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MATIÈRE ET FORME, HISTOIRE DE LA DOCTRINE


que les Pères sont tentés d’appliquer une théorie identique au baptême et à l’eucharistie, malgré la nature si différente des deux sacrements. Ce sont les paroles de la consécration qui font du pain et du vin le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ. Les éléments nécessaires à la confection de l’eucharistie sont donc le pain, le vin et la formule de consécration. Celle doctrine du sacrement de l’eucharistie est assurément très juste ; elle ne l’est plus autant, lorsqu’elle est appliquée au baptême. Au lieu de dire, comme aujourd’hui, que le sacramentum du baptême consiste dans l’ablution accompagnée de la formule trinitaire, les auteurs, raisonnant par analogie à l’eucharistie, enseignent qu’il est constitué par l’eau et par la prière de « sanctification » de l’eau (c’est-à-dire par la bénédiction de l’eau baptismale)… La sanctification’de l’eau est ainsi considérée comme un élément du baptême, à peu près, proportion gardée, comme la prière consécratoire du pain et du vin l’est de l’eucharistie. » Pourrat, La théologie sacramentaire, Paris, 1907, p. 51. Voir, chez les Latins, Tertullien, De baptismo, n. 4, P. L., t. i, col. 1204 ; S. Cyprien, Epist., lxx, n. 1, 2, P. L., t. iii, col. 1037, 1040 ; S. Ambroise, De mysteriis, n. 14, 20 et l’auteur du De Sacramentis, t. I, n 18, P. L., t. xvi, col. 393, 394, 422. Des assertions de ces auteurs, on peut rapprocher les formules latines du Sacramentaire gélasien, P. L., t. lxxiv, col. 11101111. Parmi les Grecs, S. Grégoire de Nysse, Oral, in bapt. Christi, P. G., t. xlvi, col. 589 ; S. Basile le Grand, De Spiritn sancto, n. 66, P. G., t. xxxii, col. 188 ; S. Cyrille de Jérusalem, Cat., xxi (Mystag. iii), n. 3, P. G., t. xxxiii, col. 1089 ; dont il faut rapprocher les formules liturgiques de YEuchologe de Sérapion <iv siècle), n. 19, 25, 29, dans Funk, Didascalia et Constitutiones Apostolorum, Paderborn 1905, t. ii, p. 158 sq. ou des Constitutions apostoliques, t. VII, c. xliii, n. 5, ibid., t. i, p. 450. On trouvera l’exposé général de cette assimilation dans Tixeront, Histoire des dogmes, t. ii, pour les Pères grecs, p. 162-163 et pour les latins, p. 307-308.

Nous pensons que cette remarque fort juste n’infirme pas la valeur de l’argument traditionnel. D’une part, en effet, le mot sacramentum n’avait point encore, dans les premiers siècles, la signification très déterminée qu’il acquiert au Moyen Age ; d’autre part, les affirmations patristiques relatives à la sanctification de l’eau ou de l’huile par les paroles du sacramentum ne sauraient être interprétées comme si les paroles sanctificatrices appartenaient à ce que nous appelons aujourd’hui la forme du sacrement. Les Pères reconnaissent explicitement que « la vertu régénératrice et sanctificatrice (du baptême) s’exerce sur le baptisé, lorsque celui-ci est plongé (dans l’eau) au moment où le ministre prononce la formule trinitaire ». Pourrat, loc. cit. Voilà le point précis, où, en dépit des questions de mots, il faut savoir saisir la vérité qui s’affirme. Et cette vérité traditionnelle s’affirme chez les Pères avec d’autant plus de force, que les Pères sont unanimes à ne point considérer la bénédiction de l’eau comme indispensable, le baptême des cliniques, conféré en cas de nécessité, étant administré avec de l’eau ordinaire non bénite. Voir Baptême, t. ii, col. 18. Et si les Pères considèrent la bénédiction de l’huile comme nécessaire à la validité des sacrements de confirmation et d’extrême-onction, il ne s’ensuit pas que cette bénédiction appartienne à la forme du sacrement. Ils expriment une vérité aujourd’hui encore reçue dans l’enseignement catholique, et concernant la matière elle-même de ces sacrements.

4. L’argument de la tradition aux premiers siècles prend une force nouvelle si l’on se reporte aux textes liturgiques des ive et Ve siècles, qui contiennent déjà

les formules que le ministre devait prononcer en | administrant les divers sacrements. Bien que ces formules ne soient pas identiques partout, elles marquent cependant la vérité traditionnelle qui est à la base de l’hylémorphisme sacramentaire : l’élément matériel « choses », déterminé, précisé par l’élément formel, « paroles ». On consultera, sur ce point, les articles concernant respectivement chaque sacrement, soit ici, soit plus particulièrement dans le Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de Liturgie. Il suffit de retenir, dan cet aperçu général sur la matière et la forme des sacrements, que « les textes liturgiques les plus anciens que nous possédions mentionnent les formules qui accompagnent toujours le geste sacramentel, onction, imposition des mains, etc. » Pourrat, op. cit., p. 50, note. L’absence de documents liturgiques plus anciens nedoit en rien nous étonner. Les paroles si expressives de saint Basile, dans le De Spirilu sancto, loc. cit., nous rassurent complètement sur l’origine ancienne des rites sacramentaires : « Des dogmes et des enseignements conservés dan :  ; l’Église, les uns nous sont parvenus par le moyen d’une doctrine écrite ; les autres nous ont été transmis dans le secret par une traditon remontant aux apôtres ; les uns et les autres ont la même valeur pour notre piété. Et personne ne voudra s’insurger contre eux, personne, dis-je, qui possède quelque connaissance et quelque expérience des institutions ecclésiastiques. Si nous rejetions des pratiques, qui nous ont été transmises oralement, sous prétexte qu’elles ne sont point de grande importance, nous commettrions l’imprudence de blesser l’évangile en ce qu’il a d’essentiel, et nous réduirions notre prédication à n’être plus qu’un verbiage inutile… Ces paroles de l’invocation sur le pain eucharistique et le calice de bénédiction, quel saint nous les a laissées par écrit ? Et ici nous ne nous sommes pas contentés de ce que rappelle l’Apôtre ou l’Évangile (les simples paroles de la consécration), nous récitons, avant et après, bien d’autres formules, qui sont d’une grande importance pour le mystère, et que nous avons apprises par une tradition non écrite. Nous bénissons aussi l’eau du baptême et l’huile de l’onction ; bien plus nous bénissons -aussi celui qui reçoit le baptême. Quel écrit nous l’a appris ? N’est-ce pas d’une tradition tacite et secrète que nous tenons ces rites ? Et qui donc nous a, par un enseignement écrit, instruits de l’onction de l’huile ? Qui nous a appris la triple immersion du’catéchumène ? Et toutes les autres cérémonies du baptême, le renoncement à Satan et à ses anges, quelle écriture nous les a enseignées ? N’est-ce pas plutôt une doctrine cachée et secrète, que nous avons reçue de nos pères, qu’eux-mêmes ont conservée dans un silence exempt d’inquiétude et de curiosité, parce que précisément ils avaient appris à couvrir nos mystères sacrés du respect du silence ? De la même façon qu’ils avaient prescrit, dès le commencements de l’Église, l’emploi de certains rites, les apôtres, nos pères, ont prescrit de conserver à ces saints mystères leur dignité dans le secret et le silence. » On est donc fondé à faire remonter jusqu’aux apôtres et au Christ, du moins dans leurs lignes très générales, les rites sacramentels, comportant des choses déterminées par des paroles.

Saint Augustin.

Bien que la doctrine de saint

Augustin n’apporte pas à la théologie sacramentaire sa dernière perfection, et que le mot de sacrement lui-même soit fort loin d’avoir sous la plume du grand docteur la signification précise et uniforme qu’il possède aujourd’hui, un progrès remarquable s’y affirme dans l’analyse des éléments constitutifs de ce que nous appelons les sacrements. C’est à saint Augustin que les scolastiques rapportent la première formule didactique de la constitution des sacrements : Accedit verbum ad clementum, et fil sacramentum. Pour bien com-