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MATÉRIALISME ET MONISME, CRITIQUE DU MONISME


Usine ; tenons-nous ici à celles qui militent contre le monisme sous sa forme générale.

1° Le monisme est une hypothèse gratuite parce qu’il passe de l’ordre logique à l’ordre ontologique. — 1. L’unité substantielle des êtres, ou bien encore leur identité foncière de nature, et la tendance immanente au progrès universel, sont-elles une véritable généralisation de l’expérience, ou plutôt une simple vue de l’esprit, que favorisent la peur de l’idée de création et le problème du mal ? Voilà la question.

Il y a un monisme vrai, celui qui s’attache à ramener la multiplicité à l’unité, à trouver du haut en bas de l’échelle des êtres des analogies, des parentés ; il est le propre de toute philosophie des sciences. Je puis comprendre la constitution de la matière, même celle des étoiles, et une bonne partie de leurs lois, partout nous déchiffrons un ordre que nous ne créons pas en notre pensée — loin de nous ce nominalismel — mais que nous découvrons. Nous ne sommes pas un empire dans un empire : notre intelligence retrouve ses propres lois dans tout l’univers. Il y a des lois communes entre l’amibe et l’éléphant, par exemple, mais cela ne prouve rien contre leur essentielle diversité. La trompe de l’éléphant est « l’analogue » des pseudopodes de l’amibe ; mais leur identité de nature et leur commune ascendance dans l’effort universel de la vie ne s’ensuivent pas le moins du monde. Il n’y aurait que dans l’idéalisme subjectif que tous les êtres — purs produits de la pensée — confondraient leur nature. Il restera toujours : a) le passage de la matière à la vie, de la vie à la sensation, de celle-ci à la pensée et à la liberté ; b) la diversité des individus eux-mêmes dans l’espèce. L’unité ne doit pas faire oublier la multiplicité, et inversement. Le monisme paraît impressionné par une sorte de panthéisme que connurent les « réaux », au temps des disputes fameuses autour du problème des « universaux ». Il garde la secrète pensée de déduire le monde des lois générales de l’être, depuis celles du triangle jusqu’à celles qui fixent le nombre des étamines de la fleur du marronnier. Illusion ! Évidemment déduire, d’après la raison propter quid des choses est bien l’idéal de la science ; mais que de premières données de fait irrémédiablement obscures d’abord s’imposent ! Cf. Meyerson, De l’explication dans les sciences, 1920 ; O. Habert, Revue de philosophie, nov. 1921.

A la faveur d’un idéalisme abusif, le monisme passe spontanément de l’ordre des concepts à l’ordre réel pour les assimiler ; il identifie la nature avec nos classifications : embranchements, classes, familles, etc. En bref, il paraît transposer la parenté naturelle des êtres et leur apparition progressive, saisie en gros par l’esprit et répartie en rameaux divergents, en filiation d’un tronc unique : les êtres, en identité et en continuité de nature. Or il convient de rappeler l’adage thomiste : Universalia fundamentaliter in rébus, formaliter tantum in mente. Cf. Aristote, Metaphys., t. VII, c. i ; Vacherot surtout fut tenté par cette assimilation : La métaphysique et la science, t. ii, p. 608, 636. Parenté logique ne prouve pas continuité naturelle.

Reconnaissons que nous ne pouvons guère nous faire une idée de la nature des êtres qu’à travers notre moi et en fonction de celui-ci, dégradé ou amplifié à l’infini, quand il s’agit de Dieu ; pourtant, nous nous refusons à confondre analogie et identité foncière de nature et d’origine. Notre esprit, pour une part, s’est façonné au contact des choses : « le fil de l’analogie ne nous abandonne jamais », Fouillée, Esquisse, p. lxii ; cela ne peut nous conférer le droit de conclure à je ne sais quelles virtualités originelles d’où seraient sortis le monde et l’esprit qui garderaient ainsi l’empreinte commune du tout. N’y a-t-il pas un anthropomorphisme inconscient — reproche que nous retournons

donc — à imaginer le tout à la manière de la croissance d’un végétal ou d’un sentiment dans le subconscient ou l’inconscient ?

Qu’on ne nous oppose pas le soi-disant « morcelage » de notre « pluralisme ». En un sens tout est dépendance universelle dans le cosmos : l’enfant dépend du père, le nuage du soleil, tel naufrage et ses conséquences de la marée et celle-ci de la lune, etc. Mais le père et le fils, même le soleil et le nuage gardent leur individualité. Il est des individus et des personnes qui jamais ne coupent les fils qui les unissent au tout, mais qui cependant à leur manière circonscrivent

— réellement ou artificiellement selon les unités naturelles ou artificielles — la matière à tel lieu de l’espace ou à telle place dans le temps.

Rien n’est isolé dans l’ensemble ; mais qui prouvera que le clignement d’yeux d’un Parisien modifie la hauteur de la marée à Trouville ? « L’expérience nous montre entre les événements et les objets, des limites parfois flottantes et parfois nettes. Il y a dans le monde des séries entières de phénomènes qui se comportent entre elles comme des étrangères. » Tonquédec, Dictionn. apol., art. Miracle, t. iii, col. 532. Le coefficient de dilatation des corps ne varie pas avec les phases de la lune.

Durkheim a voulu voir dans l’emprise exercée par la société sur ses membres, puis l’emprise intérieure imaginée par les primitifs en forme d’esprits et enfin de Dieu, toute l’origine du monde mental : croyances, coutumes et rites. Mais c’est aller chercher bien loin. Chaque homme naturellement se sent flanqué d’un « double » et distingue sa pensée de son bras ; c’est la confiance spontanée dans un certain ordre moral, au contraire, qui a d’abord contribué à la soumission aux liens sociaux. Formes élémentaires de la vie religieuse, 1911, p. 519 ; Critique, dans O. Habert, L’école sociologique et les origines de la morale, 1923, p. 41 sq. Donc le dualisme de la matière et de la conscience tient à notre nature et non à une illusion sociale.

Selon Eug. de Roberty (1843-1915), Dieu soi disant cause du monde ne serait autre chose que le monde même et l’homme, avec en plus la négation de leur caractère fini ; l’esprit serait un pur concept très épuré de la matière, et le mal un moindre bien, la condition même de celui-ci, Recherche de l’unité, 1893 ; Le bien et le mal, 1896, § 19. C’est rester dupe de l’empirisme et de notre imagerie mentale. Notre conception de l’immatériel et de Dieu, par la méthode de négation et d’amplification, ne nous laisse plus dans le sensible. Dieu est bien pour tout spiritualiste l’Être transcendant. Notre unité dynamique, nous la saisissons dans l’expérience même de la vie intérieure ; elle n’est pas un simple concept abstrait dont nous serions victimes. La pensée déborde l’image et commande à la matière.

Le monisme est une hypothèse fausse.

Au nom

des sciences inductives on ne peut conclure à l’évolutionnisme radical : que de chaînons manquent qui seraient nécessaires ! D’ailleurs la loi qui exprime le développement de l’homogène à l’hétérogène a pour corrélatif la loi inverse, comme l’a prouvé M. A. Lalande, La Dissolution opposée à l’Évolution, 1899. Les énergies physiques tendent, en effet, vers une, chaleur uniforme ; la pensée critique et la mode corrodent les instincts divers pour les assimiler à des coutumes et des croyances générales ; les individus entrent en des groupes de plus en plus universels ; à la limite ce serait le retour à l’unité des consciences en Dieu leur Père commun. Le surhomme même travaille à une société future de surhommes.

Poussons plus métaphysiquement l’analyse. Le monisme aboutit à faire du monde changeant l’être éternel et par soi ; du devenir, du tréfonds de la vie,