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MATÉRIALISME ET MONISME, CRITIQUE DU MONISME


de fictions utiles, ou de « décrets ». Cf. aussi : Meyerson Identité et réalité. 1907 ; De l’explication dans les sciences, 2 vol., 1921 ; Brunschwicg, Les étapes de la philosophie mathématique, 1907 ; L. Rougier, La structure des théories déductives, 1921, qui sont dans le même sens. Ainsi. Socrate est mortel, parce que nous avons construit les concepts commodes et— rapport ables : homme, mortalité et Socrate. Au lieu de ces fictions, on nous invite à revivre la genèse des choses et celle de Pinteligence. sous la poussée intérieure et formidable de la vie universelle (p. 28).

Mais quelle sécurité nous reste, si nous dédaignons Us concepts qui sont nos instruments d’analyse et d’entente entre nous ? Bergson, pour élaborer et exposer son système, a dû s’en servir. N’y a-t-il pas cercle vicieux puisque, bon gré mal gré, écrit Parodi (p. 333), celui-ci ne saurait éviter d’être une œuvre d’intelligence. La pensée surgit de l’existence même et d’ailleurs l’existence s’y plie : c’est donc que la nature contient de l’ordre, qu’il y a des parentés, qu’il y a possibilité de ramener, en la pensée, le multiple à l’un, même dans la conscience qui dure et qui croît, où il n’y a pas une poussière d’impressions, mais des états capables de rentrer en des catégories. Dwelshauvers, La psychologie contemporaine, 1920, p. 219. A la vérité tout est actif, mais on ne peut définir les êtres simplement en termes d’action. Le thomisme répugne, lui aussi, à l’immobilisme ; il entend bien maintenir qu’il est des changements réels, du nouveau, à chaque instant dans le monde. Mais comment concevoir que « le changement n’a pas besoin d’un support, que le mouvement n’implique pas un mobile », Bergson, Conf. d’Oxford, p. 24, que la science n’a jamais affaire qu’à la mobilité… qu’il n’y a que des actions toujours imprévisibles ? L’év. créât., p. 270, 325. N’est-ce pas mettre l’expérience sensible au-dessus de la raison, comme déjà écrivait Aristote contre Heraclite ? Metaphys. , t. II, c. iv ; t. III, c. v ; t. XII, c. ix ; en appeler aux charmes de je ne sais quelle mélodie intérieure, et faire l’apologie de l’instinct qui se crée des croyances connaturelles ?

Que devient la personnalité dans ce phénoménisme où l’on nous la présente comme un dynamisme original et toujours fuyant ? Quelle est donc la raison de son centre et de son rythme à elle, de sa permanente continuité ? Évol. créai., p. 209, 338.

La liberté, que Bergson affranchit du mécanisme, semble bien revenir à la simple spontanéité (liberlas a coaclione). Alors le passionné emporté par l’attrait qui charme entièrement son moi serait l’homme le plus libre ?… Essai sur les données immédiates, p. 130.

.Vous ne prétendons pas ramener la finalité naturelle chez les vivants à l’art du constructeur de machines ; le secret de cette finalité nous échappe ; qui jamais pourra l’analyser, la « nommer » ? Chaque être jouit d’un appétit naturel qui le porte vers son bien, et en définitife : Omnia appelunt divinam simililudinem quasi ultimum finem, à leur manière. Dieu les a pourvus de formes substantielles qui font leur unité spécifique. II y a beaucoup d’imagination en cet élan bergsonien de la vie, par exemple, vers la fonction visuelle, qui façonnerait de loin la dure et routinière matière, en organe sensible à la lumière.

Evidemment il n’y a pas lieu de se demander pourquoi l’Être est, mais seulement : cet être qu’est le monde mobile est-il l’Être par soi ? « Cette question est primordiale et inéluctable. Elle n’implique pas du tout que le néant soit avant l’être, mais seulement qu’il n’est pas vrai qu’en tout être, l’existence soit contenue dans l’essence. » J. Maritain, Rev. de phil., oct. 1911, p. 498.

Bergson a trop vu dans l’intelligence cette méthode moderne, décrite plus haut, séduite par la quantité ;

en réalité l’intelligence doit savoir concilier le divers et le semblable ; le singulier et l’universel : l’existant est riche de potentialités rationnelles que notre pensée découvre sans faux artifice : des lois fondées et non calquées sur le réel.

Pourquoi aussi nous en tenir à ce que l’expérience nous livre Aie et nunc ? L’homme, en ses pensées et ses amours, est en quelque sorte « polarisé ». Comprendre et aimer du point de vue de l’universel, voilà bien la direction vers laquelle l’a lancé la nature, c’est-à-dire l’Être absolu dont elle dépend.

La littérature bergsonienne est immense. Cf. surtout : Ed. Ce Roy, Une philosophie nouvelle, 1912, très bergsonien ; René Gillouin, La philosophie de IL Bergson ; J. Maritain, en mai-juin 1913, a fait la critique de Bergson à l’Institut catholique de Paris, conférences réunies en volume, La philos, bergsonienne, 2° éd., 1924. Il a bien marqué l’originalité de l’intelligence, faculté de l’être, d’un autre ordre que l’image, la puissance de choisir parmi des biens particuliers qu’est la liberté, la difficulté pour le bergsonisme de rendre raison de la personnalité, de la distinction de Dieu et du monde et de la création ex nihilo. Jacob, dans la Revue de métaphysique ei de morale, mars 1898, accuse cette philosophie impressionniste « de renverser la législation de l’entendement dont elle ne prouve pas qu’elle puisse se passer » (p. 20f), et de ne pas respecter la nature de l’acte libre. Mêmes critiques chez Pénido, La méthode intuitive de M. Bergson, 1918, p. 5 ; Farges", La l>liilosophie de H. Bergson (Bonne Presse) ; J. Grivet, art. Évolution créatrice, dans le Dict. apologétique, t. i ; Garrigou-Cagrange, Le sens commun, 1922, 3e édit., p. 230 sq. : « Le panthéisme évolutionniste chez M. Bergson ».

9. Le « panlibidinisme » de Freud qui s’apparente à « l’élan vital » et au « génie de l’espèce », devient chez quelques-uns de ses disciples, une sorte de métaphysique vitaliste. Le médecin Mœder de Zurich appelle de ses vœux une humanité instinctive et croyante, comme au Moyen Age, par simple besoin du —cœur, en vue de compenser le rationalisme artificiel de notre temps. L’amour serait aussi une des manifestations fondamentales du besoin de se fondre dans le tout, et la Rédemption un symbole sublime de renoncement au moi individuel pour devenir une part vivante du Cosmos plus harmonieux en ses vouloirs. La libido dériverait du plasma germiiiatif immortel : on "se rapproche de Bergson. L’individualité est appelée à rejoindre l’océan de l’être d’où elle est sortie pour s’y perdre à nouveau. Déjà dans l’amour elle s’oublie en un autre ; s’oublier tout à fait dans l’extase, tel serait le souverain bien de l’âme. On devine ici une philosophie biologique qui paraît transposer le néoplatonisme selon les vœux du cœur. LJne pédagogie de la libido serait ainsi chose capitale pour le bonheur des individus : la modérer, la sublimer dans le culte de l’art, par exemple, ou de la fraternité, libérer certains refoulements devinés comme facteurs des troubles mentaux, etc. Cf. Mœder, Guérison et évolution dans la vie de l’âme, 1918. Cf. Régis et Hesnard, La psychoanalyse, 2e édit., 1922, p. 189.

L’hypothèse de l’évolution générale des êtres vivants est devenue de notre temps une sorte de clé universelle ; la catégorie vie a remplacé celle déraison et celle de science, en grande partie ; souvent elle se fusionne avec le point de vue social et parfois même cosmique. On ne s’étonne pas outre mesure quc plusieurs aient cru entrevoir chez des penseurs et des artistes généreux comme E..M. de Vogué, Heures d’histoire ; Images romaines, 1892 et M. Barrés, Grande pitié des églises de France ; Enquête aux pays du Levant. une sorte de naturalisme élevé où le divin serait immanent à l’univers ; beaucoup de romantiques, laissent une impression analogue.

V. Critique nu monisme.

Contre cette doctrine portent déjà bien des rafsons opposées au matéria-