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    1. MATTHIEU (SAINT)##


MATTHIEU (SAINT), ORIGINE DU PREMIER ÉVANGILE

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II. LU PREMIER KY AN Cl LE ET LA CRITIQUE. — C’est précisément à cette théorie des deux sources, présentée d’ailleurs sous des formes assez variées, que se rangent la plupart des critiques contemporains. En dehors des catholiques, et de quelques exégètes protestants, tels que Th. Zahn, on peut dire que l’accord est unanime entre les critiques sur les deux points suivants : notre premier évangile grec est une œuvre originale et non point la simple traduction d’un évangile araméen : il est postérieur à l’évangile de saint Marc qu’il utilise.

On admet généralement que le premier évangile actuel dépend de deux sources principales : du second évangile auquel sont empruntés la plupart des récits, et d’une autre source, désignée sous le nom de Logia ou de source Q (de l’allemand Quelle), d’où viennent les discours et sentences de Jésus. Le nom de Logia a été donné à cette source hypothétique, parce qu’on l’a longtemps identifiée avec les Xôyioi dont Papias attribue la rédaction à l’apôtre saint Matthieu. On n’est d’ailleurs pas d’accord sur le caractère de cette source, tel qu’il ressort du témoignage de Papias : les uns pensent que c’était un simple recueil de paroles du Sauveur ; d’autres supposent que les discours étaient accompagnés de quelques parties narratives, qui leur servaient de cadre ; les plus conservateurs estiment que les Logia constituaient déjà, un véritable évangile, qu’ils attribuent à saint Matthieu conformément à la tradition, et ils supposent que le nom de cet apôtre est resté attaché à notre premier évangile grec, parce que l’auteur inconnu de cet ouvrage en aurait emprunté la matière en grande partie à l’œuvre primitive de saint Matthieu, que saint Luc, de son côté, aurait utilisée d’une façon indépendante. D’ailleurs, un attache de moins en moins d’importance parmi les critiques libéraux au témoignage de Papias, et c’est surtout pour des raisons de critique interne qu’on admet l’existence d’un recueil de discours de Jésus qui aurait servi de source commune aux rédacteurs du premier et du troisième évangile. C’est précisément par la comparaison de ces deux évangiles que Harnack a essayé, après plusieurs autres, de reconstituer la source Q. Les critiques les plus radicaux n’admettent même pas que cette source ait un rapport quelconque avec saint Matthieu : d’après eux, c’est Minplement pour donner une autorité plus grande au premier évangile qu’on aurait imaginé de le présenter comme la traduction d’un évangile hébreu, écrit par l’apôtre Matthieu (supposition peu vraisemblable, notons-le, car on ne voit pas pourquoi on aurait choisi pour auteur d’un évangile un apôtre obscur comme saint Matthieu, si son nom n’avait été dès l’origine attaché à la composition d’un écrit de ce genre). Ils ne voient d’ailleurs dans le recueil de sentences évangéliques et l’évangile de saint Marc que les sources principales de notre premier évangile canonique, où seraient entrés bien d’autres éléments, et qui serait le résultat d’une compilation faite sans doute par étapes. Au lieu d’être le plus ancien des Synoptiques, l’évangile de saint Matthieu aurait des chances d’être le plus récent, et A. Loisy va jusqu’à déclarer qu’ « il ne paraît pas autrement certain qu’il ait acquis sa forme définitive dès le commencement du second siècle ».

Plusieurs critiques catholiques, sans abandonner la donnée traditionnelle qui fait de l’évangile de saint Matthieu le premier en date des Synoptiques, n’entendent cette priorité que de l’original araméen de cet évangile. Quelques-uns, adoptant l’idée générale de la théorie des deux sources, avaient admis que notre premier évangile actuel n’était pas une simple traduction du Matthieu araméen, mais le résultat d’une combinaison de celui-ci avec des récits empruntés à

l’évangile de saint Marc. Cette position ne s’accorde pas parfaitement avec la décision de la Commission biblique, d’après laquelle on doit tenir le premier évangile canonique pour une traduction, substantiellement fidèle à l’original, de l’évangile araméen de saint Matthieu. Rien néanmoins n’empêche d’admettre — et c’est l’hypothèse proposée en particulier par M. Sickenberger et le P. Lagrange — que la traduction grecque de l’évangile hébreu de saint Matthieu soit postérieure à l’évangile de saint Marc, et qu’elle en dépende pour la forme, et même, quant au fond, pour certains éléments dont l’addition ne modifie pas la substance du récit.

On n’a pas à entreprendre ici une discussion détaillée de ce problème littéraire, qui supposerait une étude d’ensemble sur la question synoptique, et qui sera abordée dans l’article Synoptiques. Il suffira de montrer que les objections opposées par les critiques à l’authenticité du premier évangile ne sont pas décisives, et qu’une hypothèse, telle que celle proposée par le P. Lagrange, tout en maintenant les données traditionnelles, rendsuffisammentcompte des faits établis par la critique interne, qu’il s’agisse des caractères particuliers de l’évangile de saint Matthieu, ou de ses rapports avec les deux autres synoptiques.

/II. LA COMPOSITION DJJ PREMIER ÉVANGILE D’APRÈS LES DONNÉES INTRINSÈQUES. — Il ne s’agit point de prouver par l’examen intrinsèque de notre premier évangile actuel qu’il a été rédigé dans les conditions supposées par la tradition ecclésiastique. Si l’unité littéraire que présente, on le verra, cet évangile, est incompatible avec une théorie de son origine qui en ferait une pure compilation, d’autres hypothèses proposées par certains critiques pourraient en effet rendre assez bien compte de sa composition. Mais ces hypothèses n’étant pas en accord avec le témoignage traditionnel ne sauraient être acceptées que si la critique interne rendait ce témoignage irrecevable, en constatant des faits en désaccord manifeste avec les données de la tradition. Pour maintenir au contraire la thèse traditionnelle sur l’origine du premier éyangile, il suffit de montrer que l’étude interne de cet évangile ne révèle rien qui s’oppose à son authenticité et à sa priorité (tout au moins dans sa forme araméenne) par rapport aux deux autres Synoptiques. Cette démonstration négative pourra être ensuite complétée par la mention de certains caractères du premier évangile qui, sans imposer la thèse traditionnelle, s’harmonisent particulièrement bien avec l’attribution de cet écrit à saint Matthieu.

1° Examen des objections, fondées sur la critique interne, contre l’authenticité du premier évangile. — 1. Preuves alléguées en faveur de la dépendance de l’évangile de saint Matthieu par rapport à celui de saint Marc. — a) Si l’on considère le choix et l’ordre des épisodes dans les deux premiers évangiles, on constate une ressemblance frappante, qui s’accuse surtout à partir du c. xiii de saint Matthieu, et qui est spécialement marquée dans les récils de la Passion. Cette ressemblance de fond est accentuée par la similitude d’expressions, parfois d’expressions peu courantes, dans les passages parallèles. On doit reconnaître, avec l’ensemble des critiques que cette double ressemblance ne peut s’expliquer simplement par la reproduction dans les deux évangiles d’une même catéchèse orale, et il faut admettre entre l’un et l’autre une certaine dépendance littéraire.

b) Cette dépendance étant supposée, on fait valoir en faveur de la priorité de Marc les considérations suivantes. Le second évangile, avec ses récits vivants, colorés, pleins de détails concrets, a une physionomie plus primitive et ne peut être considéré comme la