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MARONITE (ÉGLISE), LES MARONITES ET LE MONOTHÉLISME


leur séparation du patriarcat officiel d’Antioche. L’ancien usage reste encore en vigueur ; il a été maintenu dans les livres liturgiques des maronites, imprimés à Rome avec l’autorisation du Saint-Siège.

d) Les Annales d’Eutychès (Sa’îd Ibn Batrîq), patriarche d’Alexandrie (933-940), contiennent un passage relatif aux origines des maronites. En voici la traduction :

Au temps de Maurice, empereur des Romains (582-002), il y avait un moine nomme Maron, qui affirmait en Notre-Seigneur le Christ deux natures, une seule volonté, une seule (ipération et une personne et corrompait la toi des hommes. La plupart de ceux qui partagèrent sa doctrine et s’avouèrent ses disciples étaient de la ville de Hamah (Ematli), de Qennesriu et d’Al-’Awàsim… On appela ses adeptes et les partisans de sa doctrine maronites, du nom de Maron. A la mort de Maron, les habitants de Hamah construisirent un monastère à Hamah, l’appelèrent Daïr Maroun (couvent de Maron) et professèrent la croyance de Maron. Édit. Cheikho, i, Beyrouth, 190.">, p. 210, dans Corp. script, chris. orient.

(le passage d’Eutychè, dit le P. Vailhé, renferme de nombreuses inexactitudes. En effet, l’auteur semble confondre le moine Maron avec saint Maron le contemporain de saint Jean Chrysostome ; il fait ensuite bâtir au vue siècle le couvent Saint-Maron de l’Oronte, qui existait déjà au ve ; enfin, il attribue au règne de Maurice l’éclosion du monothélisme, hérésie qui vit le jour quelques années plus tard, en 616, sous le règne d’Héraclius, et qui ne tomba vraiment dans le domaine public qu’en 633 et 634. Toutes ces erreurs sont cause qu’on ne peut s’appuyer sur un pareil témoignage. » Op. cit., dans Échos d’Orient, 1906, t. ix, p. 266. Du reste, les Annales d’Eutychès sont trop mêlées d’inexactitudes et de lourdes méprises, pour qu’on puisse leur accorder une valeur réelle. Par conséquent, on ne saurait accepter le récit des événements dont il n’a pas été le témoin ». Cf. Karalevskij, dans le Dictionn. d’hist. et de géog., au mot Anlioche, col. 595. Par malheur, Eutychès a servi de source d’information à bon nombre d’écrivains postérieurs tels que Mas’oudi, op. cit., p. 154, Guillaume de Tyr (voir plus bas) et d’autres qui l’ont copié sans aucune précaution.

e) Un récit de Guillaume de Tyr continue de frapper les esprits en Orient comme en Occident :

Interea, dit-il, dura regnum pace, ut prsediximus, gauderet temporali (il s’agit de la trêve signée en 1180 par Saladin), natio quædam Syrorum in Phœnice provincia circa juga Libani juxta urbem Biblensium habitans, plurimam circa sui statum passa est mutationem. Nam cum per annos pœne cruingentos cujusdam Maronis hæresiarehae errorem fuissent secuti, ita ut ab eo dicerentur Maronitas, et ab Ecclesia fidelium sequestrati, seorsum sacramenta conficerent sua, divina inspiralione ad cor redeuntes, languore deposito, ad patriarcham antiochenum Aimericum, qui tertius Latinorum nunc eidem præest Ecclesiæ accesserunt ; et, abjurato errorc, quo diu periculose nimis detenti fuerant, ad unitatem Ecclesise catholicce reversi Mint, fidem orthodoxam suscipientes, parati Romanaa Ecclesiae traditiones cum omni veneratione amplecti et observare. Erat autem hujus populi turba non modica, sed quasi quadraginta millium dicebatur excedere quantitatem, qui per Bybliensem, Botriensem et Tripolitanum episcopatus juga Libani et montis devexa, ut pra>diximus, inhabitabant, erantque viri fortes, et in armis strenui, nostris, in majoribus negotiis, quae cum hostibus habebant frequentissime, valde utiles. L’nde et de eorum conversione ad fidei sinceritatem, maxima nostris accessit Iætitia. Maronis autem error et sequacium ejus est et fuit, sicut et sexta synodo legitur, qua ; contra eos collecta esse dignoscitur, et in qua damnationis sententiam pertulcrunt, quod in Domino nostro.Jcsu Christo una tantum sit, et fuerit ab initie, et ohm tas etoperatio. Cuiarticulo ab orthodoxorum Ecclesia reprobato multa alia perniciosa nimis, postquam a cœtu fidelium segregati sunt, adjecerunt ; super quibus omnibus ducti pœoitudine, ad Ecclesiam, ut pra-diximus.

redierunt catholicani una cum patriarcha suo et episcopis nonnullis, qui eos sicut prius in impielate proscesserant, ita ad vcrilatcin redeuntibus, pium ducatum præstiterunt. Historia, t. XXII, c. viii, P. L., t. cci, col. 855-856.

Les historiens qui, dans la suite, ont soutenu la thèse du monothélisme maronite, se sont tous appuyés sur le récit de l’archevêque de Tyr. Du vivant de Guillaume, un contemporain, disent-ils, les maronites ont abandonné l’hérésie pour faire retour à l’Église catholique ; c’est là un fait dont personne ne pourra nier ou contester l’authenticité.

Le témoignage de Guillaume de Tyr mérite donc d’être étudié de près. Mais, tout d’abord, qu’il nous soit permis d’appliquer à ce texte la réponse générale aux objections tirées des auteurs anciens. L’archevêque de Tyr n’eut pas l’idée d’examiner ies documents syriaques et arabes pour trouver le sens donné par les maronites à l’unité de volonté dans le Christ. Il dit lui-même dans sa préface :

In hac (Historia) vero, nullam aut Gra>cam, aut Arablcam habentes pra ? ducem scripturam, .solis traditionibus instructi, exceptis paucis quae ipsi oculata iide conspeximus, narrationis seriem ordinavimus, exordium sumentes ab exitu virorum fortium et Deo amabilium principum, qui a regnis occidentalibus, vocanle Domino, egressi, terram promissionis, et pêne universam Syriam in manu forti sibi vindicaverunt. Ibid., col. 212.

Le grand historien des croisades avoue lui-même, en propres termes, où il a puisé ses informations : il les a prises d’Eutychès d’Alexandrie : Secuti virum venerabilem Seith, filium Patricii, Alexandrihum patriarcham (Eutychès d’Alexandrie, connu sous le nom de Sa’îd Ibn Batrîq). Ibid., col. 212. S’il ne le disait pas, du reste, il serait facile de reconnaître, sous sa plume, les expressions mêmes que le patriarche d’Alexandrie consacre aux origines des maronites. Le témoignage de Guillaume de Tyr ne peut donc mériter plus de confiance que celui d’Eutychès.

De plus, dans les cas où l’archevêque de Tyr n’aurait pas dû dépendre d’Eutychès, son information n’est pas meilleure. Ainsi, il allègue le VIe concile. Or ce concile ne dit pas mot de Maron ou des maronites.

Mais alors comment expliquer le fait de cette conversion relatée par Guillaume comme étant survenue de son temps ? Tout d’abord, l’archevêque de Tyr ne dit pas qu’il en a été le témoin oculaire. N’ayant pas assisté à tous les événements qu’il raconte, il s’en rapporte très souvent à d’autres sources d’information. Ibid., col. 639.

La part des choses qu’il vit de ses propres yeux se réduit à peu : Solis traditionibus instructi, exceptis paucis quæ ipsi oculata fuie conspeximus, narrationis seriem ordinavimus. Ibid.. col. 212.

A elles seules, ces indications doivent déjà restreindre la portée et la valeur probante de ce témoignage. Mais, en passant le texte au crible d’une critique plus serrée, l’invraisemblance du récit apparaîtra d’une manière frappante. L’histoire a-t-elle jamais enregistré le fait d’une conversion de tout un peuple, fort attaché à ses traditions séculaires, sous la seule poussée d’une inspiration divine, sans le concours de causes secondaires ? Pourquoi cette conversion soudaine après plus de quatre-vingts ans d’étroites relations avec les Croisés ? Pourquoi cette conversion en pleine période de décadence pour le royaume latin ? Les Francs, dès leur arrivée, en 1099, au pays des maronites, entrèrent en contact avec ces derniers et trouvèrent en eux des conseillers sûrs et des guides avertis. C’esl Guillaume lui-même qui nous fournit ce renseignement, t. VII, c. XXI, col. 398-399. Les fidèles syriens du Monl-Libaii dont Guillaume vante les qualités au 1. Vil, c. xxi, étaient les maronites ; il les signale dans les mêmes termes, t. XXII, c. viii. Aussi, « de tous les indigènes