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323 MATÉRIALISME ET MONISME, LE MONISME PSYCHOLOGIQUE 324

et sourd ! … Dans ces trois exemples, il est une unité spéciale, une synthèse active originale que l’on ne peut déduire d’un simple groupement d’éléments. L’analyse reste impuissante pour expliquer la vie, la conscience et l’esprit humain ; ce sont trois données qui ne peuvent que commencer d’emblée. Le progrès dans l’univers ne peut être contesté. Mais prêter à la nature des instincts dont elle serait la source première, des tendances au progrès, des facultés poétiques, n’est-ce pas simplement poser un fait obscur sans lui chercher une raison suffisante ? L’histoire, dont les secrets ressorts sont des événements psychologiques, ne peut que les observer dans un individu, qui, lui, leur donne une physionomie à part, une cpntinuité, une unité qui ne sauraient se passer de métaphysique ; chacun, en effet, en rattachant à son passé, les faits de son histoire, dépasse le point de vue des phénomènes et du devenir pour celui d’un sujet qui dure ou substantiel. Que penseraient des valeurs morales les civilisations, si elles n’y voyaient plus que l’image embellie de leurs désirs ? une source de lyrisme et d’enchantement, un « alcool » supérieur ?… On ne peut indéfiniment préférer la chasse à la prise et cultiver la vie spirituelle sans y croire.

4. Très éloigné du dilettantisme, au contraire, et confiant dans l’intelligence, hors de laquelle, il n’y a que la nuit « belle, mais peu sûre », Alfred Fouillée (1838-1912) a consacré sa carrière de philosophe à repenser l’évolutionnisme spencérien, trop mécaniste, du point de vue psychologique ; il espérait formuler ainsi un évolutionnisme vraiment moniste, un système naturaliste unitaire, dont les fondements seraient à la fois immanents et expérimentaux. L’c’volu’ionnisme des idées-forces, 1890, p. v

En effet, H. Spencer laisse subsister trois termes irréductibles : la matière, l’esprit et l’inconnaissable ; ne pourrait-on, au contraire, expliquer l’univers par un ensemble d’éléments dont le caractère foncier est « l’appétit », tendance active vers leur bien (p. 298), et l’effort dans l’homme pour se libérer des chaînes de 1 égoisme, par la conscience de ce qui convient à son espèce ? On a trop confondu loi avec cause, raisons. Un corps tombe selon la loi de la gravitation, mais en rasion d’énergies, de poussées intérieures, p. Lin. La mécanique ne nous offre que des cadavres infinitésimaux. Notre unique possibilité de connaître le monde consiste à partir de nous mêmes, seule réalité atteinte directement, pour l’imaginer d’après ce modèle ; c’est ainsi qu’une équation inévitablement humaine marque toutes nos conceptions : mais il faut s’y résigner ou ne rien savoir, p. lxxii. Le mécanisme ne voit que les jeux de surface des êtres, tandis que l’effort pour garder l’être et pour l’accroître nous en livre le fond, qui en son intimité est psychique. Esquisse d’une interprétation du monde, 1913, p. 153. Ne parlons donc plus d’idées-rellets, mais de conscience dynamique consubstantielle à la matière ; la cosmologie est aussi une psychologie quand on veut retrouver l’étoffe primitive dans laquelle les choses ont été taillées. Plus d’hiatus comme chez Spencer. « Les éléments psychiques ont existé dès le début sous une forme rudimentaire ; l’évolution ne fait que les rendre plus manifestes. » L’évolutionnisme…, p. 279. Sans doute la réalité n’est pas identique à notre pensée, mais cette réalité ne saurait non plus se passer de tout élément psychique. P. 278.

Tout essai de déduire -la pensée du mouvement a échoué ; la création ex nihilo est impensable ; le mental, c’est la réalité intérieure qui parvient à se rendre présente à elle-même, le physique la prolonge et la réalise extérieurement. Dans l’univers tout est en relation mécanique, mais aussi sympathique probablement ;

toutes choses sont » conspirantes parce que parentes. Au siècle futur, au lieu de dire : le psychique est l’ombre du physique, on dira : le physique est l’ombre du mental, bien qu’ils soient la même réalité envisagée à deux points de vue différents. L’avenir de la métaphysique, 1889, p. 77 ; cf. G. Delmas, dans Éludes, mars 1891.

Chaque être baigne dans le tout et en dépend. La réalité est infinie, infiniment infinie ; mais en quoi cette infinité l’empêche-t-elle d’être en même temps une, cohérente, solidaire en l’infinité de ses parties ? Non, sans doute, elle n’a pas d’armature logique pour la soutenir comme du dehors ; mais elle a une armature causale, ou plutôt elle n’a aucun besoin d’armature, étant la causalité infinie et réciproque, partout causante et causée. Par cela même, elle a sa rationalité immanente, son intelligibilité infinie qui déborde toute intelligence finie. » Esquisse, p. 209. La philosophie cherche l’être intérieur des choses ; elle se « représente le monde entier comme analogue à la vie consciente ou subconsciente ». Ibid., p. 212. En chaque être particulier se retrouve quelque chose du tout qui le conditionne selon l’interdépendance universelle.

Notre imagination voudrait un premier commencement pour s’y reposer, une limite à la division, un premier anneau aux séries causales (ou le libre arbitre d’indifférence), une substance inconditionnelle source de toutes choses ; mais notre raison s’y refuse ; point de source à un océan infini, point d’arrêt, mais des causes causantes et causées sans fin. Ibid., p. 189. De l’évolution nous ne possédons que quelques chaînons, mais ils sont assez nombreux cependant pour exclure le hasard et fixer la courbe en ses grandes lignes, p. 261, et nous sommes sûrs qu’elle obéit à l’intelligence, puisque la nôtre s’y retrouve. « L’intelligence est l’unité profonde des fonctions essentielles de l’intelligence et de celles de la réalité. » P. 276. Le désordre même est une autre espèce d’ordre ; même les apparences, comme la brisure du bâton dans l’eau, obéissent aux lois de causalité. Si le tout dépasse, notre raison en chaque être et chaque fait, c’est que nous sommes simple partie de ce tout. P 297. Mais penser consiste pourtant, autant que possible, à unifier. La moralité consiste à s’insérer dans le déterminisme, à l’employer pour le dépasser, grâce à l’attrayant dyna= misme de l’idée-force du bien universel humain. P. 356. Si le monde avait commencé, à ce moment la Cause première aurait aussi commencé à le créer, ce qui serait contradictoire.

Les religions positives représenteraient une métaphysique mythique, ritualiste et dogmatique ! la philosophie les muerait en symboles. Ainsi la parole de Jésus : « Que ton règne arrive ! » devient : que la vertu, le bien, la charité soient ! Le philosophe prononce de tout cœur ce vœu’- avec l’espoir que la lumière intellectuelle se propagera à l’infini ». P. 411. Le fond de l’être nous échappe : il est permis d’espérer. Qui sait s’il n’est pas des formes de vie bien supérieures à celle-ci ? p. 403. Il semble donc qu’au soir de son existence (1911) Alfred Fouillée ait envisagé l’univers, dont nous sommes les fils, comme emporté par un déterminisme de plus en plus conscient et de plus en plus soumis à l’attrait du bien universel, grâce aux vertus des saints et aux lumières des sages, donc un déterminisme qui se dépasse constamment pour tendre vers l’unité des intelligences et des volontés.

Telle est probablement la forme la plus philosophique du monisme chez nos contemporains. (Nues analogues chez A. Loisy, De la discipline intellectuelle, 1919, p. 44 sq., 116.) Chez un penseur aussi averti, il se présente comme un syncrétisme, un essai de conciliation de la science et des principaux systèmes métaphysiques pour retrouver la réalité en sa plénitude.