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321 MATÉRIALISME ET MONISME, LE MONISME PS YC IIOLOGIOUE 322

créations, non pas comme une cause étrangère et extérieure au monde, mais en ce sens qu’il garde toute sa fécondité, toute son activité, tout son être après toutes les œuvres qu’il crée sans les faire sortir de son sein. Il en reste distinct en demeurant au fond de tout ce qui passe. » P. 308. En 1894 et en 1895, il consigne ses ultima verba sur des billets de faire part. Ii voit dans le christianisme de magnifiques symboles humains, « la théologie n’est qu’une psychologie supérieure » ; la philosophie aurait pour rôle de les repenser, en fusionnant l’âme même des diverses Églises pour la sublimer. Ollé-Laprune, Et. Vacherot, 1898, p. 87 sq. Voici à l’horizon le protestantisme libéral avec son symbolo-fidéisme.

Pourquoi ce penseur généreux n’a-t-il pu s’empêcher d’imaginer l’existence et la personnalité sur le modèle des êtres finis’? Ibid., p. 99. Comme l’observait Caro : « La question est de savoir s’il n’y a vraiment d’existence et de réalité possibles que sous la forme que l’expérience nous révèle. » L’idée de Dieu et ses nouveaux critiques, 1883, p. 255.

Sans doute quand nous parlons de Dieu, force nous est de parler la langue des hommes ; pourtant autre chose est le Dieu indéterminé des panthéistes et autre chose le Dieu ineffable dont je renonce à mesurer les perfections. Le considérer comme une sorte d’homme très puissant et très bon, ce peut être une naïveté populaire, ce n’est point une connaissance qui respecte son essence : Vere tu es Deus abscondilus. En faire la force aveugle de la nature, c’est l’assimiler à la pierre qui roule et à l’eau qui coule ; l’imaginer comme une vie instinctive et inconsciente, c’est le rapprocher de la plante. « De tous les symboles par lesquels on peut essayer de le représenter, l’âme humaine est certainement celui qui s’éloigne le moins de ce divin modèle ; mais elle n’en est qu’une ombre, et ce n’est que par des à peu près que nous pouvons conclure de nous à Lui… Quel miracle que l’Etre absolu et subsistant par soi-même soit incapable d’atteindre la perfection, et qu’un des phénomènes passagers dans lequel cet absolu se manifeste soit capable de se créer à soi-même l’idée de perfection ! … Quel triste ciel que ce ciel qui ne vit qu’en nous, qui naît et qui meurt avec nous et dont le seul lieu est la pensée ! » P. Janet, La crise philosophique, 1865, p. 173 et 150.

L’être n’est pas univoque entre l’Absolu et les créatures. Qu’est-ce à dire ? sinon que l’Absolu a en Luimême tout ce qu’il faut pour exister, qu’il contient en Lui seul la source de l’être, en un mot que Lui seul est l’Être par soi. Déplus, nous ne sommes pas dualistes : grâce à Lui — et non en face de Lui et sur le même plan — nous participons à l’être : « In eo vivimus, movemur et sumus » Act, xvii, 28. Il possède donc la réalité en sa plénitude indéfectible. Qu’est-ce à dire ? sinon la perfection coexistensive à l’être total. Pourquoi d’ailleurs le limiter à tel degré ? Tel hégélien alors sera tenté de le faire partir d’un presque rien riche de virtualités. Et ce serait là le principe de tout ?… Comment concevoir que l’idée agisse sur une nature qui l’ignore ? Qu’on essaye de concevoir une monère stimulée à se développer par l’idée de vertébré qui n’existe pas même encore ! … La personnalité de Dieu ne s’oppose pas au reste de l’univers, comme nous au non-moi. « Il est ce qui fait qu’il y a des personnes, ce qui fait que les êtres finis en participant à Lui, ont et deviendront des personnes. » Il est le Bien personnel, jouissant de Lui-même dans une conscience infinie, qui gouverne le monde habituellement par des lois générales conformes à sa sagesse. P. Janet, Principes de métaphysique, 1897, t. ii, p. 121. Si la création est mystérieuse, La métaphysique et la science, t. ii, p. 594, pourquoi la rejeter comme indigne d’un penseur ? Dans tous les systèmes, celui de Vacherot,

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comme les autres, le rapport et le passage de l’Absolu au relatif, de l’Infini au fini reste mystérieux.

3. Autant que le souple esprit de Renan (1823-1892) peut avoir professé un système, on a pu appeler celui-ci un positivisme artiste ou féminin, beaucoup plus qu’un hégélianisme. Hegel est dogmatiste, il croit à la soumission des faits à l’idée, Renan est relativisle ; pour lui nos opinions métaphysiques et religieuses dépendent d’abord de notre constitution, surtout mentale, et de l’état général de la civilisation ? Malgré toutes nos sciences, nous ne pourrions jamais atteindre que l’humain, c’est-à-dire le produit de notre pensée, quand elle réagit sur la grande énigme qu’est l’univers (semi-idéalisme inconséquent).

Les sciences positives et l’histoire restent les deux disciplines qui nous permettent le mieux d’approcher, encore à notre mesure, du fond des choses. Que nous disent-elles ? Un monisme fort voisin de celui de Vacherot dans La métaphysique et la science. L’univers obéit à des lois invariables et l’on n’a jamais constaté de dérogation à ces lois. Aucune trace de volonté particulière ou d’une intention, en dehors de celles qui proviennent de l’intelligence des hommes. Avec le temps et la tendance au progrès, nous possédons humainement la clé de l’explication de l’univers. Une sorte de ressort interne poussant tout à la vie, voilà la grande hypothèse nécessaire. Il y a une conscience obscure de l’univers, une pensée centrale qui se forme progressivement et dont le devenir n’a pas de limites. Le seul instrument de nos connaissances est la science inductive. L’historien lui emprunte ses procédés analytiques et le principe des conditions d’existence. Tout est illusion ou vanité en dehors du trésor de vérités ainsi acquises et qui sans cesse s’accroît. L’avenir de l’humanité est dans le progrès par la science. Cf. L’avenir, de la science, écrit en 1848, publié en 1890.

Les religions appartiendraient à la période mythopoétique de l’humanité ; elles révéleraient, non le fond des choses, mais les désirs et les rêves humains capables de nous soulever de terre et d’apaiser entre eux les égo’; smes ; ce sont des créations du vouloirvivre, comme l’art d’ailleurs, si propre à nous communiquer l’élan nécessaire à la vie (pragmatisme). Les philosophies tiennent à la fois de la science et de l’art : elles sublimisent les symboles religieux et satisfont l’esprit à la recherche de vues générales sur le monde. Tels sont les points /ixes que Renan maintint toujours dans le « devenir »

La nature paraîtrait une sorte d’artiste qui agit par inspiration et sans aucune science. La conscience serait l’harmonie résultant du jeu de certains groupements à.f molécules ; de la nébuleuse à la civilisation il y auiait continuité. Le Dieu réel, on pourrait le voir diffusé, éparpillé dans l’univers, comme son élan consubstantiel, le Dieu parfait appartiendrait à la pensée, à la catégorie de l’idéal. Après la mort, nous pouvons espérer survivre dans le souvenir de nos amis et dans l’élan renforcé vers le vrai et vers le bien de l’humanité fComti’sme’i.

Ce ne peut être qu’en vertu d’une hypothèse chérie que Renan franchit les trois impasses capitales pour l’évolutionnisme : le passage de la matière brute à la vie, puis à la conscience, enfin à la pensée. Rien ne prouve la pure et simple continuité des êtres, sinon l’horreur du miracle et la foi dans le déterminisme naturel. Où trouver dans ce monisme, parti de la nébuleuse primitive, l’explication de l’unité de l’individu, de la conscience et de la pensée ? Comment serions-nous despersonnes, des centres d’initiative ? Comment rapporter l’ordre du monde au jeu de forces aveugles ? Une cellule vivante, l’âme de Vincent de Paul, l’esprit de Pasteur seraient le produit de je ne sais quel « nisus » immanent, aveugle

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