 =(2x7) générations, ce qui a obligé i’évangéiiste à omettre certains noms. Il y a sept paraboles au c. xiii, sept malédictions contre les Pharisiens au c. xxiii, et l’on compte généralement sept demandes du Pater. Plus nombreux encore les exemples de groupements tripartites.

Au point de vue du style, on doit signaler l’emploi fréquent du parallélisme hébraïque, et même de la construction slrophique (dans le discours sur la montagne notamment), avec une tendance marquée à commencer et terminer un épisode par des mots semblables (procédé fréquent dans l’Ancien Testament et désigné sous le nom à’inclusio). Lagrange, op. cit., p. lxxxi. Pour le vocabulaire aussi, la marque juive est plus accentuée dans saint Matthieu que dans les autres Synoptiques. Ce n’est pas qu’il s’y trouve un plus grand nombre d’expressions araméennes reproduites telles quelles, — saint Marc en conserve davantage, en prenant soin de les expliquer — mais le texte grec est souvent la traduction d’expressions juives, ou qui ne s’expliquent que par des idées juives : un des exemples les plus caractéristiques est l’emploi des expressions royaume, des deux (au lieu de royaume de Dieu), et le Père qui est dans les deux. On trouvera un examen complet de ces expressions et tournures dans Lagrange, op. cit., p. lxxxv sq., qui en tire la conclusion, sinon que le premier évangile a été écrit en araméen, du moins, ce qui est assez différent, qu’il a été composé par un Juif, à la juive et pour des Juifs. Cette conclusion est appuyée aussi par de nombreuses allusions aux usages juifs, sans aucune explication semblable à celles que l’on rencontre dans l’évangile de saint Marc ; cf. spécialement Matth., xv, 2 et Marc, vu, 1-6 ; ces allusions sont particulièrement nombreuses dans le discours du c. xxiii. Elles se trouvent principalement dans les paroles de Jésus, dont le premier évangile a ainsi mieux conservé la couleur primitive. Ces allusions aux mœurs et usages d’une société qui devait disparaître après la ruine de Jérusalem semblent indiquer d’autre part que l’évangile de saint Matthieu, tout au moins sous sa forme première, a été écrit avant 70.

Ces traits caractéristiques du premier évangile pourraient être sans doute attribués à l’utilisation des Logia. Mais, comme ils se rencontrent à peu près dans tout l’évangile, ils s’expliquent mieux encore si l’on admet que cet évangile a été écrit en araméen— par saint Matthieu, sous une forme peu différente du texte grec actuel.

II. Caractéristiques doctrinales du premier évangile. — 1° But et idée centrale. — Plus encore que les deux autres Synoptiques, le premier évangile a un caractère didactique. L’auteur veut prouver une thèse, établir que Jésus était le Messie, et que, par suite, les privilèges d’Israël ont passé des Juifs demeurés incrédules aux disciples du Christ.

Le P. Lagrange atrès bien dégagé l’idée centrale de cet évangile en le résumant en ces ternies, op. cit., p. xxix. « Le grand fait historique mis en lumière, c’est que Jésus, condamné par les Juifs comme faux Messie et usurpateur blasphématoire du titre de Fils de Dieu, s’était cependant révélé à Israël comme son Messie, continuant le plan divin dans la ligne de la révélation, et autorisé par des œuvres divines. Les chefs d’Israël et le peuple même l’ayant rejeté, ils s’étaient privés d une révélation plus haute, accordée par une grâce divine aux petits, et surtout à Pierre, ce qui impli-