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MATTHIEU (SAINT), ORIGINE DU PREMIER ÉVANGILE


Teprise de la rédaction plus abstraite et plus didactique de saint Matthieu. En bien des cas les différences de fond ou de forme entre les deux évangiles dans des passages parallèles donnent d’ailleurs l’impression de corrections faites délibérément par l’auteur du premier évangile, en vue d’abréger, de développer, de clarifier ou parfois d’introduire des nuances d’ordre théologique. Enfin on insiste sur les doublets, c’est-à-dire sur lés répétitions d’un même récit ou d’une même sentence, qui sont assez nombreux dans le premier évangile (plus de 20) ; ces doublets prouvent, d’après la plupart des critiques, que l’auteur a rapporté le même fait ou la même parole une fois en s’inspirant de l’évangile de saint Marc, une autre fois d’après une source différente, les Logia probablement.

Nous avons admis, article Marc, t. ix, col. 1947, que l’évangile de saint Marc est la reproduction fidèle d’une catéchèse primitive, celle de saint Pierre : il ne saurait donc être question de le faire dépendre littérairement, tout au moins pour l’ensemble de l’ouvrage, de l’évangile de saint Matthieu. Mais les rapports entre les deux premiers Synoptiques n’exigent pas non plus, semble-t-il, que Matthieu dépende de Marc, à condition d’admettre, avec la tradition ecclésiastique, l’existence d’un Matthieu hébreu ou araméen, dont le traducteur grec aurait connu et utilisé l’œuvre de saint Marc. Cette hypothèse explique suffisamment la similitude d’expressions entre les deux évangiles, le traducteur ayant conformé son texte à celui de saint Marc ; quant aux divergences, elles ne présentent pas aussi nettement qu’on le prétend le caractère de corrections systématiques faites par le rédacteur du premier, évangile. Cf. Lagrange, Évangile selon S. Matthieu, p. lviii sq. ; rien n’empêche d’ailleurs de les attribuer aussi au traducteur. D’autant que, selon la remarque du P. Lagrange, si Luc, s’inspirant du second évangile, reproduit à peu près intégralement le fond des récits en modifiant librement les expressions, « Matthieu est beaucoup plus rapproché de Marc par le choix et l’ordre des mots, mais plus différent pour la façon de présenter les choses. » — Quant aux doublets, on peut supposer sans invraisemblance dans la plupart des cas, qu’ils sont de simples répétitions : on remarque, en effet, en d’autres endroits du premier évangile la tendance de l’auteur à se répéter ; d’ailleurs, pour certaines paroles du Christ, ainsi répétées, saint Matthieu, les ayant introduites dans un des grands discours où il a groupé les enseignements de Jésus, a très bien pu les reproduire de nouveau dans leur contexte historique réel, par exemple, Matth., v, 32 et xix, 9 ; x, 22 et xxiv, 9. L’explication paraît cependant insuffisante pour certains doublets, Matth., x, 38 et xvi, 24 ; xvii, 20 et xxi, 21 en particulier, où la dépendance par rapport à Marc est plus sensible. Le P. Lagrange, op. cit., p. l sq., croit pouvoir dans ce cas attribuer au traducteur la répétition ainsi faite sous une forme empruntée au second évangile. — Pour rendre compte de la ressemblance dans le choix et l’ordre des matériaux qui composent les deux premiers Synoptiques, une solution analogue peut-être proposée. Cette ressemblance peut s’expliquer tout simplement en certains cas, pour les récits de la Passion en particulier, par la conformité à la suite historique des faits. D’autre part les principaux récits, ainsi que les paroles de Jésus qui faisaienc le fond de la prédication chrétienne primitive, ont dû être fixés de bonne heure dans la tradition orale, et même peut-être dans des écrits plus ou moins fragmentaires, qui pouvaient servir d’aide-mémoire : saint Matthieu et saint Marc ont pu s’inspirer tous deux de cette tradition orale ou déjà partiellement écrite, qui déterminait la matière et la disposition générale de l’évangile. On peut d’ailleurs admettre que quelques courts récits

ont été ajoutés d’après saint Marc par le traducteur grec du premier évangile ; ces additions peu nombreuses n’empêcheraient pas l’identité substantielle de l’évangile grec avec l’œuvre primitive de saint Matthieu. Lagrange, op. cit., p. XL.

2. Les citations de l’Ancien Testament dans le premier évangile fournissent à beaucoup de critiques un argument contre l’attribution traditionnelle à saint Matthieu. Ces citations, notablement plus nombreuses dans cet évangile que dans les deux autres Synoptiques, sont souvent faites d’après la version grecque des Septante, tandis qu’un évangile composé en hébreu ou araméen aurait, dit-on, cité l’Ancien Testament d’après le texte hébreu.

Il est exact que beaucoup de citations dans le premier évangile, spécialement celles qu’il a en commun avec les autres Synoptiques, se rapprochent davantage des Septante. Par contre, il est remarquable que celles qui sont particulières à cet évangile s’inspirent plutôt du texte hébreu de l’Ancien Testament ou du moins trahissent une influence de l’hébreu. Dès lors, conclut le P. Lagrange, op. cit., p. cxxii sq., la solution la plus satisfaisante paraît être la suivante. Saint Matthieu, écrivant en araméen (non pas en hébreu, car il aurait cité sans doute plus textuellement), s’est —servi du texte hébreu de l’Ancien Testament, en l’utilisant d’ailleurs assez librement. Le traducteur grec, pour les citations qui n’avaient pas de parallèle dans Marc, a traduit exactement l’original de Matthieu ; tandis que, là où il trouvait la citation déjà faite dans le second évangile d’après les Septante, il a adopté de préférence le texte de Marc, même si le texie s’écartait un peu de la leçon de l’hébreu, qui figurait dans l’évangile araméen. Cette hypothèse rend mieux compte des faits que celle des critiques qui pensent que notre premier évangile a été composé directement en grec par un écrivain s’inspirant de l’évangile de saint Marc, car on ne voit pas pourquoi l’auteur aurait rapproché de l’hébreu certaines de ses citations, s’il n’avait eu en mains un texte où l’Ancien Testament hébreu était déjà utilisé.

3. On objecte enfin contre l’attribution du premier évangile à saint Matthieu, le caractère même de cet évangile. Est-il vraisemblable qu’un témoin oculaire ait écrit d’un style aussi schématique, en laissant de côté les détails concrets, les traits pris sur le vif, pour s’attacher presque uniquement à la portée doctrinale ou apologétique des faits qu’il rapporte ?

Il faut reconnaître que rien en effet dans la manière du premier évangile ne révèle le témoin oculaire. Mais cette constatation ne suffit pas à ébranler la force de la tradition en faveur de l’attribution à saint Matthieu, car, en dehors même de la considération de tempérament littéraire, le but visé par un écrivain commande sa manière, et, s’il se propose avant tout de mettre en lumière un enseignement, il pourra négliger dans son écrit les circonstances qui n’ont aucune signification doctrinale.

Insistera-t-on en disant qu’un récit de ce genre ne peut du moins avoir été la première forme de l’évangile ? Le P. Lagrange montre au contraire, op. cit., p. xxxviii-xxxix ; cxxix sq., que la préoccupation dominante chez les premiers prédicateurs de l’évangile ne dut pas être une préoccupation proprement historique, mais une préoccupation apologétique, et que les premiers essais de littérature évangélique durent être conçus en vue de la controverse avec les juifs, à qui s’adressait la première prédication chrétienne. « Or, apologie et controverse doctrinale, c’est le trait principal et particulier de l’évangile de saint Matthieu, trait qui en décide l’opportunité pour les premiers jours. »

Les critiques reconnaissent d’ailleurs eux-mêmes