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319 MATÉRIALISME ET MONISME, LE MONISME PSYCHOLOGIQUE 320

pècc, cette finalité ? Ici, nous allons enfin saisir le secret du progrès des choses et des civilisations, la clé de notre destinée. Toute action a été suivie de réaction ; celle-ci a été plus volontiers répétée parce que plus facile ; or les réactions utiles à la conservation de chaque individualité ont été conservées par elle : sous peine de disparition, la sélection naturelle les a fixées et ces êtres mieux favorisés avec elles. L’irritabilité est la propriété essentielle des êtres organisés, or elle s’est ainsi trouvée canalisée par la force mécanique des choses. « L’option chimique due à la présence d’agents de triage peut en principe être une option de hasard dont les effets sont tributaires du calcul des probabilités ; mais elle devient fatalement dirigée dans le sens de l’utilité individuelle et spécifiquepar l’entrée en scène de la sélection naturelle. » P. 174. « L’accouplement entre l’action et la réaction est d’autant plus serré… que la réponse est plus utile à la vie. » P. 196. La mémoire du chemin parcouru devient « facilité » de la répétition du déjà fait…, ailleurs atavisme, hérédité. » P. 207. « Ainsi l’option de hasard devient fatalement une option systématisée, puis une option imposée comme une loi. » V. 221. Ainsi s’expliquerait la sécrétion en notre corps des bactériolysines et des antitoxines si utilement gardée. L’homme, placé au sommet de l’échelle des êtres, jouit de la capacité d’apprécier le caractère égoïste de ses actions et de leur préférer librement (p. 265) celles qui favorisent la vie familiale et sociale. L’idéal moral et la bienfaisance sont ainsi des options naturelles fixées par la civilisation. Quelle vue magnifique, s’écrie l’auteur, que cette évolution générale des êtres, vers l’ordre social 1 Enseignons donc aux enfants à mettre leur joie à collaborer avec elle jusqu’au sacrifice, à respecter les grandes lois de la vie, si méconnues par les utopies socialistes. La biologie s’est ici muée en théologie : In ea (natura) vivimus, movemur et sumus.

Que de postulats cachés dans cet exposé où l’imagination se farcit de considérations scientifiques ! Continuité de nature de l’atome à l’homme, finalité expliquée par des myriades d’essais dus au hasard, unité de l’atome, unité de l’organe, unité du vivant posées sans raison proportionnée, liberté inexplicable comme initiative, selon le déterminisme biologique, loi morale assimilée à une simple résultante d’essais retenus pour leurs services, à un faitjcomme un autre : voilà le bilan de ce monisme. Tous les clichés de l’école sensualiste et utilitaire, fusionnés avec la sélection darwinienne inspirent l’auteur, qui, en somme, apporte peu de nouveau. La nature physique a ses habitudes et le vivant les emploie en les pliant à ses propres fins ; mais le hasard ne peut rendre compte d’un tel ordre universel. L’intelligence ne nous serait-elle donnée que pour nous annoncer notre néant 1 et aussi « la mort, un jour, de tout l’univers dans l’éternel repos des éléments » ? Peut-être que la science future apportera « quelque baume consolateur à notre angoisse du doute » (p. 276). Et après de telles paroles de désespérance, on a beau enfler la voix pour nous enseigner à vénérer les lois de la nature, chacun se souvient des vers de Vigny dans La maison du Berger :

On nie dit une mère, et je suis une tombe.

Mon hiver prend vos morts comme son hécatombe,

Mon printemps ne sent pas vos adorations.

Le Monisme psychologique.

1. Des phénoménistes

idéalistes comme African Spir (1837-1890) et Jean— Jacques Gourd (1850-1909) sont monistes en ce sens que rien n’existerait que nos pensées ; quant à Dieu, il serait cette pensée qui échappe à toute loi, à toute condition, à laquelle nous sommes portés à tout suspendre, comme au centre lumineux et idéal qui systématise nos espoirs et nos consolations.

Louis Lavelle, La dialectique du monde sensible, 1921, paraît corriger Bergson par Lachelier et Fichte. c Le monde extérieur n’est qu’un faisceau de représentations » (n° 26, 72), données dans l’espace et le temps, avec le mouvement et les autres qualités sensibles. L’esprit saisit parmi ces données des rapports et il existe alors pour lui ; l’âme lutte contre certaines d’entre elles qu’elle appelle son corps, par exemple, dans la tempérance ; Dieu, c’est l’intelligence pure : dans la contemplation intellectuelle, l’âme unie à Lui, comprend en Lui toutes choses (n° 259). Toute réalité serait d’ordre mental et purement dans le présent (phénoménisme) (n° 476).

L’italien Robert Ardigo (né en 1828) s’arrête à nos états de pensée, comme à l’ultime élément que nous puissions connaître : comment sortir de soi en effet ? La nature même de cette étoffe mentale nous échappe ; chacun la détermine pour soi à tel moment de l’espace et de la durée. Forme même du moi, le non-moi s’offre comme un système de représentations qui s’associent, mais leur commun tréfonds reste inconnu. Toute distinction, toute relation ne nous offre que nos deux points de vue, physique et psychique. La science positive est limitée aux lois des phénomènes de conscience. Cf. Psychologie comme science positive.

Le professeur de Naples, A. Alliotta, paraît se rattacher à Ardigo. Seuls existeraient les esprits, éternels, en transformation morale perpétuelle. Notre destinée consiste en la suprématie de la pensée sur le donné psycho-physiologique et dans l’accord entre les esprits. Tout dépend de nos volontés. La mort est une renaissance de plus en plus élevée, selon la vie antérieurement vécue ; « c’est de nos efforts que la réalité attend sa perfection. » L’éternité des esprits, 1924, p. 87, 97, 133, 145, 172.

2. Un noble idéalisme inspira aussi Etienne Vacherot (1809-1897) mais, avec lui, nous quittons le subjectivisme. Ce penseur maudit l’athéisme ; cependant malgré de réels progrès vers le concept d’un Dieu transcendant, souvent il oscille entre le panthéisme et le monisme.

Il écrit dans l’Histoire critique de l’École d’Alexandrie’, en 1846 : « Il est tout aussi impossible de concevoir Dieu sans le monde que le monde sans Dieu. » T. iii, p. 292. Cependant, tandis que pour Plotin le monde est une chute, une dégradation à l’égard de l’Unique primordial et absolu, pour Vacherot il nous offre au contraire « un progrès continu de la nature à l’esprit ». Ibid., p. 328. Dans La métaphysique et la science (1859), il oppose réalité à perfection. Déjà Hamilton et Mansel, en Angleterre, avaient signalé le caractère impensable de Dieu ; la foi seule pourrait atteindre cet « Inconnaissable ». Pour Vacherot, la perfection est, par essence, incompatible avec l’existence : elle reste toujours de l’ordre idéal, comme, par exemple, la géométrie, la sainteté et la justice pures. Telle figure, comme tel sage seront toujours imparfaits. Le Dieu parfait, il ne faudrait donc point le chercher dans le monde, mais dans le ciel de la conscience. La nature est pourtant grosse de cette idée sourde qui la soulève jusqu’en l’homme, où elle arrive à la conscience d’elle-même. T. ii, p. 544. Un grand effort d’approximation se marque dans Le nouveau spiritualisme, paru en 1884. L’auteur continue à considérer le Parfait « comme un type supérieur à toutes les conditions de la réalité », p. 302 ; mais il veut cependant un Dieu réel dont le monde serait l’œuvre éternelle. Plus de Dieu-progrès ; seul le cosmos passe par les phases du devenir et de l’évolution ; Dieu est la cause première, la Fin dernière des êtres et leur Providence ; Il est cause de vraies causes, ouvrier d’ouvriers. « II n’est pas le monde puisqu’il en est la cause… Il reste distinct de ses