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MATÉRIALISME, GÉNÉRALITÉS SUR LE MONISME


toujours tel ou tel corps, ne le pourrait par assimilation ; donc l’âme intelligente possède un être propre distinct du corps. Sum. theol., I a, q. lxxv, a. 2 : Inlelleclus cognoscendo fit omnia.

Essentiellement l’âme est une activité qui saisit des rapports, abstrait, généralise ; mais aussi elle pressent en eux l’ordre éternel qui la ravit et la porte aux sentiments généreux. L’homme spirituel lutte en nous contre l’homme charnel. L’animal ne connaît, lui, ni ces rapports, ni cet attrait spirituel, ni ces luttes ; il se meut en la région intéressée des images, ou mieux, il est mû. par des attraits sensibles. Cf. Sum. theol., I ll —II æ, q. xiii, a. 3. Depuis l’âge des cavernes, le chien est resté notre humble compagnon ; et chez les hommes, quel progrès ! L’animal ne peut être instruit, mais dressé seulement, par des associations d’images et d’intérêts. Au contraire, Darwin constata qu’après "quelques années trois pauvres Fucgiens faisaient bonne figure à Londres I Descendance de l’homme, trad. Barbier, p. 66.

C’est un intolérable abus de langage de parler, comme M. Bougie, du « respect de l’autorité » ou du « remords » d’un chien, L’évolution des valeurs, 1922, p. 149. M. Guilleminot trouve dans le pigeon qui cesse sa cour quand paraît le conjoint habituel « un certain respect de la possession d’autrui » ; il pense que la plupart des sentiments, comme l’orgueil, le souci de l’opinion, la honte sont déjà très développés chez le chien. La matière et la vie, 1919, p. 24. C’est confondre le monde des sensations et celui de la pensée. Comprendre, juger, unir, parler abstraitement, voilà le propre de l’homme qu’aucun animal n’a jamais rejoint. « L’intelligence est un fait premier. Les diverses tentatives de déduction de l’intelligence ont toutes échoué… L’ordre inhérent au monde, et dont l’empirisme ne peut se passer, est l’intelligence elle-même, qui de plus est l’aperception de cet ordre. L’empirisme commence par admettre dans le monde les lois de l’esprit, pour les faire passer ensuite du dehors au dedans. Bien de plus contestable qu’une telle méthode. Pour faire l’économie de l’intelligence dans l’homme, on commence par la supposer réalisée dans la nature… Chez les animaux supérieurs : quelques jeux d’images, quelques lueurs de pensée confuse et indifférenciée. » Delacroix, Le langage et la pensée, 1924, p. 87 et 99 ; Peillaube, J ? wue de p/u70s., oct. 1911, p. 277 sq.

Comment, de manière ou d’autre, ramener l’homme à n’être qu’un objet matériel, un tas de cellules, elles-mêmes tas de molécules, etc., quand précisément il est caractérisé par sa capacité de savoir. Objet de science, il en est aussi le sujet : il ramène les individus à leur espèce, les faits à des lois, il compare, il unit. P. Janet, Principes de métaphysique et de psychologie, 1897, t. i, p. 383. Nous relevons de la pensée et non seulement de l’espace et de la durée. Pascal, édit. Brunschwicg, p. 488. Là est le règne humain.

IV. Le monisme.

1° Généralités en vue de circonscrire le sujet. — L’étiquette monisme pourrait être appliquée à des systèmes fort divers.

En principe, elle signifie identité foncière en nature, de tout ce que nous connaissons. A ce point de vue, le monisme peut être matérialiste, idéaliste, biologique, psychologique, athée et panthéiste, selon les cas. Le spiritualiste est moniste, en ce sens qu’il rattache tous les êtres à un Créateur providentiel ; on a le droit également de travailler à concilier les lois physiques et morales, savoir et croire, la raison et la foi.

Le Dantec réduit toutes choses à des mouvements quantifiables. Lachelier (1832-1919), Lotze (18171881), Emerson (1803-1882), Ernest Mach (18381896), pour des raisons diverses, ramènent le Cosmos à des représentations, comme Ostwald à des mutations

de l’énergie. La pensée d’un Farménide était déjà unitaire.

Selon l’humanitarisme de A. Comte (1798-1 837, 1, tout le connaissable représente l’ensemble des opinions, des conceptions sociales d’une époque : « l’âme est fille de la Cité » ; donc l’humanité est notre mère et pour qu’elle remplisse son rôle, nous devons la servir. Durkheim (1858-1917) accentue encore ce sociologisme qui s’inspire de l’évolutionnisme et du pragmatisme, puisque nos opinions seraient dictées par les nécessités de la vie collective.

Par monisme, on entendra ici les systèmes qui soutiennent que les états de la matière comme les états mentaux, bien que parallèles, sont au fond identiques. Matière et vie, corps et âme seraient la double forme sous laquelle, à des degrés divers, se présentent tous les êtres. L’esprit s’y définit une fonction de la matière, et celle-ci, une représentation de l’esprit, car on ne peut les séparer. « La conscience, avec ses états multiples et cependant unis étroitement, est pour notre conception interne une unité analogue à celle qu’est l’organisme corporel pour notre connaissance externe. La corrélation absolue entre le physique et le psychique suggère l’hypothèse suivante : ce que nous appelons l’âme est l’être interne de la même unité que nous envisageons, extérieurement, comme étant le corps qui lui appartient. » Wundt, Psychologie, t. ii, conclusion.

Dans le panthéisme d’un Spinoza, comme dans celui de Fichte, Schelling et Hegel, tous idéalistes, c’est l’Absolu qui, par un jeu fort singulier, s’épanouit en notre monde ; au contraire, selon le monisme, c’est plutôt le monde qui, en progressant, s’approche vers cette « limite » qu’on nomme l’Absolu. Un moniste idéaliste, comme J. Lachelier, entendait bien rester théiste et catholique. L’échec de l’idéalisme et du mécanisme, ou l’impossibilité de dériver le monde de la pensée, comme aussi la pensée du cosmos, n’a pas peu contribué à les faire identifier dans le même être à double propriété physique et mentale. L’horreur de l’idée obscure de création, le problème du mal et surtout la finalité immanente chez tous les vivants, plus manifeste encore, si l’on admet leur évolution générale, ont aussi favorisé de nos jours la doctrine moniste.

Le monisme qui retiendra notre attention prétend trouver dans l’univers lui-même toute la raison d’être de son existence et de son progrès : c’est un naturalisme systématique. Il peut s’inspirer de préférence de la biologie ou delà psychologie : de là deux groupes de doctrines.

2° Le monisme biologique de Hœckel. — Le relativisme humano-social de Comte, pas plus que « l’inconnaistable » de Spencer, ne pouvaient satisfaire le professeur de zoologie d’Iéna, Ernest Hseckel né en 1834 ; la science à elle seule pourrait à la fois donner à l’homme le secret de ses origines et de ses destinées en le réintégrant dans l’évolution générale de la nature, parce que la science nous inviterait à la couronner, selon lui, par une métaphysique et même une religion. Création, Providence, âme libre et immortelle, miracle, autant de conceptions naïves et anthropomorphiques qui oublient le déterminisme scientifique, et en sont restées à l’époque où l’on regardait encore le monde comme soumis à quelque potentat. Il serait temps de faire la synthèse des connaissances expérimentales, en y ajoutant ce que la raison informée considérera comme leurs conditions nécessaires et générales en vue d’éviter toute rupture dans le déterminisme naturel.

En 1892, Hœckel a publié Le monisme, lien entre la religion et la science, profession de foi d’un naturaliste ;